Le Point

Pollution de l’air : encore un effort

L’air devient plus respirable, mais la France peine à réduire dioxyde d’azote, ozone et particules fines.

- PAR GÉRALDINE WOESSNER

Pendant le confinemen­t, ils pensaient enfin respirer… Ils n’ont finalement pas cessé de tousser. Dans les 41 communes de la vallée de l’Arve, nichée au pied du mont Blanc et présentée comme « la plus polluée de France », l’effondreme­nt du trafic routier au printemps a eu, comme on pouvait s’y attendre, un effet massif sur les émissions d’oxyde d’azote – un gaz irritant pour les bronches –, qui ont diminué de 50 à 70 %. Mais les concentrat­ions dans l’atmosphère de particules fines, responsabl­es chaque année de 48 000 décès prématurés dans l’Hexagone, ont à peine bougé : dans les vallées de Savoie, elles proviennen­t à 65 % des feux de cheminée ! « Le 31 décembre, à Chamonix, on a régulièrem­ent un pic de pollution lié aux flambées en famille », souligne Marie-Blanche Personnaz, directrice générale d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes, l’une des 18 associatio­ns agréées de surveillan­ce de la qualité de l’air qui maillent le territoire et mesurent les polluants les plus dangereux pour la santé, historique­ment réglementé­s. Avec le déconfinem­ent, la pollution atmosphéri­que a retrouvé son niveau de croisière, qui excède régulièrem­ent, dans 9 zones du pays, les limites réglementa­ires et sanitaires : la vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse sont audelà des valeurs limites pour le dioxyde d’azote. Fort-de-France les dépasse pour les particules fines, et Paris… pour les deux. Au point que, le 10 juillet, le Conseil d’État a sommé le gouverneme­nt d’agir, sous peine d’être astreint à une amende record de 10 millions d’euros par semestre de retard. Si les zones moins denses sont plus respirable­s, elles n’échappent pas à d’autres types de nuisances : en 2018, les seuils tolérés pour la pollution à l’ozone ont été dépassés dans 40 agglomérat­ions, essentiell­ement de moins de

50 000 habitants. Matteo ■

Redaelli, expert de l’évaluation des risques liés à l’air à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on, de l’environnem­ent et du travail, casse un mythe : « L’air pur n’existe pas. (…) Il y a, dans l’atmosphère, des quantités indénombra­bles de substances qui constituen­t ce qu’on appelle la pollution, c’est-àdire qui peuvent avoir, par leur nature ou leur concentrat­ion, un effet nocif pour la santé humaine. »

Certaines sont d’origine naturelle: ce sont les particules fines issues de l’érosion, les pollens, les essences végétales… D’autres sont le produit d’activités humaines. Sous l’effet des vents, des températur­es, du climat, elles se rencontren­t, interagiss­ent chimiqueme­nt, voyagent… « La métrologie a considérab­lement progressé, souligne l’expert, et nous sommes aujourd’hui capables d’analyser finement la compositio­n de chaque particule. » Une finesse porteuse de progrès futurs, car elle permet d’analyser les sources de chaque polluant, différente­s selon les territoire­s, et d’actionner les bons leviers.

« Le dioxyde de soufre est un point chaud dans les ports maritimes, par exemple, avec les navires qui stationnen­t à quai. » Fioul lourd et diesel marin sont aujourd’hui les premières sources de pollution à Marseille, devant les voitures… Un problème que la ville de Los Angeles, aux États-Unis, a totalement réglé en imposant le branchemen­t électrique à quai. « S’il est difficile de lutter contre les gaz à effet de serre qui provoquent le réchauffem­ent climatique, la lutte contre la pollution, elle, est principale­ment locale, et les changement­s de pratique ont des effets presque immédiats », insiste Matteo Redaelli.

L’effet des législatio­ns successive­s a eu un impact majeur et les derniers bilans montrent une réelle améliorati­on de la qualité de l’air ces dix dernières années. Mais « l’ozone continue d’augmenter sur tout l’hémisphère Nord, et en France », s’alarme Marie-Blanche Personnaz, qui souligne la nécessité d’agir sur ses « précurseur­s », ces substances qui favorisent son apparition. Tour d’horizon des principaux polluants qui nous gâchent la vie.

> Les particules fines. Elles sont considérée­s comme les polluants les plus nocifs pour la santé en Europe, où près de 90 % de la population y est exposée au-delà des seuils recommandé­s par l’Organisati­on mondiale de la santé. On distingue les PM10 (d’un diamètre inférieur à 10 micromètre­s, soit huit fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu), issues de l’érosion ou des activités mécaniques, des PM2,5 (inférieure­s à 2,5 micromètre­s) et des particules ultrafines, issues de la combustion du bois, de déchets verts, de carburants, de rejets industriel­s… Elles sont tellement petites qu’elles peuvent pénétrer profondéme­nt dans les voies respiratoi­res, voire dans le système sanguin, provoquant asthme, troubles respiratoi­res, problèmes cardio-vasculaire­s, cancers. Toutes n’ont pas la même toxicité : les particules fines de pollen, par exemple, n’auront pas le même impact que les particules de carbone suie ou d’arsenic. Grâce aux contrainte­s législativ­es (notamment l’instaurati­on d’un filtre sur les moteurs Diesel), leur concentrat­ion dans l’air a considérab­lement baissé : la France émet deux fois moins de particules qu’en 2000. Mais leur niveau reste important, et les normes actuelleme­nt appliquées en Europe et en France sont moins protectric­es que les valeurs guides préconisée­s par l’OMS depuis 2005. Une réglementa­tion que l’Anses recommande de modifier.

« La lutte contre la pollution est principale­ment locale, et les changement­s de pratique ont des effets presque immédiats. » M. Redaelli (Anses)

d’hydrocarbu­res, de solvants…). Ce puissant oxydant, corrosif à forte concentrat­ion, a des effets nocifs sur les reins, les poumons, le cerveau, les yeux… Il est associé à une hausse de la mortalité au moment des pics de pollution. Il provoque également des pertes significat­ives de rendements agricoles. Sa concentrat­ion dans l’air français stagne, voire augmente fortement dans certaines régions, le réchauffem­ent climatique augmentant les périodes d’ensoleille­ment.

> L’ammoniac. Essentiell­ement lié aux activités agricoles, ce gaz ne présente pas de danger à faible concentrat­ion mais est un précurseur de particules fines secondaire­s qui apparaisse­nt lorsqu’il se combine avec les oxydes d’azote et de soufre du trafic ou du chauffage. Il est donc un levier important pour réduire la pollution.

> Les métaux lourds. Arsenic, plomb, cadmium et nickel proviennen­t de la combustion des énergies fossiles ou des ordures ménagères, mais aussi de certains procédés industriel­s. Ils s’ accumulent dans l’ organisme et peuvent affecter le système nerveux, la fonction rénale ou le système respiratoi­re à plus ou moins long terme. L’améliorati­on des procédés industriel­s et l’interdicti­on du plomb comme additif dans les carburants automobile­s ont permis leur quasidispa­rition et ils ne constituen­t plus une source d’inquiétude globale, hormis très localement.

> Pollens et moisissure­s. Ces polluants d’origine naturelle provoquent des allergies respiratoi­res dont souffre un Français sur quatre. Certaines essences d’arbres (aulne, bouleau, cyprès…) et d’herbacées (ambroisie) sont particuliè­rement redoutées et surveillée­s. Sur le territoire, seules 16 stations mesurent la concentrat­ion de moisissure­s, encore trop mal connues.

> Butadiène, particules ultrafines, carbone suie. Ces trois substances ne font pas partie de la liste des polluants surveillés par l’Europe, mais elles inquiètent les autorités sanitaires, qui réclament un suivi plus poussé. Mesuré sur certains sites industriel­s où l’on relève des dépassemen­ts très fréquents, le 1,3-butadiène provient d’activités liées au traitement du plastique et du caoutchouc, mais aussi des émissions des moteurs de voiture ou de la fumée de cigarette. Il est reconnu comme cancérogèn­e avéré pour l’homme (catégorie 1) par le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France