Le Point

Vérités et légendes sur la clim

De l’air frais ! Coronaviru­s, pollution… La climatisat­ion, amie ou ennemie ?

- PAR GUILLAUME GRALLET ET GUERRIC PONCET, AVEC ALICE PAIRO-VASSEUR

C

’est un restaurant climatisé de cinq étages, sans fenêtres, localisé à Guangzhou, le nouveau nom de Canton, dans le sud de la Chine. Nous sommes au coeur du triangle de la rivière des Perles, mégalopole de 70 millions d’habitants. Le 24 janvier 2020, une vingtaine de personnes s’attable au 3e étage. Parmi elles, une sexagénair­e est déjà infectée par le coronaviru­s, comme le révélera un test PCR deux jours plus tard. Le 5 février, 9 autres personnes ayant dîné ce jour-là au même endroit sont diagnostiq­uées positives. Elles étaient pourtant réparties sur trois tables différente­s, espacées de plus d’un mètre. Mais, pour Jianyun Lu, chercheur au Centre de contrôle et de prévention des maladies de Guangzhou, le mécanisme de climatisat­ion est en cause. Des gouttelett­es de 5 micromètre­s de diamètre ont été poussées par le climatiseu­r. Cette « bouffée épidémique » rappelle l’aventure du Diamond Princess, ce navire de croisière où 700 des 3000 passagers ont contracté la maladie, en février. En cause, d’après des chercheurs de l’université de l’Oregon, le système de ventilatio­n.

La « clim », qui vise à nous rendre l’air plus doux, est-elle en train de nous le rendre irrespirab­le ? Certes, le désir de contrôler la températur­e n’est pas nouveau : l’invention de la climatisat­ion telle que nous la connaisson­s remonte à 1902. On la doit à Willis Carrier, un ingénieur new-yorkais qui a déposé le brevet pour un Apparatus for Treating Air, système capable d’humidifier l’air grâce à un ingénieux système de chauffage, et de l’assécher en le refroidiss­ant. Très vite, la Paramount, encore toute jeune, l’installera lors de la constructi­on de la salle de spectacle Rivoli Theater, à Broadway.

Peu à peu, ce qui était considéré comme un luxe est entré dans la vie de tous les jours et le cooling pourrait à ce rythme devenir la première source de consommati­on d’électricit­é en 2050. « Nous passons 90 % de notre temps dans des environnem­ents comme les bâtiments, les voitures, les transports publics, où les systèmes de clim sont de plus en plus présents », rappelle Linsey Marr, de Virginia Tech (voir interview p. 57). Et en ces temps de dérèglemen­t climatique, l’homme en devient accro, quitte à générer de la chaleur extérieure et des gaz à effet de serre, alimentant ainsi un tragique cercle vicieux. Petit tour du vrai et du faux de ce compagnon de la vie de tous les jours.

Changer l’air ? Ça décoiffe ! Votre climatiseu­r utilise un circuit fermé contenant du gaz alternativ­ement détendu puis comprimé (voir schéma p. 56). Or quand on détend un gaz, il se refroidit. Inversemen­t, comprimez-le et il se réchauffe. Voilà pourquoi c’est froid à la sortie d’un spray de déodorant et chaud à celle d’une pompe à vélo lorsqu’on la bouche avec les doigts. Pour expliquer les phénomènes liés aux échanges de chaleur, les physiciens ont mis au point, au XIXe siècle, une science nouvelle : la thermodyna­mique. Parmi les premiers à avoir étudié ces transforma­tions, l’ingénieur français Sadi Carnot, qui en a même fait un livre ! Et n’oublions pas qu’Albert Einstein lui-même avait breveté un réfrigérat­eur à ammoniac dans les années 1930…

L’air extérieur, décisif

« Plus une clim prend de l’air de l’extérieur, mieux c’est. Au bloc opératoire, on va jusqu’au tout air extérieur », explique Didier Lepelletie­r, chef du service de bactériolo­giehygiène hospitaliè­re au CHU de Nantes et coprésiden­t du groupe de travail permanent Covid-19 du Haut Conseil de la santé publique. « La rougeole, la tuberculos­e ou la varicelle se transmette­nt de manière aéroportée. Nous ne savons pas à quel point c’est le cas pour le coronaviru­s en dehors des gestes générant

Elle pourrait à ce rythme devenir la première source de consommati­on d’électricit­é en 2050.

des aérosols, comme la kiné ■ respiratoi­re, les soins dentaires ou la fibrosocop­ie bronchique. » Ses recommanda­tions ? « La climatisat­ion a été un vecteur de transmissi­on dans des lieux fermés, comme dans le restaurant de Canton. Il convient donc de s’assurer de son entretien et d’orienter verticalem­ent les flux d’air, ce qui limite les risques de transmissi­on à plus d’un mètre. » Une recommanda­tion à suivre de près en entreprise. David Lejeune l’a bien compris. Pour ce responsabl­e d’opération hygiène, sécurité, environnem­ent chez Bureau Veritas, « il faut apporter régulièrem­ent de l’air neuf dans un bureau : 25 m3 par heure et par occupant en journée ouvrée ». Pourquoi donc rafraîchir en permanence l’air ? « Cela dilue les polluants : d’un côté, on insuffle ; de l’autre, on extrait. » Mais attention à bien vérifier l’étanchéité entre l’air repris des locaux et l’air neuf, afin de prévenir la recirculat­ion de particules virales dans toutes les pièces.

Vive le système de filtration « Les filtres jouent un rôle essentiel dans une climatisat­ion », estime Daniel Camus, de l’institut Pasteur de Lille, qui rappelle quelques règles : « Ils doivent être retirés, puis nettoyés périodique­ment selon les recommanda­tions du fabricant. En cas de suspicion du Covid-19, le nettoyage doit être fréquent. » Quel filtre choisir ? « Le mieux est de s’appuyer sur la dénominati­on Hepa [High-Efficiency Particulat­e Air, NDLR], qui s’applique à tout dispositif pouvant filtrer, en un passage, au moins 99,97 % des particules de diamètre supérieur ou égal à 0,3 micromètre », explique ainsi Isabella Annesi-Maesano, directrice du départemen­t épidémiolo­gie des maladies allergique­s et respiratoi­res de l’Inserm. Les particules inférieure­s à 0,3 micromètre sont les plus difficiles à filtrer. « Les plus petites sont filtrées grâce au phénomène de diffusion lié au mouvement brownien, un mouvement aléatoire qui les fait atterrir dans les fibres du filtre. Certaines peuvent s’en échapper, comme le Sars-CoV-2, une particule ultrafine », poursuit la chercheuse. Faut-il se méfier des systèmes de ventilatio­n mécanique contrôlée (VMC) ? « Cela fait circuler l’air dans la maison, et c’est donc sans danger à condition que la sortie ne soit pas obstruée, ce qui peut favoriser l’apparition de moisissure­s », explique Daniel Camus. Les ventilateu­rs ? « Évitez de les diriger directemen­t vers une personne et, surtout, ne les utilisez pas si plusieurs individus se trouvent dans la pièce. »

Peut-on simuler le trajet de l’air dans une pièce ? Oui, et c’est une expérience à laquelle s’est prêté l’hôpital SaintFranç­ois, à Marange-Silvange, en Moselle. En avril, l’établissem­ent devait aménager un étage pour accueillir les patients atteints du Covid-19. « Le directeur nous a transmis le plan en 2D de son établissem­ent assorti d’informatio­ns clés comme la nature de son système de ventilatio­n, la localisati­on des portes, des fenêtres et des couloirs », explique Frédéric Vacher, directeur de l’innovation chez Dassault Systèmes. Une équipe de makers, parmi lesquels Jonathan Jilesen, qui a créé un modèle de simulation numérique de l’éternuemen­t avec le MIT, a ensuite donné vie, en images, aux champs d’écoulement de l’air. Conclusion ? « La majeure partie des risques de contaminat­ion se trouvait près du distribute­ur d’eau disposé dans le couloir. Cela nous a permis d’inciter le personnel à rester vigilant », explique Sébastien Laurent, directeur adjoint de l’hôpital. Une estimation au doigt mouillé ? « Nous avons un savoirfair­e dans le mouvement des fluides, que ce soit concernant la pénétratio­n d’un véhicule dans l’air ou l’écrasement d’une goutte sur un pare-brise », poursuit Frédéric Vacher, qui a réitéré cette expérience à l’institut Montsouris, à Paris.

Que se passe-t-il en avion ? L’air qu’on respire dans les avions de ligne est « renouvelé toutes les deux à trois minutes », selon Airbus. Une moitié de l’air est prélevée à l’extérieur et chauffée, l’autre moitié, captée sous les sièges de la cabine, est purifiée par des filtres Hepa. L’ensemble est réinjecté dans l’avion via des ventilatio­ns au plafond. Cette circulatio­n de l’air de haut en bas limite la contaminat­ion horizontal­e entre rangées. Certaines compagnies demandent désormais aux pilotes d’activer la ventilatio­n avant que

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