La chronique de Patrick Besson
Il y a eu 237 Coplan : cela ferait une trentaine de volumes de La Pléiade. Mais Paul Kenny – pseudonyme de deux auteurs belges, Jean Libert (1913-1995) et Gaston Vandenpanhuyse (1913-1981) – n’est pas près d’y entrer, ayant déjà du mal à se frayer un chemin parmi les boîtes des bouquinistes. Alors que Léo Malet, Gérard de Villiers, Frédéric Dard ou encore Jean Bruce font le bonheur des solderies, qu’elles soient ou non en ligne, Paul Kenny et son héros Coplan restent en rade. On ne comprend pas cette désaffection. Elle ne peut pas venir d’un quelconque antibelgisme, la France ayant prouvé à de nombreuses reprises – avec Hergé, Simenon, Lacour, Geluck, Hallyday, Cliff, Nothomb, Efira… – qu’elle n’était pas atteinte par ce virus lamentable. La mauvaise qualité des textes ? Non. Les Coplan sont écrits avec un souci du mot juste et une économie de moyens qui feraient pâlir de dépit moult auteurs vivants de thrillers calibrés.
Dans les années 1970, on vendait 10 000 Coplan par jour sur toute la planète, soit plus de 3 millions et demi de livres par an. Nos papas les lisaient dans le métro au retour du travail ou au lit le dimanche matin avant de se laver. Les caractères étaient gras et le papier tout de suite jaune. Coplan était un ingénieur athlétique du Sdece. Il faisait moins de cochonneries au lit que le prince Malko et disait moins de gros mots que San Antonio. Pourquoi l’avoir enterré en catimini tandis que Bouquins a réédité tous les Burma, que Maigret continue de tirer sur sa pipe chez Omnibus et que la veuve Villiers ressort les premiers SAS – mais sans indiquer la date de leur première édition alors que ce sont des oeuvres liées à l’actualité ?
Le bouquiniste du quai de l’Hôtel-de-Ville chez qui j’ai trouvé Sans issue (1952) est allé, sur ma demande, chercher le Coplan sous une pile de livres et de journaux, comme si c’était un produit interdit : tome du journal de Gabriel Matzneff, écrit négationniste, livre antiféministe d’Esther Vilar… Il me regardait avec un étonnement craintif, comme si j’étais un agent provocateur cherchant à moraliser la vente des livres soldés. L’ouvrage coûtait 6 euros. Le vendeur a susurré : « Je crois que j’en ai deux autres. » J’ai hoché la tête en silence. Surpris par ma détermination, l’homme a aussitôt replongé dans sa réserve. J’ai ainsi pu acquérir Un diplomate nommé Coplan (1973) et Coplan rend coup pour coup (1969). Le début d’une collection ? Les Coplan sont reconnaissables à leurs couvertures signées Michel Gourdon, comme 3 600 autres volumes de Fleuve noir. Il y a une Association des amis de Michel Gourdon et l’illustrateur a donné son nom, avec son frère Alain (le célèbre Aslan des dessins érotiques de Lui), à la médiathèque de Thiron-Gardais, en Eure-et-Loir.
Sans issue se passe dans l’Iran de Mossadegh et des services secrets occidentaux ivres de pétrole. Coplan essaie de tirer son épingle française du jeu. Poursuites et enlèvements se succèdent au rythme du rock and roll naissant, même à Téhéran. Les femmes et les secrets sont dévoilés. Les coups de feu claquent comme des gifles. Il y a une scène d’amour à la page 99, elle est peu érotique : « Quand elle fut nue et vibrante de plaisir dans les bras de Francis, elle sut lui inspirer une fringale amoureuse qui eut pour résultat de les conduire tous les deux vers les sommets d’une extase éblouissante. » Toute une époque
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Les « Coplan » sont écrits avec un souci du mot juste et une économie de moyens qui feraient pâlir de dépit moult auteurs vivants de thrillers calibrés.