Le Point

Attentats de janvier 2015 : le procès d’une défaite

- Étienne Gernelle

On se sentait forts, ce 11 janvier 2015. Et nombreux : 4 millions, au moins. On se disait qu’on ne se laisserait pas faire, que l’on n’aurait pas peur. Mais qu’est devenu ce serment ? Le procès des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Cacher commencera en septembre. Au-delà des accusés – secondaire­s, les assassins sont morts –, le constat est déprimant.

Charlie Hebdo vit toujours sous les menaces de mort. Ce qu’il représente, la liberté, est, de fait, en résidence surveillée. La France est tétanisée dès que le mot islam apparaît. Le monde politique et médiatique a célébré Charlie puis pris ses distances. La rhétorique de l’islamophob­ie est, il faut le croire, efficace. « Les gens sont des petits animaux peureux qui vont là où ils espèrent qu’ils auront moins mal», nous expliquait Riss il y a quelques mois, précisant : « Ils savent très bien d’où vient le danger. On ne va pas, nous les laïques, leur tirer dessus. » Charlie se retrouve bien seul, malgré quelques «camarades de combat » dont, souligne son avocat Richard Malka, des hommes et femmes de culture musulmane, comme Zineb el-Razhoui et Mohamed Louizi.

Le délit de blasphème ne figure toujours pas dans le Code pénal, mais il a été intérioris­é: cette année, la jeune Mila, menacée de mort et de viol pour avoir critiqué l’islam – pas les musulmans –, a été changée de collège. Ses persécuteu­rs y sont toujours, eux. Défaite. Les terroriste­s, en tout cas, ont gagné quelque chose. Un autre phénomène leur est favorable : la France – comme d’autres pays occidentau­x d’ailleurs – défend en général moins sa liberté d’expression, choisissan­t souvent de s’incliner devant le cortège toujours plus long des « offensés ». Pourquoi les islamistes n’en profiterai­ent-ils pas? Et c’est ainsi que Mila, comme Charlie avant elle, rejoint le camp des « offensants »…

Deux jours après Charlie, l’Hyper Cacher de Vincennes était attaqué. La France était – heureuseme­nt – révoltée. Pourtant elle s’accommode à peu près aujourd’hui des profanatio­ns de cimetières juifs ou des « Sale juif ! » entendus au cours d’une manifestat­ion du collectif La Vérité pour Adama Traoré.On se gargarise, dans certains médias, de la justificat­ion de l’«antisionis­me», fermant les yeux sur ce qu’il recouvre dans la grande majorité des cas. Les actes antisémite­s ont augmenté ces dernières années et nombre de synagogues ou d’écoles juives doivent encore être protégées par la police… Quant à la police, puisqu’on en parle, elle a désormais droit aussi à son lot de haine.

Le 11 janvier 2015, on pouvait lire ceci sur des pancartes : « Je suis Charlie, je suis juif, je suis flic ». Qui sommes-nous maintenant ?

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