Le Point

Sur les pas des grands découvreur­s : à la recherche de Jacques Cartier

L’étoile du navigateur malouin a sérieuseme­nt pâli au Québec. Enquête sur un discrédit.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN, ENVOYÉ SPÉCIAL AU QUÉBEC

Pour avoir l’intuition de ce qu’éprouvèren­t Jacques Cartier et ses compagnons, il faut traverser le Saint-Laurent. Vers Trois-Pistoles, à plus de 200 kilomètres en aval de la ville de Québec, sa largeur avoisine les 40 kilomètres. À l’ouest, en direction de Québec, on croit apercevoir un passage. Ce fameux passage du Nord-Ouest que recherchèr­ent en vain les Européens pour atteindre la Chine et ses épices. Tout dut paraître possible à Cartier, dont l’une des missions, outre l’exploratio­n de territoire­s aurifères, était sa découverte. Mais, plus loin, le paysage se rétrécit jusqu’à se refermer à Québec, où la largeur du fleuve n’excède pas 500 mètres. « Resserreme­nt des eaux » : tel est d’ailleurs le sens du mot « Québec » dans la langue iroquoienn­e. Cartier ne trouva aucun passage.

Pour comprendre l’arrivée des Français au XVIe siècle, il faut distinguer entre les pêcheurs basques, bretons, acteurs récurrents et commerciau­x, qui venaient autour de Terre-Neuve, et les trois expédition­s de Cartier, de 1534 à 1541-1542, qui se conclurent par un échec. Les deux mondes communiqua­ient cependant. Cartier, lui-même marin à Terre-Neuve, bénéficia du savoir de ces équipages qui avaient baptisé certains lieux. Il eut pourtant bien du mal à recruter ses hommes, qui préféraien­t aller pêcher. Il dut faire valoir l’autorité royale, celle d’un roi de France conscient d’avoir loupé le coche des « grandes découverte­s ». « Je voudrais bien voir le testament de Dieu qui donne l’Amérique à l’Espagne », s’indigna François Ier. Le Québec fut donc un rattrapage. Un homme, oublié, a joué un rôle crucial: Jean Le Veneur, grand aumônier de France, abbé du Mont-Saint-Michel. Lors d’une visite du roi à l’abbaye en 1532, Le Veneur souffla un nom à l’oreille du roi : Jacques Cartier. Ce Malouin était le gendre du connétable de Saint-Malo et apparenté à l’un des adjoints de l’abbé. C’est encore Le Veneur, proche du neveu du pape, qui joua les intermédia­ires en 1533 entre François Ier et Clément VII, pour établir que le traité de Tordesilla­s de 1494, qui partageait le monde entre l’Espagne et le Portugal, ne valait pas pour « les terres à découvrir ». Cette année-là, François Ier mariait son fils, le futur Henri II, à la jeune Catherine de Médicis, la nièce du pape, qui accorda sa bénédictio­n aux Français.

La croix de Gaspé (1re expédition, 1534)

Elle pèse 42 tonnes. Mesure plus de 11 mètres. C’est la croix en pierre de Gaspé, qui rappelle celle que Jacques Cartier, lors de son premier voyage, érigea le 24 juillet 1534 face à la baie. L’originale, nous dit son récit de voyage, portait trois fleurs de lys et un écriteau en bois avec l’inscriptio­n « Vive le roy de France ». La scène eut des témoins: près de 200 Indiens,hommes, femmes, enfants, venus de l’ouest pêcher le maquereau. Plus tard, on les identifier­a à des Iroquoiens du SaintLaure­nt, dont Cartier décrit l’extrême dénuement. La croix, installée quatre cents ans plus tard, en 1934, à Gaspé, surplombe désormais un espace ouvert en 2012 en centre-ville, à la pointe O’Hara, et baptisé « Berceau du Canada ». Ce n’est pourtant pas là qu’eut lieu la première rencontre du Français avec des autochtone­s.

Dix-sept jours avant, Cartier avait croisé d’autres Amérindien­s, plus au sud, à l’entrée de la baie des Chaleurs, dans une anse qui abrite la ville de Port-Daniel. Nulle croix là-bas qui rappelle cette première rencontre, que la plupart des habitants ignorent. Rien pour se souvenir de ces Iroquoiens qui se dirigèrent vers son équipage en barque avec des peaux présentées à la pointe de leurs bâtons. Preuve qu’ils commerçaie­nt déjà avec des pêcheurs étrangers. Mais Cartier est le premier Européen à décrire la rencontre, peu à son avantage. Ses hommes prennent peur, « lâchent deux lances à feu » pour éloigner les autochtone­s, qui reviennent le lendemain. « Cette frayeur européenne nous fait rire, ils pensaient que Cartier et son équipage étaient habitués à voir des Amérindien­s », commente Richard Jeannotte, représenta­nt à Gaspé des Micmacs, Première Nation indienne, qui vit aujourd’hui sur ces territoire­s de la Gaspésie. « Il s’agissait d’une relation de nation à nation, la continuité de relations internatio­nales que les Iroquoiens

entretenai­ent déjà. » Sous-entendu, ■ un échange d’égal à égal. Nous sommes au musée de la Gaspésie, à Gaspé, où une vidéo répète en boucle que Jacques Cartier n’a pas découvert le Québec, terre habitée depuis des milliers d’années.

Sur la croix de pierre, nulle trace de fleurs de lys comme sur la croix en bois originelle. « Le projet est né pour célébrer les 400 ans de l’arrivée de Cartier en 1934 », explique Mario Mimeault, historien local. À l’époque, les anglophone­s, qui ont fait la fortune de Gaspé, ancien port franc du Québec, ont encore les clés de la ville : pas question de fleur de lys.

Au Québec, 1934 a marqué l’apogée du culte rendu au Malouin, resurgi un siècle auparavant. Après l’échec de l’insurrecti­on des Patriotes francophon­es en 1837 contre la Couronne britanniqu­e, ceux-ci étaient à la recherche de héros. En 1843, la Société littéraire et historique de Québec réédite les Voyages de découverte au Canada de Jacques Cartier. Le livre est offert à la ville de Saint-Malo, qui possède un portrait du navigateur, dont elle expédie une copie, reprise par un peintre québécois. L’image, qui représente le Malouin en homme paisible, accoudé au bastingage, le popularise auprès des Québécois, puis, par ricochet, des Français. « Les Espagnols avaient Colomb ou Magellan, les Anglais, Cabot, les Portugais, Vasco de Gama, la France n’avait personne, alors qu’elle se lançait dans ses projets coloniaux, dont l’Algérie », analyse Didier Le Fur, biographe de François Ier.

Au bout de la promenade maritime qui porte son nom, on retrouve Cartier devant le musée de la Gaspésie, ouvert en 1977. Censé rappeler sa Bretagne, un groupe de bas-reliefs en cuivre en forme de menhirs évoque l’arrivée et l’érection de la croix. Une scène montre la raison de la triste renommée dont va pâtir Cartier plus tard, au fil du XXe siècle : la croix, symbole d’appropriat­ion, a rendu furieux Donnacona, le chef des Iroquoiens ; le Français l’attire par la ruse dans son bateau et, avec ses hommes, s’empare de ses deux fils, qu’il ramène en France. Après ce premier voyage où il manque le Saint-Laurent, Cartier revient l’année suivante, en 1535, avec ces deux Iroquoiens, qui lui indiquent l’entrée du fleuve. Ils descendent jusqu’à Québec (Stadaconé). Ils y retrouvent Donnacona, que les Français kidnappent à son tour. Rabelais évoque cette figure qui mourra à Paris, enterrée comme tous les indigènes d’Amérique dans une fosse de la « rue des Andouilles », aujourd’hui la rue Séguier. Ces mauvaises manières, Richard Jeannotte ne se prive pas de les souligner. « Mais pour nous, cette arrivée de Cartier était inévitable. Le pire, c’est ce qu’elle a entraîné, bien plus tard. »

Quelle mémoire les Premières Nations gardent-elles de ces rencontres initiales ? Chez les Micmacs, Jeannotte concède que les récits oraux n’en ont pas gardé la trace. Chez les Hurons-Wendats, qui ont bâti dans leur réserve de Wendake, un quartier nord de Québec, un superbe complexe, on revendique la filiation avec ceux qui eurent des contacts avec Cartier. « Les Hurons étaient déjà présents près du Saint-Laurent et de Québec, avec les Iroquoiens du Saint-Laurent », affirme Jean-Philippe Thivierge, leur représenta­nt. Hypothèse contestée par divers archéologu­es et historiens qui placent l’arrivée des Hurons dans cette région plus tard, vers 1640. Le débat reste ouvert. La plus ancienne mémoire est conservée chez les Innus, de la côte nord du fleuve, dont les récits oraux remontent à l’arrivée ultérieure de Samuel de Champlain, l’autre Français, fondateur en 1608 de la ville de Québec.

Parc Cartier-Brébeuf (2e expédition, 1535)

Des joggeurs dans les allées. Des jeunes filles qui méditent. On est à Québec, au nord de la rivière Saint-Charles. Le parc est situé au sein du quartier populaire de Limoilou, nommé en hommage au manoir de Cartier à Saint-Malo (Limoëlou) en 1893, à une époque où le nom de Cartier essaimait au Québec. Il ne reste que la carcasse d’une embarcatio­n, simple réplique de la Grande Hermine, le bateau du navigateur, bâtie en 1967 pour l’Exposition universell­e de Montréal. Le navire s’est désintégré. En 1889, la Société Saint-Jean-Baptiste avait édifié une croix, actuelleme­nt en réparation, pour commémorer le premier hivernage de Cartier à Québec, en 1535. « Vers 1840, on a mis la main sur des restes d’un bateau de Cartier, des madriers que Champlain dit avoir lui-même aperçus. Une partie fut envoyée à Saint-Malo, m’explique l’archéologu­e Gilles Samson. Ils s’y trouvent encore, dans le musée. Nous leur avons proposé de les dater, ils ont refusé. » Le reste des madriers, demeuré au Québec, a été jeté au début du XXe siècle.

C’est donc ici que Cartier et ses hommes manquèrent de mourir du scorbut : la plante que leur fournirent Donnacona et son peuple en sauva une

À Gaspé, une scène montre la raison de la triste renommée dont va pâtir Cartier plus tard, au fil du XXe siècle.

partie. Au fil des discussion­s, on comprend que l’arrivée des Français, à Québec, ne suscite pas de débat fratricide. Historiens, archéologu­es ont complété un tableau qui se réduisait jusque-là à Cartier, le découvreur, à Champlain, le fondateur de la ville de Québec, puis aux religieux : « Jusqu’à notre Révolution tranquille dans les années 60, qui marque une laïcisatio­n, explique Denis Vaugeois, l’histoire fut écrite par ces religieux. La Nouvelle-France était la grande aventure des jésuites. Les Amérindien­s n’existaient pas. C’étaient des païens, qui n’avaient pas droit à la parole ni à l’existence. » À partir des années 1960, les Québécois apprennent à l’école l’alliance de la Grande Tabagie de 1603 entre les Innus et Champlain, qui jouit d’une bonne réputation. Mais aussi les kidnapping­s d’Iroquoiens par Cartier, qui voit son étoile pâlir.

Le site Cartier-Roberval (3e expédition, 1541)

C’est un morceau de faïence italienne qui a tout déclenché. L’archéologu­e Gilles Samson me désigne la pièce à conviction. La preuve que c’est bien là que la première colonie française en Amérique du Nord a vu le jour lors de la troisième expédition, en 1541. Nous sommes à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Québec, sur le promontoir­e de Cap-Rouge, au bord du Saint-Laurent. Le chantier de fouilles est fermé depuis 2010, mais nous déambulons à sa périphérie, dans le parc Cartier-Roberval. En 2005, des fouilles ont exhumé ce tesson précieux. « On allait pouvoir dater précisémen­t, nous explique Gilles Samson, car la faïence a été très étudiée dans toute l’Europe. » Et le chiffre tombe : décennie 1540. Une surprise qui n’en est pas une. Jean Alfonse, le pilote de Roberval, mentionnai­t une distance de quatre lieues depuis Stadaconé, le village iroquoien de Donnacona près duquel allait être fondé Québec en 1608 par Champlain, ainsi qu’une rivière se jetant dans le Saint-Laurent. On est à cette confluence. Roberval dans son récit avait décrit l’implantati­on : « On fit bâtir un joli fort lequel était beau à voir et d’une grande force, sur une haute montagne. » Mais qui est ce Roberval ? Le grand oublié, écrasé par Cartier, de cette première implantati­on française, que Bernard Allaire, dans un ouvrage, La Rumeur dorée, a tenté de réhabilite­r.

Après les deux voyages de Cartier en 1534 et 1535, François Ier, profitant d’une trêve avec l’Espagne, avalisa l’idée d’une implantati­on fixe. Fini le temps des simples exploratio­ns. Or, pour un tel projet, impliquant la fondation d’une ville, la présence d’un seigneur était requise. Cartier n’étant qu’un roturier, Jean-François de La Rocque, sieur de Roberval, fut nommé à la tête de l’expédition. Samson et son collègue Richard Fiset ont exhumé le « mémoire colonial » préparé en 1538 par Jacques Cartier. Tout est planifié : 5 navires pour Cartier, 3 pour Roberval, près de 600 personnes, dont des vignerons, du personnel médical. Mais Cartier doit attendre près de six mois Roberval, retardé en France. Il prépare le logis pour le seigneur, avant d’aller extraire de la pyrite de fer et du quartz dans une mine, que l’on aperçoit de l’autre côté de l’anse. Ayant fait fondre le métal, Cartier et son forgeron pensent avoir trouvé le Graal. Las d’attendre, il revient avec ses hommes vers Terre-Neuve, où Roberval arrive enfin. Lui désobéissa­nt, Cartier retourne en France avec ce qu’il croit être des diamants. « Faux comme des diamants du Québec » : l’expression naît avec sa désillusio­n. Pour aggraver son cas, il a déserté, ce qui explique aussi son discrédit chez les historiens québécois. Quant à Stadaconé, comme l’Hochelaga, premier site indien à Montréal, il demeure introuvabl­e. Certes, on ne s’est guère donné la peine de chercher.

Un peu plus tard, en plein centre de Québec, nous voilà devant ce tesson, au musée de l’Amérique francophon­e, inauguré par Nicolas Sarkozy en 2008. On déambule dans les couloirs déserts de l’exposition « La Colonie retrouvée », qui va être démantelée.

L’île aux Basques (XVIe siècle)

À mesure que le tableau historique du Québec se complétait ont surgi d’autres acteurs : les pêcheurs basques et français. « Des morutiers venus de La Rochelle, de Bretagne et de Normandie, qui fréquentai­ent le Saint-Laurent avant même Cartier, ainsi que les Basques, qui venaient pêcher la baleine », résume Laurier Turgeon, qui a consacré un ouvrage passionnan­t à cette Histoire de la Nouvelle-France (Belin).

Nous voici sur cette île aux Basques, en face de Trois-Pistoles. Turgeon me montre les photos des perles de verre blanches ou turquoise, opaques ou translucid­es, exhumées dans l’île en 1990. Il a pu en retracer l’origine dans les archives de Bordeaux, leur

achat dans cette ville en 1587 par ■ le neveu d’un pêcheur basque de SaintJean-de-Luz, Micheau de Hoyarsabal. Leur destinatio­n ? Les échanges pour la traite de la fourrure au Canada. Elles ont été découverte­s près du four en schiste situé à une centaine de mètres du débarcadèr­e de l’île aux Basques, sur le Saint-Laurent, à 5 kilomètres de la rive sud. Le capitaine Jean-Pierre Rioux, gardien de l’île, m’a convoyé sur son bateau depuis Trois-Pistoles, dont il est aussi le maire. Depuis vingt-neuf ans, il porte un béret basque de marque Jacot, qu’il commande à Bayonne. Il n’est pas basque, mais d’origine bretonne, descendant du premier seigneur de Trois-Pistoles, Jean Riou, originaire de Morlaix, qui en prit possession en 1697. Dans cette ville, tout est estampillé basque, la MRC (municipali­té régionale de comté), l’Ehpad local (Villa des Basques). Il existait même un parc de l’Aventure basque en Amérique, ouvert en 1996 pour y exposer les fouilles, fermé depuis 2010. Il demeure aussi le fronton de pelote, le seul au Québec.

En 1990, le chantier mit au jour les perles, ainsi que des bagues, des traces de feu et de graisse de baleine mélangées à du sable sur les morceaux de schiste des deux fours, et des pointes de silex, traces de la présence d’Amérindien­s. « Entre l’île et la rive nord du Saint-Laurent, vers Tadoussac et Les Escoumins, c’est la salle à dîner des baleines durant l’été, m’explique Jean-Pierre Rioux. Les Basques avaient un savoir-faire appris dans le golfe de Biscaye. Ici, ils chassaient la baleine franche, la plus lente à se déplacer. Ils la ramenaient dans leurs filets à marée haute du côté sud de l’île, attendaien­t la marée basse pour qu’elle s’échoue, puis, avec l’aide des Amérindien­s, la dépeçaient, avant de faire fondre les morceaux dans les fours. La graisse était recueillie dans des tonneaux en chêne. » Phoques et morses étaient aussi recherchés, avec toujours le même objectif, la graisse, au triple usage : savon, fixation pour la teinture des draps, éclairage public.

Dans son ouvrage, Laurier Turgeon décrit la compétitio­n entre pêcheurs basques et espagnols. La mode des chapeaux et habits en castor, dont s’enport tichent les Français après 1580. « Le port du castor, dont les pêcheurs découvrent les fourrures que portent les Amérindien­s, est un signe de distinctio­n sociale et nationale. » « Jusque-là, les fourrures, précise Bernard Allaire, venaient des pays baltes et de la Russie, via les intermédia­ires anglais, flamands, hollandais. » Le castor ramené d’Amérique coûte bien moins cher. Turgeon compare cet engouement à la ferveur pour la morue, qui attire les pêcheurs de toute l’Europe. « Les Espagnols et les Portugais furent les premiers, vers 1500, puis arrivèrent les Français, avant les Anglais, après 1570. » Les Amérindien­s, qui n’en mangeaient pas, s’étonnaient du goût des Européens pour ce poisson. J’observe le fleuve, dont je viens de comprendre qu’il était, au XVIe siècle, l’objet de trafics et d’échanges bien plus intenses que de nos jours.

Durant tout ce voyage, j’ai été confronté à mon ignorance de l’histoire du Québec, auquel de Gaulle souhaita la liberté, un jour de 1967. Ignorée de nos programmes, elle se réduit à une poignée de noms : Cartier, Samuel de Champlain, génial cartograph­e envoyé par Henri IV, qui fera oeuvre de pionnier, Montcalm, général valeureux, qui mourut à Québec en résistant aux Anglais lors de la guerre de la Conquête. Pour le reste, on fait l’impasse. On n’enseigne pas les insurrecti­ons des francophon­es en 1837 contre la domination anglaise. On n’a aucune idée du rapinfâme de lord Durham, gouverneur du Canada, stigmatisa­nt en 1839 la race française, inférieure, sans culture, sans mémoire. Ne parlons pas des autres vaincus de l’Histoire, les autochtone­s, ceux que la Constituti­on, depuis 1985, nomme les « Premières Nations », au nombre de onze au Québec. « Le XIXe siècle ? Un siècle totalitair­e pour eux», résume l’historien Denys Delâge, qui énumère : interdicti­on de pêche, réserves créées par les anglophone­s à partir de 1840, rapts d’enfants amérindien­s envoyés dans les pensionnat­s, pratique qui dura jusque dans les années 1960. Reléguée chez nous dans les tiroirs d’une histoire précolonia­le de l’Ancien Régime, la Nouvelle-France ne fait pas recette: pas de crimes à dénoncer, pas de dérive, comme en Afrique ou en Asie. Ajoutons-y sa fin peu glorieuse : lâchée par le royaume, d’abord sur le champ de bataille face aux Anglais, puis dans les négociatio­ns, où Louis XV préféra au Canada les Antilles pourvoyeus­es d’un sucre plus lucratif que des fourrures en déclin. Le Voltaire qui écrivait à Choiseul : « Je crois que la France peut être heureuse sans le Québec » a gagné. Un bonheur qui se prolonge dans l’amnésie. « Chance fantastiqu­e que nous n’avons pu saisir et défendre, hélas! Pour moi, un regret, un remords », déplore en 1984 Fernand Braudel dans Le Monde de Jacques Cartier. « Dommage en effet », confirme Serge Bouchard, la star de l’Histoire sur les ondes québécoise­s, qui me rappelle l’originalit­é de la présence française : « Une présence commercial­e, non coloniale, basée sur l’échange des fourrures contre les couteaux, miroirs et objets en cuivre. » Alors que les Anglais, débarquant en masse, chasseront les Indiens de leurs terres pour les cultiver, les Français, encouragés par Champlain, se mêlent aux autochtone­s : « Ils deviennent des interprète­s et, par ces contacts, développen­t une expertise unique sur toute l’Amérique du Nord. » On n’a que La Nouvelle-Orléans à la bouche. C’est oublier Detroit, Chicago, Saint Louis, Saint Paul, fondées par des Français. Bien avant l’épopée américaine, il y eut une épopée française. Aujourd’hui, pour ces « hosties de Français », il y a de nouveau un rêve québécois. Le Québec manque de bras, et les Français en profitent. On vient aussi pour les études, la motoneige, les forêts, une idée de la nature ou de l’automne. C’est une autre France, immense, des possibles, et Cartier semble bien loin

L’auteur remercie l’office du tourisme du Québec.

Relégué chez nous dans les tiroirs d’une histoire précolonia­le de l’Ancien Régime, le Québec ne fait pas recette.

 ??  ?? Souvenir. La croix de Gaspé rappelle la première rencontre de Cartier avec les Iroquoiens.
Souvenir. La croix de Gaspé rappelle la première rencontre de Cartier avec les Iroquoiens.
 ??  ?? Conquête. Des stèles en bronze illustrent l’arrivée de Cartier et sa rencontre avec les Iroquoiens.
Conquête. Des stèles en bronze illustrent l’arrivée de Cartier et sa rencontre avec les Iroquoiens.
 ??  ?? Trésor. Le morceau de faïence italienne, découvert en 2005, qui prouve l’établissem­ent de la première colonie française au Canada.
Trésor. Le morceau de faïence italienne, découvert en 2005, qui prouve l’établissem­ent de la première colonie française au Canada.
 ??  ?? Reliquat. Ce lieu, situé dans le parc Cartier-Brébeuf, commémore le deuxième voyage de l’explorateu­r.
Reliquat. Ce lieu, situé dans le parc Cartier-Brébeuf, commémore le deuxième voyage de l’explorateu­r.
 ??  ?? Pêcheurs. Sur l’île aux Basques, vestiges de fours où était fondue la graisse de baleine.
Pêcheurs. Sur l’île aux Basques, vestiges de fours où était fondue la graisse de baleine.

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