Macron l’Hercule face au Hezbollah
Pour nettoyer les écuries d’Augias de la politique libanaise, le président de la République se confronte à un adversaire redoutable.
En se rendant au Liban au surlendemain de l’explosion dévastatrice du 4 août, Emmanuel Macron a manifesté l’influence de la France dans l’un des derniers pays où elle compte encore. Il a su toucher le coeur de beaucoup de Libanais. Il leur a promis son aide pour nettoyer les écuries d’Augias de la politique locale et remettre le Liban debout. La tâche est, assurément, herculéenne. Le nouveau « président de la République libanaise », comme l’a baptisé le site d’informations Daraj, a-t-il les moyens de son ambition ?
L’obstacle qui contrarie le dessein macronien est le Hezbollah. Bras militaire et politique de l’Iran au Levant, le mouvement chiite n’est pas le seul parti politico-mafieux à avoir précipité le pays du Cèdre dans l’abîme. Il est, en revanche, le seul qui puisse l’empêcher d’en sortir. Toute tentative de refonder un État digne de ce nom, à la place de celui qui a si ignominieusement failli, doit prendre en compte cette triste vérité : le Hezbollah, sans lequel rien n’est possible dans ce pays, se battra pour conserver le statu quo.
De tous les groupes confessionnels qui pillent le Liban et maintiennent sa population en coupe réglée depuis des décennies, il n’est sans doute pas le plus corrompu. Mais il est de loin le plus fort, le plus déterminé et le mieux organisé. Il continue de faire obstruction à tout ce qui pourrait réformer les mauvaises habitudes du passé, dont il a tant profité. Il s’oppose à l’abolition du confessionnalisme et du clientélisme, à la vérité sur les comptes publics, à la formation d’un gouvernement indépendant, à l’instauration d’une justice équitable, comme à la transparence dans l’enquête sur l’explosion dans l’entrepôt numéro 12 du port de Beyrouth.
Pire qu’un État dans l’État, le Hezbollah est un État au-dessus de l’État depuis qu’il a fait assassiner, en 2005, le Premier ministre Rafic Hariri, homme lige de l’Arabie saoudite et grand ami de Jacques Chirac. En 2016, il a installé à la présidence de la République le cacochyme chef du principal parti chrétien, Michel Aoun. En 2018, allié avec le parti aouniste et le mouvement chiite
Amal, il a pris l’ascendant au Parlement. Il manipulait le Premier ministre, Hassan Diab, jusqu’à sa démission le 10 août. Il a la haute main sur les services de sécurité nationaux. Il contrôle le port, l’aéroport et les points de passage terrestres avec la Syrie.
Il possède même sa propre armée, plus puissante que l’armée libanaise. Ses troupes sont déployées non seulement dans le Sud, face à Israël, mais aussi en Syrie, en appui de Bachar el-Assad.
Le parti ne défend pas les intérêts nationaux ni même ceux de sa base populaire, mais ceux de l’Iran. Dès la révolution islamique de 1979, Téhéran a identifié le potentiel de la communauté chiite, la plus nombreuse du Liban mais qui était jusqu’alors marginalisée, pour l’aider à atteindre ses buts stratégiques : l’accès à la mer Méditerranée et le contrôle d’un front avec Israël. C’est l’Iran qui a fondé, entraîné et guidé le Hezbollah.
Historiquement, l’Europe ménage le mouvement, à l’instigation de la France, qui se souvient du drame du Drakkar (58 parachutistes français tués dans un attentat suicide en octobre 1983 près de l’aéroport de Beyrouth). Le débat s’intensifie pourtant en coulisses depuis que l’Allemagne a interdit en avril toute activité du parti chiite sur son territoire, après que des centaines de kilos de nitrate d’ammonium – le produit qui a causé la puissante déflagration du 4 août – ont été découverts en Bavière.
Les réformes que la France et l’Europe réclament n’auront pas lieu, car les mettre en oeuvre signifierait, pour les politiques libanais, tuer la poule aux oeufs d’or. Seule la société civile libanaise, qui a prouvé à maintes reprises sa vitalité malgré les fléaux qui la frappent, pourrait faire émerger un Liban nouveau. C’est précisément cela que le Hezbollah entend empêcher par tous les moyens. Emmanuel Macron a engagé le prestige de la France lors de son audacieux déplacement à Beyrouth. Puisse-t-il rester ferme dans le bras de fer de longue haleine qu’il a entamé avec le mouvement chiite. Autrement, l’avenir du Liban sera le plus sombre qui soit. Et l’influence de la France dans la région s’évanouira définitivement
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Bras militaire et politique de l’Iran au Levant, le Hezbollah peut empêcher le Liban de sortir de l’abîme.