Le Point

La colère de Maryse Wolinski

Dans un livre poignant, l’épouse du dessinateu­r continue de s’interroger sur l’attentat, et tutoie le tueur.

- PAR CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

«Qui es-tu pour avoir assassiné mon amoureux ? » Cinq ans après la tragédie au cours de laquelle est mort Georges, l’homme de sa vie, Maryse Wolinski reprend la plume. Dans Au risque de la vie, titre emprunté à une phrase de la philosophe Simone Weil, elle la trempe dans l’encre du deuil et de la douleur avec une lucidité qui touche. Adressé en partie à Chérif Kouachi, dont elle reconstitu­e le parcours sanglant, c’est le récit d’une longue nuit, commencée le 7 janvier 2015 après l’ultime phrase que lui lance le dessinateu­r, « Chérie, je vais à Charlie », et obscurcie encore par le déclenchem­ent d’un cancer au poumon droit. Le « poumon du chagrin », comme elle l’appelle, évoquant au passage les volutes des havanes de Georges. Pourquoi s’adresser au tueur ? « Il s’est incrusté dans ma vie, nous confie-t-elle, et cette idée m’était insupporta­ble, accroissai­t ma colère. Est-ce que ça m’a aidée de m’adresser à lui ? Je n’en sais rien. J’aimerais tellement qu’ensuite ma mémoire soit apaisée… »

Un corps qui souffre. Poignant portrait d’une femme brisée par la violence de l’absence, le livre est aussi, en effet, un cri de colère. Mais du procès, qui lui a permis d’avoir accès au dossier et de pouvoir se pencher sur le tueur, elle n’attend pas grand-chose. « Il va s’agir d’établir le degré de responsabi­lité de chacun des complices dans l’attentat, mais on ne va pas dire pourquoi l’attentat a eu lieu, pourquoi on a retiré, en novembre, les policiers qui étaient devant Charlie Hebdo.

Georges me disait qu’il allait se passer quelque chose, il répétait sans cesse : “Qu’est-ce que tu vas faire quand je ne serai plus là ?” Le standard recevait quand même cinquante menaces de mort par jour. Je voudrais que la vérité soit dite, mais on m’a prévenue : “Madame Wolinski, ce n’est pas à ce procès-là que vous allez assister.” » Dans son livre, elle l’écrit noir sur blanc : « “On” avait fait un choix. (…) Certains syndicats de police, opposés à la surveillan­ce de Charlie,

“journal provocateu­r”, s’étaient exprimés publiqueme­nt sur le sujet. » « Cela ne m’empêchera pas de continuer mes investigat­ions », ajoute-t-elle, ne s’expliquant pas non plus l’absence du GIGN, malgré les appels à la police dès l’entrée des tueurs dans l’immeuble… Au risque de la vie est aussi l’histoire d’un corps qui souffre, de cette «dysharmoni­e qui se crée quand vos mécanismes de défense sont pulvérisés et que l’organisme se met à hurler ». D’une famille fracassée, aussi, par l’onde de choc de cette irruption de violence qui «peut avoir des conséquenc­es sur des génération­s », nous dit encore celle qui voudrait, un jour, devenir une « guerrière ivre de paix et de vie» et ne souhaite qu’une chose, citant Hugo: pouvoir rester le capitaine de son âme

Au risque de la vie, Maryse Wolinski (Seuil, 160 p., 16 €).

En librairie le 3 septembre.

« Je voudrais que la vérité soit dite, mais on m’a prévenue : “Ce n’est pas à ce procès-là que vous allez assister.” »

 ??  ?? Absence. Georges et Maryse Wolinski chez eux, en 1993. Le temps du bonheur avec celui en souvenir duquel elle lancera prochainem­ent la Maison européenne du dessin de presse, un lieu d’exposition et de conservati­on ouvert à tous les dessinateu­rs.
Absence. Georges et Maryse Wolinski chez eux, en 1993. Le temps du bonheur avec celui en souvenir duquel elle lancera prochainem­ent la Maison européenne du dessin de presse, un lieu d’exposition et de conservati­on ouvert à tous les dessinateu­rs.

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