Faune sauvage : l’année des braconniers
La faune africaine, victime collatérale du Covid-19, est décimée par les locaux et les trafiquants.
Le 12 juillet, en effectuant une patrouille, les gardes du parc national des Virunga (République démocratique du Congo) tombent sur Théodore, prisonnier d’un collet. Théodore est un bébé gorille de 3 ans. Un sacré garnement adoré par les touristes. Sa mère et son père, incapables de l’arracher à son piège, sont désespérés. Les gardes doivent anesthésier la mère et éloigner le père pour parvenir à libérer Théodore et soigner sa blessure.
Depuis le Covid-19, les braconniers font feu de tout bois. « La crise du coronavirus conduit à une pénurie des ressources qui met les gorilles à la merci des braconniers », explique Emmanuel de Merode, directeur du parc. L’effondrement du tourisme animalier en Afrique provoque un cataclysme financier. Les pertes se chiffrent en dizaines de milliards d’euros, dont une grande partie finançait les projets de protection. Des millions d’Africains qui bénéficiaient de cette manne n’ont plus rien. Pour faire bouillir la marmite, beaucoup n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers la viande de brousse. Rien que les autorités ougandaises ont recensé des milliers de pièges de fortune dans les dix parcs nationaux du pays depuis le début du confinement à la mi-mars. Dans certaines zones, leur nombre s’est trouvé multiplié par quarante.
En Zambie, la même inquiétude règne. « Ici, le tourisme joue un rôle vital pour fournir des emplois et des revenus aux membres de la communauté qui ont un très faible niveau de vie. Nous craignons l’apparition d’une hausse du braconnage, contre lequel nous luttons déjà durement », s’émeut un représentant de l’ONG Conservation Lower Zambezi. Même son de cloche au Kenya : « Nous prévoyons un pic d’instabilité, un grand besoin parmi les communautés et une pression accrue du braconnage dans les mois à venir », met en garde l’ONG Lewa Wildlife Conservancy. Chaque année, la communauté masai du Kenya recevait 10 millions de dollars en guise de compensation pour ne plus élever de bétail sur ses terres. Cette redevance aétédi visée par deux,p longeantdans la misère de nombreuses familles. Le retour de l’élevage pourrait ruiner les efforts consentis jusqu’à aujourd’hui pour maintenir les lions et les éléphants. Nez à nez. En Ouganda, les autorités ont observé un doublement du braconnage de subsistance entre février et juin 2020 par rapport à la même époque l’an dernier. Dans le parc national de Bwindi, un
gorille à dos argenté célèbre, ■ nommé Rafiki, a été découvert mort le 1er juin, victime d’un jet de lance dans le ventre. Le coupable a été vite identifié dans un village voisin. Il a prétendu être tombé nez à nez avec le gorille alors qu’il chassait de petits animaux et qu’il a agi en légitime défense. Ce qui est peu probable, car l’animal était connu pour son caractère paisible.
Outre le braconnage de subsistance, la chasse illégale pour alimenter le trafic d’ivoire (d’éléphant ou de rhinocéros) ou d’écailles de pangolin a tendance également à s’emballer dans certains pays où la surveillance faiblit. En juin, l’Autorité de la faune sauvage d’Ouganda rapportait la découverte de sept cadavres de girafes. Les lions sont recherchés pour les prétendues vertus médicinales de leur graisse. C’est ainsi que la lionne Juma, une habituée des rives du lac Édouard, a été abattue et sa graisse mise en pot par un braconnier, qui a été arrêté et condamné à deux ans de prison.
Ruée. Le 27 mars, dès que le confinement a été décrété en Afrique du Sud, les braconniers se sont rués dans les réserves publiques et privées. Dans le parc de Dinokeng, près de Pretoria, le braconnage a augmenté de 30 %. « Les deux premières semaines ont été intenses. Les braconniers pensaient avoir la voie libre. Très peu chassent parce qu’ils ont faim. La plupart sont des criminels, qui alimentent le marché local de la viande de brousse, appréciée par les migrants du Zimbabwe, du Malawi et du Nigeria », a déclaré le responsable de la lutte antibraconnage du parc au quotidien suisse Le Temps. Néanmoins, c’est loin de suffire. Au Botswana et en Afrique du Sud, la chasse illégale au rhinocéros redouble. Du coup, les autorités botswanaises se sont résolues, en désespoir de cause, à décorner les derniers rhinocéros qui vivent dans le delta de l’Okavango. Pourtant, la situation n’est pas totalement noire. Le confinement et la difficulté de convoyer l’ivoire vers les pays commanditaires, principalement la Chine, ont ralenti le trafic dans certains pays.
Au Nigeria, le confinement décrété le 30 mars a immobilisé les patrouilles antibraconnage, stoppé la surveillance de l’exploitation forestière, le suivi des trafiquants et l’interception des éleveurs et des agriculteurs empiétant sur les zones protégées. Les braconniers en ont profité pour poursuivre leurs activités illégales, même si eux aussi connaissaient des problèmes pour écouler leur marchandise. En ville, la demande de viande de brousse a diminué. Les Chinois de Lagos, friands des écailles de pangolin, achètent moins en raison de l’incertitude actuelle. En revanche, la vente de pangolins vivants se poursuit, mais à moitié prix. Les braconniers constituent des stocks en attendant de les écouler à la fin du confinement.
Les opérateurs touristiques commencent à craindre de devoir organiser des safaris dans des parcs désertés. Malgré leurs propres difficultés financières, ils aident les populations et les gardes locaux à survivre pour éviter le pire. Ainsi, plusieurs compagnies ougandaises ont distribué des colis de 40 kilos de nourriture aux rangers des patrouilles antibraconnage. Au Botswana et dans les pays d’Afrique australe, où elle gère une cinquantaine de lodges de luxe, la compagnie Wilderness Safaris distribue des colis de nourriture aux villageois et envoie ses employés patrouiller dans les parcs pour déranger les braconniers.
De leur côté, les ONG internationales, qui jouent un grand rôle en Afrique en gérant des parcs ou en finançant les patrouilles antibraconnage, tentent de maintenir leur aide. Par exemple, le Fonds international pour la protection des animaux continue de soutenir la première unité d’écogardes entièrement féminine dans le parc national d’Amboseli, au Kenya. Ainsi, l’«équipe des lionnes» poursuit tant bien que mal sa surveillance.
Dans quel état se retrouvera la faune africaine après le Covid-19 ? Si le retour des touristes se faisait attendre, ce serait, de l’avis de tous les experts, une catastrophe financière pour les nombreux Africains qui vivent du tourisme et pour la faune sauvage. Le petit Théodore a survécu au piège tendu par les braconniers. Pour cette fois…
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Les ONG internationales, qui jouent un grand rôle en Afrique, tentent de maintenir leur aide.