Musique – Marianne Crebassa, l’anti-diva
Rayonnante à Salzbourg, la mezzo-soprano française est emblématique de la nouvelle scène lyrique, sans décorum et sans artifices. Portrait.
Salzbourg, 1958. On jouait Cosi fan tutte dans la cour de la Residenz. Orage, comme il y en a làbas. Repli dans la bibliothèque – au touche-touche, forcément. Août 2020, tout a changé : le festival fête ses 100 ans, il a bien lieu malgré la pandémie, mais public et nombre de concerts sont réduits. Pas de touche-touche : Cosi est donné avec les distances requises et retransmis sur Arte*, visible, dans une mise en scène extrêmement simplifiée, du monde entier.
En scène, incarnant Dorabella : Marianne Crebassa, 33 ans et la beauté du diable. Jeune star, Française de surcroît. Mais très internationale déjà. Elle vit pour moitié à Vienne, désormais. Vienne est le centre où vont être confirmés, en Mozart surtout, les flamboyants espoirs qui demain seront vedettes à Londres, New York, Milan, Munich. New look à l’opéra, nouvelles valeurs, nouvelles ambitions : Marianne, qui a étudié le piano et le chant au conservatoire de Montpellier, n’a pas envie de jouer à la «diva». Elle est femme, elle est actrice d’opéra, elle veut, un, bien faire son métier et, également un : vivre sa vie. Deux priorités, qui vont s’arranger l’une de l’autre.
Paris la reverra en décembre. L’Opéra-Comique reprend le Fantasio monté exprès pour elle : à la fois une ironie à la Musset et les artifices du meilleur Offenbach. Un disque, sorti en 2016, Oh Boy ! (où elle voyageait dans les airs de Mozart ou d’autres compositeurs qui ont confié des rôles de jeunes garçons à une mezzo-soprano), aurait pu la confiner dans les « rôles
en pantalon », comme elle dit. Orphée de Gluck, en un sens, en est un, mais la version de Berlioz y ajoute des prouesses vocales aux mesures de Pauline Viardot, vraie « diva ». Orphée est le grand rôle mythique auquel toutes elles aspirent, mezzos devenant adultes, qui ne savent pas encore où les conduira le développement naturel de leur voix. Marianne ne veut pas voir si loin. « J’écoute ma voix, je m’en tiens à ce que me dit ma voix. Je ne suis pas pressée. À 33 ans, j’ai le temps. Cet hiver, je vais être à la fois la Marguerite de La Damnation et la Cenerentola de Rossini. Deux extrêmes. Chanter dans sa couleur, dans sa sensibilité, c’est ça le plaisir du chant. » Marianne, visiblement, aime ce plaisir-là. Silhouette longue et flexible : le Chérubin des Noces de Figaro lui a valu une ovation à ses récents débuts newyorkais. À New York, star du lyrique, elle aime le quotidien. Marcher en respirant, courir les musées, mourir d’envies chez les galeristes. Oublier les sunlights. « J’adore bouger, être en mouvement, à la ville comme à la scène, j’en profite. Je suis dans la musique depuis vingtcinq ans, le piano, le chant choral, tout. Gamine, j’ai gagné mes vacances en faisant les terrasses du Midi. Je chantais des chansons populaires avec des copains. Je ne sais pas, depuis, ce que c’est que le trac. Mais je préfère encore les longs trajets en train. Là, je réfléchis. Silence. Je me mets en ordre. En un sens, je contemple… »
Sur la scène lyrique, aujourd’hui, on bouge, on respire, au diable le décorum, l’artifice, les accessoires. Cosi, une dramaturgie géométrique à six personnages, s’y prête exemplairement. Salzbourg réussit son centenaire. Et Marianne, sur la scène, rayonne, pas star mais championne. Elle porte en elle ses fortes racines, les Cévennes, la plus lointaine Espagne. Et dans ce Cosi, sous le velours de la voix, ample et chaleureuse, l’acier se sent. L’oeil est noir et sait se faire oblique, piquant. Il y a de la Carmen derrière cet « oeil noir » qui « te regarde ». On la lui réclame partout, cette Carmen. Mais « je préférerais une Charlotte de Werther : une toute simple, humaine, féminité… » Le jour où on l’y verra, si possible dans le même dépouillement, la même absence de chichis que lui offre le Cosi de Salzbourg, la carte du monde lyrique aura trouvé son atout maître
■ À revoir sur https ://www.arte.tv/fr/videos/098629-001-A/cosi-fantutte-de-mozart/
Disponible jusqu’au 31 octobre.
« Gamine, j’ai gagné mes vacances en faisant les terrasses du Midi. Je chantais des chansons populaires avec des copains. Je ne sais pas, depuis, ce que c’est que le trac. »