Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Avoir le masque ne voudra plus jamais dire faire la tête, puisque c’est la tête qu’il masque. Les jeunes filles du monde entier découvrent l’utilité du voile : les hommes restent à distance d’une femme qui cache son visage. Par respect pour la religion ou crainte de tomber sur un gros nez? Le masque supprime les rides. Les bouches amincies par l’âge et aux commissure­s tombantes, les dents jaunies et les mentons fissurés se blottissen­t avec ravissemen­t sous les masques en papier ou en tissu. Le masque est un antirides. Du botox sans seringue. Il laisse parler les yeux, qui ont toujours quelque chose à dire. Dans la séduction, le corps reprend la pole position. La jolie silhouette exposée a pris le pas sur le beau visage caché. Les jambes s’en donnent à coeur joie, inaccessib­les au Covid-19.

Visite, dès notre arrivée à Nice, au restaurant de Nicole Rubi La Petite Maison. Yannis (6 ans et demi) mange tous ses spaghettis à l’huile d’olive qui ne sont pas sur la carte. Les décolletés des clientes sont leur réponse à l’interdicti­on d’exposer leur visage, elles ont autre chose à montrer. Une fois assises, les dames se dévoilent et les hommes se trahissent. Je me dis qu’un bon moyen d’échapper au masque c’est de manger toute la journée, en salle comme en terrasse. Longs breakfasts, interminab­les déjeuners, goûters ralentis, dîners gastronomi­ques et soupers crapuleux : en gardant la bouche pleine, on empêchera les autorités de nous la fermer.

La remise du quatrième prix littéraire de La Petite Maison a été reportée au 17 septembre. Mieux vaut ne pas préciser l’année. On ne sait pas ce que Christian Estrosi, le maire de Nice, nous réserve à la rentrée. Scaphandre obligatoir­e pour tout bain de pieds pris en dehors du domicile familial ? Sur les plages publiques, les gestes barrières sont mieux respectés que sur les plages privées, où il n’y a toujours pas plus de 10 centimètre­s entre deux transats. Les pauvres ont l’habitude d’obéir, outre qu’ils n’ont pas de quoi se payer une amende. Pour 35 €, on peut s’offrir deux grandes pizzas sur une terrasse de la rue de France. Dans les années 1970, c’était le spot principal de la prostituti­on niçoise. Renseignem­ent fourni naguère par l’écrivain Raoul Mille (1941-2021), qui était un bon client et a maintenant une bibliothèq­ue à son nom (bibliothèq­ue Raoul-Mille, 33, avenue Malaussena, 04 97 13 54 28).

Première nuit à l’hôtel Aston-La Scala, le long de la coulée verte. C’est notre domicile niçois depuis plusieurs années. Dans la chambre 315, j’ai relu toute La Recherche en novembre 2016. J’y étais en juin dernier, à la fin du confinemen­t. L’hôtel était presque vide. Aujourd’hui, Éric Trolliard, le directeur, annonce qu’il est complet. Comme les rues du Vieux-Nice. Une différence avec les autres étés : la langue qu’on entend le plus, c’est le français. Dîner à L’Écurie, clin d’oeil au passé de cavalière de mon épouse. Il y avait un jeune SDF dans l’escalier de la Porte-Fausse. Ses genoux étaient noirs, peutêtre à force qu’il marche dessus

Je me dis qu’un bon moyen d’échapper au masque c’est de manger toute la journée, en salle comme en terrasse.

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Apollon masqué, place Masséna, Nice.

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