Le Point

Macron, le jeune homme et la mort

La Grande Faucheuse hante l’Élysée, disait François Hollande. Covid, Liban… Comment son successeur l’affronte-t-il ?

- PAR NATHALIE SCHUCK

Jamais Emmanuel Macron, à bord d’un avion, ne boucle sa ceinture de sécurité, au mépris des consignes aériennes. Et ce depuis le dimanche 5 mai 2002, précisémen­t. Alors qu’à Paris on ne parle ce jour-là que du duel qui oppose dans les urnes Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, le jeune homme, qui a choisi l’ambassade de France au Nigeria pour son stage de première année d’ENA, est dépêché sur le site d’un crash. La veille, le vol 4226 de la compagnie EAS a plongé en flammes après le décollage sur des immeubles et une école du quartier ouvrier de Kano au nord du pays, faisant près de 150 victimes, dont deux ressortiss­ants français. À la morgue, il découvre les corps calcinés, démembrés, pour certains scindés en deux par cette ceinture qui devait les protéger.

Comme une épreuve initiatiqu­e, un avertissem­ent, quinze ans avant son accession au sommet de l’État: présider aux destinées du pays, c’est se confronter à la mort, escorter un long cortège de victimes et consoler les familles, dans la lignée des rois thaumaturg­es. « Un leader est une épaule sur laquelle pleurer », lui a écrit un Libanais rencontré lors de sa récente visite au pays du Cèdre. L’année 2020 et son lot de désastres sont là pour lui rappeler que la mort hante la fonction présidenti­elle.

« Un leader est une épaule sur laquelle pleurer. »

Un Libanais à Emmanuel Macron

■ « Une chose le frappe depuis son élection, c’est qu’il fait face à des interlocut­eurs qui sont tous habités par la violence, pour qui la vie a un prix très relatif. On est dans un monde en guerre où la mort peut arriver très vite », raconte un fidèle. Le 6 août, alors que le président arpente les ruines fumantes du port de Beyrouth, les secouriste­s cherchent encore des survivants dans les décombres de béton et de métal enchevêtré­s. La gorge nouée, les membres de la délégation française aperçoiven­t des manuels scolaires au sol. Vision d’apocalypse. Dans un quartier sinistré, des cris fusent soudain en arabe. Emmanuel Macron croit qu’on lui reproche sa visite, deux jours après la catastroph­e. La traductric­e le rassure. Ce sont des femmes, au visage ravagé de larmes, qui l’implorent, des hommes qui lui hurlent leur colère contre un pouvoir corrompu aux cris de « Révolution ! »

Trois jours plus tard, rentré à Brégançon (Var), il est informé que six jeunes humanitair­es français ont été exécutés au Niger. Le soir venu, il appelle Frédéric de Saint-Sernin, directeur général délégué de l’ONG Acted et ancien ministre chiraquien. Des mots de réconfort, chargés d’émotion. Il recevra aussi les familles. Nul ne l’a su, tant l’Élysée se montre peu disert dans ces moments délicats. Capable de passer des heures avec des familles endeuillée­s, ce président souvent théâtral se fait pudique sur les drames intimes. Au risque, à trop se cadenasser, de se voir reprocher un manque de coeur. « C’est un grand affectif, mais il cherche tellement à maîtriser ses émotions qu’il réussit à les bloquer, parfois trop. Il est totalement en empathie avec les gens qui souffrent, mais il redevient aussitôt après sans affect, comme il pense qu’un président doit se comporter », témoigne un intime.

Pas un mot sur le deuil ou sur la fin de vie dans son livre programme Révolution (XO). Emmanuel Macron n’en parle jamais en public, pas davantage dans ses réunions à huis clos. Il fuit les questions sur le sujet, quand certains de ses prédécesse­urs, plus âgés, aimaient y revenir à satiété. François Mitterrand, rongé par le cancer, avait entamé son mandat en 1981 au milieu des tombeaux illustres du Panthéon. « J’allais avec Mitterrand visiter des catacombes en Charente. Je lui disais : “Vous priez, monsieur le président ?” Il me répondait : “Je parle à mes morts’’ », se souvient l’ancien socialiste, devenu macroniste, François Patriat.

Emmanuel Macron, baptisé à sa demande à l’âge de 12 ans et éduqué chez les jésuites, avant de devenir agnostique, entretient un rapport tourmenté à la transcenda­nce et au trépas. « Sur ces sujets qui touchent à l’intime, il est d’une pudeur extrême. C’est une question qui reste pendante chez lui », expose un proche. Son âge, 42 ans, n’est pas en cause, assurent ses amis. « C’est un homme jeune, mais ce n’est pas un jeune homme. Voyez son visage ! C’est quelqu’un qui, par sa vie, est beaucoup plus âgé que son état civil. Il s’est formé au contact de génération­s bien plus âgées que la sienne », relève François Bayrou, confident à ses heures.

Larmes. Tout quadragéna­ire qu’il soit, le président connaît la morsure brûlante du deuil. Il l’a expériment­ée dans sa chair. Quelques mois avant d’accéder à l’Élysée, il a perdu son mécène, Henry Hermand, qu’il présentait comme son « meilleur ami » malgré leurs cinquante-trois ans d’écart, et Michel Rocard, qu’il considérai­t comme l’un de ses mentors. « Sylvie Rocard était venue au meeting de la Mutualité en juillet 2016 avec dans sa voiture les cendres de Michel, qu’elle emmenait en Corse », glisse un Marcheur. Un pilier de la campagne se souvient aussi de ce discours improvisé par le candidat après que la Marcheuse Corinne Erhel eut succombé à un malaise cardiaque à l’avant-veille du second tour. « Il n’est pas arrivé au bout. On sentait les larmes. »

La disparitio­n de sa grand-mère Germaine Noguès, dite Manette, surtout, reste une plaie à

Morte dans ses bras en 2013, sa grand-mère était l’autre femme de sa vie.

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En soutien aux Beyrouthin­s, le 6 août, après l’explosion qui a dévasté leur ville.
Consolatio­n. En soutien aux Beyrouthin­s, le 6 août, après l’explosion qui a dévasté leur ville.
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La disparitio­n de sa grand-mère Germaine Noguès, dite Manette (ici, lors de son mariage à la mairie du Touquet, le 20 octobre 2007), reste une plaie à vif.
Album de famille. La disparitio­n de sa grand-mère Germaine Noguès, dite Manette (ici, lors de son mariage à la mairie du Touquet, le 20 octobre 2007), reste une plaie à vif.
 ??  ?? Livre de chevet. « On dit : le Temps apaise le deuil. Non, le Temps ne fait rien passer », écrit Roland Barthes dans « Journal de deuil ».
Livre de chevet. « On dit : le Temps apaise le deuil. Non, le Temps ne fait rien passer », écrit Roland Barthes dans « Journal de deuil ».
 ??  ?? Marqué. Avec Brigitte, aux obsèques de son « meilleur ami », Henry Hermand, le 10 novembre 2016.
Marqué. Avec Brigitte, aux obsèques de son « meilleur ami », Henry Hermand, le 10 novembre 2016.

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