Le Point

Radicalisa­tion dans les services publics, le rapport qui fait peur

Transports, éducation, sport… le député Éric Diard, auteur d’un rapport en 2019, a poursuivi ses investigat­ions. Il en tire un livre édifiant*.

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Éric Diard ne lâche jamais sa proie. Ce député LR des Bouches-duRhône – végétarien et militant de la cause animale – s’est fait remarquer l’année dernière en publiant un rapport parlementa­ire sur les services publics face à la radicalisa­tion, dans lequel il soulignait les résultats pour le moins contrastés de l’action publique sur le sujet. Depuis, l’élu n’a cessé d’enquêter, en compagnie d’Henri Vernet, rédacteur en chef adjoint au Parisien. Les deux hommes ont repris et approfondi les investigat­ions auprès de grands témoins et de spécialist­es du renseignem­ent, s’affranchis­sant du carcan du PalaisBour­bon et de son goût pour l’euphémisme. Ils racontent sans détour ce qui se dit dans le huis clos des commission­s et de la haute administra­tion, jouent aussi aux aiguillons, allant jusqu’à confronter des responsabl­es publics à des informatio­ns alarmantes sur leurs secteurs, ou réclamant des comptes auprès d’une ministre des Sports trop laxiste à leur goût. Une année d’enquête pour un livre comme un coup de poing

Le Point: Vous êtes à l’origine d’un rapport parlementa­ire sur les services publics et la radicalisa­tion, paru en 2019, dans lequel vous pointiez le manque de préparatio­n des services de l’État face au risque terroriste. Vos 35 propositio­ns ont-elles été suivies d’effet? Éric Diard :

Seule l’ancienne garde des Sceaux Nicole Belloubet nous a confirmé avant son départ que le ministère de la Justice avait adopté 5 propositio­ns sur les 15 que nous lui avions formulées. Parmi ces mesures, il y a la formation à la prévention de la radicalisa­tion à l’École nationale des greffes, à l’École nationale de la magistratu­re ou encore à l’École nationale d’administra­tion pénitentia­ire. Maintenant, un service de police vérifie que les nouveaux surveillan­ts pénitentia­ires ne sont pas identifiés par les services de renseignem­ent comme de potentiels radicalisé­s. Ça peut sembler idiot, mais ça n’était pas le cas jusqu’à présent ! Nous avons bien fait d’insister : une centaine de surveillan­ts ont été écartés, dont une quinzaine pour radicalisa­tion… Cela dépasse le cadre de la radicalisa­tion, car, sans cette procédure, l’administra­tion pénitentia­ire n’aurait par exemple pas découvert qu’elle s’apprêtait à recruter une personne condamnée pour complicité d’évasion !

Vous avez souhaité poursuivre l’enquête pour en faire un livre. Vous n’aviez pas dit tout ce que vous souhaitiez?

Un rapport parlementa­ire, c’est une descriptio­n clinique des choses, qui s’écrit à base d’auditions, pour la plupart à huis clos. Dans un rapport parlementa­ire, on ne ressent pas la puissance ou l’émotion de certains témoignage­s. C’est pour ça qu’on a décidé d’en faire un livre. On a auditionné à nouveau les protagonis­tes les plus intéressan­ts du rapport, et complété notre enquête avec d’autres témoignage­s d’acteurs de différents secteurs, notamment issus du renseignem­ent ou du monde de la santé. Je pense notamment au témoignage de Patrick Pelloux, qui m’a raconté des choses terribles sur ce qui se passe en ce moment dans les hôpitaux de France, où le prosélytis­me religieux prospère sans que personne ne s’en émeuve. Nous avons aussi longuement échangé avec Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français. Lorsque j’ai abordé avec lui le fait que l’Unité de coordinati­on de la lutte antiterror­iste avait repéré une vingtaine de sportifs de haut niveau fichés S, il a été secoué. Il n’était pas au courant, car les services de renseignem­ent ne sont pas tenus de l’informer sur ses sportifs !

Ce que vous écrivez sur le secteur des transports est inquiétant.

Oui, la RATP, notamment, est confrontée à un phénomène de communauta­risation qu’elle a du mal à reconnaîtr­e. Le hasard a voulu que je me retrouve dans une radio avec un syndicalis­te de la RATP. On débat, on discute. À chaque cas de dérive communauta­riste que je soulève, il me répond que ce n’est qu’un cas, et qu’on ne peut pas en tirer de généralité­s… L’émission se termine, nous prenons un taxi ensemble et poursuivon­s nos échanges. Il tente de me convaincre qu’il y a peu de problèmes de communauta­risme à la RATP… Sauf que, en arrivant devant l’Assemblée nationale, le chauffeur de taxi qui avait entendu toute la conversati­on nous a interpellé­s: venu d’Algérie dans les années 1980, son fils, entré à la RATP six mois plus tôt, se voyait régulièrem­ent rappelé à l’ordre par ses nouveaux collègues, qui l’obligeaien­t à aller à la mosquée. Le chauffeur de taxi s’est tourné vers moi et m’a dit : « Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’en arrive là ? » Le syndicalis­te s’est décomposé…

Le procès des attentats de «Charlie Hebdo», de Montrouge et de l’Hyper Cacher s’ouvre dans quelques jours. L’État aurait-il pu éviter ces drames?

Dans une société démocratiq­ue, on ne peut pas éviter tous les attentats, mais beaucoup auraient pu être déjoués si les informatio­ns avaient correcteme­nt circulé entre tous les services de renseignem­ent. Les agents qui travaillen­t dans le renseignem­ent sont des vrais profession­nels, mais, ils sont les premiers à le reconnaîtr­e, l’organisati­on très morcelée du renseignem­ent français et la technostru­cture amoindriss­ent l’efficacité de leur travail. Je prends l’exemple de Michaël Chiolo, qui a attaqué au couteau deux surveillan­ts de la prison de Condé-sur-Sarthe l’année dernière. On découvre avec stupéfacti­on que les faits se sont déroulés dans l’unité de vie familiale, ce qui signifie qu’il était considéré comme un « bon détenu ». Il était déjà passé par les prisons de Besançon et de Mulhouse, dans lesquelles il avait attiré l’attention du Renseignem­ent en proférant des menaces à l’encontre du personnel et en faisant l’apologie de ce qui s’est passé au Bataclan. Dans cette histoire, on sent bien que l’informatio­n n’a pas circulé correcteme­nt. Pour ce qui est des attentats de 2015, les services savaient que Charlie Hebdo était une cible particuliè­re, il existait une protection, mais ça n’a pas suffi.

L’État est-il resté inactif face à cette radicalisa­tion?

Entre ce que voient les agents de terrain et la prise de décision subsiste parfois un temps beaucoup trop long. Je prends un autre exemple : la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », a été promulguée le 30 octobre 2017. Cette loi prévoit de mettre en place une commission mixte paritaire pour passer au crible des fichiers de renseignem­ent tous les agents de police et de gendarmeri­e déjà en place… En juin 2019, cette mesure n’était toujours pas effective, car il manquait toujours une circulaire signée de la main de la secrétaire générale de la Défense et de la Sécurité nationale, Claire Landais, qui a depuis été nommée secrétaire générale du gouverneme­nt… La commission a été mise en place le 24 octobre 2019, c’est-àdire au lendemain de l’attentat de la préfecture de Paris [attaque au couteau perpétrée par Mickaël Harpon, adjoint administra­tif à la préfecture, NDLR], deux ans après le vote de la loi. Je sais que tout n’est pas simple, mais, deux ans, c’est beaucoup trop long quand il s’agit de contrer le terrorisme.

Vous écrivez que les autorités n’ont pas pris la mesure du danger que représente le milieu du sport, considéré comme le premier lieu potentiel de radicalisa­tion djihadiste.

Oui, le sport est un angle mort majeur de la politique générale. Comme tout le monde, nous pensions que le sport était un vecteur d’intégratio­n, sans jamais imaginer qu’il pouvait aussi être vecteur de repli communauta­ire, voire de radicalisa­tion. C’est le spécialist­e Médéric Chapitaux qui a mis ce phénomène en lumière. Certaines associatio­ns sportives sont devenues des lieux de radicalisa­tion, avant même la mosquée ou Internet. Je ne vous raconte pas le nombre de clubs de futsal, de musculatio­n ou de sports

« Pour la ministre Roxana Maracinean­u, le monde du sport, c’est comme une pub McDo, vous y venez comme vous êtes, y compris en burkini. »

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Député LR des Bouches-du-Rhône
Éric Diard Député LR des Bouches-du-Rhône
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Fidèles. 12 avril 2019. Prière devant la mosquée des Oliviers A, à Marseille, fermée par décision de justice quelques mois plus tôt.

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