Entretien avec Joshua Wong : « Le monde va-t-il nous défendre ? »
Après une vague d’arrestations sans précédent, l’icône du mouvement démocratique veut se « battre jusqu’à la dernière minute ».
Le Point: Comment avez-vous vécu les arrestations de Jimmy Lai et d’Agnes Chow?
Joshua Wong: Ç’a été un choc. Le matin, à 7 h 30, quelqu’un m’a appelé et demandé : « As-tu été arrêté ? » J’ai répondu que non. Cette personne m’a donc annoncé que Jimmy Lai avait été interpellé. Deux heures plus tard, un journal pro-Pékin a affirmé qu’il savait déjà que dix personnes seraient arrêtées dans la journée. Nous avons appris peu après que six proches et collaborateurs de Jimmy Lai avaient été raflés. La descente dans les locaux du journal était une attaque sans précédent contre la liberté de la presse. C’était terrible, nous n’imaginions pas que cela puisse se produire. Et je me demandais qui seraient les trois autres interpellés. Deux noms sont finalement tombés, dont celui de Wilson Li, un ancien membre de Scholarism, le syndicat étudiant auquel j’appartenais quand j’étais encore au lycée. Je me suis dit alors que je serais peut-être le dernier. Cela a été une surprise totale quand nous avons su que c’était Agnes Chow. Elle ne fait pas partie des cibles principales, du top 5 ou même du premier niveau. À mon avis, ils ont eu une mauvaise source de renseignement qui leur a affirmé qu’Agnes a fondé ou dirigé le groupe de lobbying international. Mais ce n’est pas vrai !
Pourquoi ces arrestations au titre de la loi sur la sécurité nationale sont-elles plus graves que les précédentes?
Car maintenant, nous risquons des peines de perpétuité, d’être extradés en Chine et jugés à Pékin, par des juges de Chine continentale. C’est autre chose !
Comme Jimmy Lai, vous aviez été désigné cible prioritaire par des médias d’État chinois.
« Maintenant, nous risquons des peines de perpétuité, d’être extradés en Chine et jugés à Pékin, par des juges de Chine continentale. C’est autre chose ! »
Craignez-vous d’être arrêté vous aussi?
C’est très difficile à prédire. Cela dépend des réactions internationales, de la dynamique globale. Est-ce que le monde défendra Hongkong ? Peut-être que Jimmy Lai n’était que le premier round, et que Joshua Wong sera le second.
Cela vous fait-il peur?
Tout le monde craint pour sa sécurité personnelle, pas seulement les activistes. Ils peuvent aussi vous arrêter, vous ! Ils poursuivent Samuel Chu, un citoyen américain, certes né à Hongkong, mais qui ne parle pas cantonais couramment et qui habite aux États-Unis depuis vingt-cinq ans. En quoi cela pose-t-il problème qu’un citoyen américain ait mené une campagne de lobbying au Congrès américain en faveur du vote d’une loi qui serait appliquée par son propre gouvernement [Samuel Chu est visé par un mandat d’arrêt pour avoir milité pour l’adoption de la loi sur l’autonomie de Hongkong adoptée en juillet 2020, sanctionnant la Chine et les dirigeants hongkongais qui ont imposé la loi sur la sécurité nationale, NDLR] ?
Votre ami Nathan Law a choisi l’exil. Pourquoi êtesvous resté à Hongkong?
Je suis soumis à une interdiction de quitter le territoire. Quoi qu’il en soit, je veux me battre jusqu’à la dernière minute.
De nombreux opposants hongkongais, dont vous, se disent surveillés. Qui mène ces surveillances?
S’il ne s’agissait que de journalistes pro-Pékin, ce ne serait pas un problème. Si ce sont des policiers hongkongais, au moins ils nous arrêteront et nous mèneront au poste de police. Mais s’il s’agit d’agents du bureau de la sécurité nationale, est-il impossible qu’ils nous conduisent en Chine continentale ? Rien n’est impossible.
Avez-vous des regrets à propos des manifestations de l’année passée, qui ont provoqué la colère de Pékin et mené à cette loi draconienne?
L’année dernière, nous nous sommes opposés à la loi d’extradition. Nous avons gagné en septembre, quand Pékin a été contraint de la retirer. Je n’ai pas le moindre regret d’avoir contribué à un tel succès. Par contre, quand 1, puis 2 millions de Hongkongais sont descendus dans la rue en juin 2019, j’étais en prison. J’ai regretté profondément de ne pas avoir pu me joindre à eux. Bien sûr, cela a mené à un durcissement de la répression. Mais fallait-il abandonner par avance ? Personne ne pouvait s’attendre au Covid-19 ni à cette loi sur la sécurité nationale. Même Pékin ne s’attendait pas à ce que l’épidémie se poursuive jusqu’en août. Encore moins les politiciens pro-Pékin de Hongkong. C’est le Covid-19 qui a conduit à ce changement considérable dans l’ordre du monde et dans l’état de la communauté internationale.
Comment les Hongkongais peuvent-ils encore défendre leurs droits?
Le 1er juillet, au lendemain de l’édiction de la loi sur la sécurité nationale, il y a eu au moins 100 000 personnes dans la rue. Les 11 et 12 juillet, 600 000 Hongkongais se sont déplacés pour participer à des primaires du camp démocrate. Malgré les restrictions liées au Covid-19, nous soutenons les restaurants prodémocratie. Par ailleurs, la hausse de 1 000 % des actions de Next Digital [le groupe de presse de Jimmy Lai, NDLR] au lendemain de la perquisition d’Apple Daily est un mode de contestation typiquement hongkongais
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