Macron à la peine face à Erdogan
Prendre en compte la dimension européenne aiderait la France à développer une politique efficace en Méditerranée.
dans l’ordre social ». Au cours des dernières semaines, des signaux de défiance à l’égard des devises traditionnelles ont commencé à apparaître. Comme la flambée du cours de la cryptomonnaie bitcoin (+ 22 % en un mois), plébiscitée par les jeunes générations, ou de l’or, valeur refuge préférée des plus anciennes, avec un prix de l’once venant de franchir la barre des 2 000 dollars.
Pour réduire le montant de leurs dettes, les rois du Moyen Âge usaient et abusaient de l’altération monétaire, procédé consistant à diminuer la teneur en métal précieux des pièces. Philippe le Bel fut un éminent spécialiste de ces manipulations. La pandémie de Covid-19 avait déjà réhabilité la pratique médiévale de la quarantaine à l’égard des personnes pestiférées. Il semble qu’elle soit également en passe de restaurer le règne des États et des souverains faux-monnayeurs
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La Méditerranée est une mer à haut risque politique. Les escarmouches maritimes entre Athènes et Ankara cet été en témoignent. La Turquie de Recep Tayyip Erdogan n’hésite plus à envoyer sous escorte militaire des navires de forage rechercher des hydrocarbures à quelques encablures des îles grecques. Les découvertes d’immenses gisements de gaz ces dernières années en Méditerranée orientale ont aiguisé les convoitises. Le président turc, qui veut sa part du gâteau, viole sans vergogne la frontière maritime de l’Union européenne telle qu’elle découle de la convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Les esprits s’échauffent et les incidents armés risquent à tout moment de dégénérer. Le 12 août, une frégate turque et une grecque se sont heurtées. Trois semaines auparavant, les deux parties avaient failli en venir aux mains autour de la petite île grecque de Kastellorizo, à moins de 2 kilomètres au large de la péninsule anatolienne. Emmanuel Macron a pris sans ambages le parti d’Athènes et de Nicosie, en envoyant deux avions de combat Rafale et deux bâtiments de la Marine nationale patrouiller la zone. En février, le porte-avions Charles-de-Gaulle y avait déjà fait quelques ronds dans l’eau. Le président de la République a de multiples raisons d’intervenir. Laisser faire la politique agressive du président turc signerait un abandon du droit international. La France, qui possède elle-même un immense domaine maritime, a tout intérêt à faire respecter le droit des mers.
Les liens d’amitié qu’elle entretient de longue date avec la Grèce et Chypre la poussent à l’action, de même que ses ambitions stratégiques au Levant, illustrées par le déplacement éclair de Macron au Liban le 6 août. Enfin, le lourd contentieux entre Paris et Ankara, autour de la question arménienne, du sort des Kurdes, du conflit en Libye ou du prosélytisme des Frères musulmans parrainés par Erdogan nourrit les préventions de l’Élysée.
Cependant, aussi justifiée que soit son action, l’incapacité du président de la République à rallier derrière lui l’Union européenne et l’Otan est préoccupante. Malgré un appel pressant de la France, les ministres des Affaires étrangères de l’UE, convoqués le 14 août par visioconférence, se sont abstenus de toute sanction à l’égard de la Turquie. L’Italie et l’Espagne, deux puissances qui comptent en Méditerranée, y étaient réticentes, tandis que l’Allemagne, qui assure ce semestre la présidence en exercice du Conseil, est restée circonspecte. Angela Merkel, qui a l’oreille de Recep Tayyip Erdogan, cherche à promouvoir la désescalade.
L’activisme de la France suscite la méfiance de ses partenaires. Son cavalier seul en Libye ces dernières années en a irrité plus d’un en Europe. Son analyse des rapports de force n’est pas partagée par tous, beaucoup considérant la Russie plus menaçante que la Turquie, qui est membre de l’Otan. Déjà, au mois de juin, lorsqu’un incident avait opposé des navires français et turcs au large de la Libye, la France n’avait reçu qu’un soutien tiède de ses alliés. Ces manifestations manquées de solidarité font le jeu d’Erdogan et accentuent les difficultés d’Emmanuel Macron. Elles montrent les limites de l’action de la France lorsqu’elle néglige de construire un consensus minimum avec ses partenaires européens. Malgré ces revers, le président de la République a raison de nourrir de grandes ambitions en Méditerranée. Les enjeux sécuritaires, migratoires, énergétiques, culturels ou politiques y sont essentiels pour la France comme pour l’Union européenne. Le 13 juillet, dans une adresse aux armées, Emmanuel Macron a confié : « La zone Méditerranée sera le défi des prochaines années, tant les facteurs de crise qui s’y conjuguent sont nombreux (…). C’est pourquoi j’appelle au développement d’une véritable politique européenne pour la Méditerranée. C’est à mon sens une nécessité et une urgence. » On ne saurait mieux dire. Reste à s’y atteler
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L’activisme de la France suscite la méfiance de ses partenaires. Son cavalier seul en Libye en a irrité plus d’un en Europe.