Des premiers pas féroces
Laurent Petitmangin raconte la chute d’un fils dans une Lorraine en perdition.
QuelquepartenLorraine,commechaquedimanche, un père regarde son fils jouer au football. « Quand je regarde Fus jouer, je me dis qu’il n’y a pas d’autre vie […]. Il y a ce moment avec les cris des gens, le bruit des crampons qui se collent et se décollent de l’herbe […] cette rage gueulée à fond de gorge quand ils marquent ou prennent le premier but. » Scène douce, ordinaire, pourtant prélude à des catastrophes majeures. Avec Ce qu’il faut de nuit, premier roman sous haute tension, Laurent Petitmangin raconte l’histoire d’un cheminot qui élève seul ses deux garçons après la mort de leur mère. L’aîné va basculer dans une mauvaise spirale. Parce qu’il se laisse happer par les sirènes de l’extrême droite, malgré son père, militant socialiste. « J’avais envie de raconter une déception, explique l’auteur. Qu’est-ce qui se passe quand ce qu’un père a projeté pour ses enfants ne se passe pas du tout comme il le pensait ? »
Le pire reste pourtant à venir… « Est-ce qu’on est responsable de ce qui nous arrive ? » s’interroge le père. Le roman, tout en délicatesse, se gardera bien de trancher. Père de quatre enfants, une fille et trois garçons, Laurent Petitmangin explore la transmission et ses échecs. L’émotion est vive mais le pathos tenu à distance, dans une langue à la mélopée sombre.
Cette Lorraine un peu en perdition, l’auteur, luimême fils de cheminot, la connaît bien pour y avoir vécu les dix-huit premières années de sa vie – et il en parle non sans tendresse. La défaite intime, ici, est aussi collective. Mais Petitmangin a l’art de porter sur ses personnages – même vaincus, même coupables – un regard terriblement humain
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Ce qu’il faut de nuit, de Laurent Petitmangin
(La Manufacture de livres, 198 p., 16,90 ¤).
« J’en peux plus de leurs conneries. À tout compter, tant qu’ils mouillent le maillot, même avec des pieds carrés, ils peuvent bien rester. »
Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit