« Histoire du fils » en quête du père
Sur près d’un siècle, MarieHélène Lafon nous offre, dans une langue fluide, un roman dense et chatoyant.
«Elle avait jeté d’un seul élan, comme on récite un poème devant le maître de la classe, sans le regarder, sans respirer, et sans bouger, le corps vrillé, ta mère m’a dit hier pour ton père, il s’appelle Paul Lachalme. » Au lendemain de son mariage, le 19 août 1950, de la bouche de son épouse, André obtient un nom. Depuis l’âge de 10 ans, il est en quête. De « la chose, ou le trou du père, ou le gouffre de Padirac », comme il l’appelle. « Une vie entière à flairer les traces du père, de loin ou de près, à Paris ou dans le Lot. » Voilà ce que raconte Histoire d’un fils. Quoi de plus classique pour faire roman, dira-t-on ? Mais c’est une de nos écrivaines, aussi majeure que discrète, Marie-Hélène Lafon, qui l’écrit. Avec ce tempo immémorial d’une langue fluide, classique et réinventée à force d’en avoir amoureusement labouré le matériau. À la fois liturgique et paysanne, elle résonne en écho à celle de Pierre Michon
– le « Père Michon », surgit d’ailleurs dans ce livre en prof de lycée venant de Guéret. D’un Pierre Bergounioux, aussi, dont l’enfance se partage entre triste Corrèze et lumineux Quercy. Soeur des écrivains de ces contrées de France peu représentées, cette professeure de lettres classiques éprise de Flaubert, auquel elle a consacré son avant-dernier livre, a quitté toute jeune son Cantal pour la région parisienne et situe ce dernier opus entre son pays natal, traversé par la rivière Santoire, et le Lot, et puis Paris. Son oeuvre, qui vient d’être récompensée par le Grand Prix de la Société des gens de lettres, est habitée par ce mouvement entre la terre et la ville, la sensualité des éléments, des corps, et l’intimité des relations imbriquées à l’âme du « pays ». Harmonieusement ou en souffrance, à lire ou à relire, son inoubliable Joseph. Histoire du fils est une nouvelle porte d’entrée dans cet univers à la fois dépouillé et somptueux, avec de plus nombreux personnages et une chronologie ambitieuse, qui s’étend sur près d’un siècle et tient en 176 pages.
Tableaux vivants. Tout commence en 1908 avec les pieds nus d’Armand, 5 ans, qui glissent sur le parquet pour ne pas réveiller Paul, son jumeau. Armand aime tant « les odeurs et les couleurs des gens, des choses, des pièces ou des moments », il porterait presque l’art littéraire de l’autrice. En 1919, Armand a disparu du paysage, ce sont les pieds froids de Paul, pensionnaire à Aurillac, qui entament le second chapitre d’un livre structuré en aller et retours par des journées « clés », sur plusieurs générations, d’une famille unie à une autre, presque malgré elle. Par un « accident » nommé André, né de la brève rencontre de Paul, venu de Chanterelle et âgé de 15 ans, avec Gabrielle aux yeux clairs, venue de Figeac, et quasi trentenaire (comme la célèbre Gabrielle Russier), infirmière au lycée. Ce fils aura deux mères, car Gaby, partie faire sa vie à Paris, le confie à sa soeur Hélène et ne le retrouve que l’été. Dans cette partition, Marie-Hélène Lafon fait des boucles avec le temps, les familles, les liens, les drames et les bonheurs, elle scande ses phrases charnelles d’expressions adorables, « il a bonne façon et connaît manière», enchante les tableaux vivants de chaque époque, jusqu’à éclairer l’autre accident caché, « une mort qui ne s’élime pas ». La fin vous tire des larmes mais dans une digne délicatesse, celle d’une littérature qui met la vie à nu
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Histoire du fils, de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel, 176 p., 15 €).
« Ce don qu’il avait toujours eu de se sentir partout à sa place, légitime et désiré, venait de là, de Chanterelle, du nom, de la mère, de la maison, des terres, de l’air cru. »
Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils