Lola Lafon nous fait « chavirer »
L’autrice de La Petite Communiste qui ne souriait jamais s’attaque aux violences sexuelles dans son nouveau roman.
Est-ce parce que la danse est l’une des grandes passions de sa vie ? Avec Chavirer, Lola Lafon réussit l’exploit de signer un roman autour d’une agression sexuelle qui ne pèse ni n’insiste jamais, mais qui emporte et vise au plus juste. L’autrice de La Petite Communiste qui ne souriait jamais (sur la gymnaste roumaine Nadia Comaneci) ou de Mercy, Mary, Patty (sur l’héritière Patty Hearst, passée du côté de ses kidnappeurs) livre sans doute ici l’un de ses romans les plus forts. « La danse déteint beaucoup sur l’écriture, nous avoue-t-elle. J’aime quand les choses ont l’air faciles. Quand on danse, on sourit. Et dans l’écriture, comme la danse, on ne doit pas voir l’effort. »
La danse, c’est justement le rêve de son héroïne, Cléo, adolescente dans les années 1980. Pas l’univers chic des ballets, non, le modern jazz et son énergie folle. Elle croise un jour une femme, Cathy, qui lui promet une bourse. Mais cette dernière oeuvre en fait pour un réseau de prédateurs qui joue des rêves des jeunes filles pour organiser des dîners troubles. « Je voulais d’un système sans violence, explique Lola Lafon. On ne cesse de demander à Cléo: “Tu veux bien ?” Et la honte, alors, devient presque impossible à briser. » Piégée, égarée, Cléo jouera à son tour les rabatteuses auprès d’autres collégiennes. « Je m’inquiète beaucoup des cas ambigus, questionne la romancière. Avec #MeToo, que va-t-on faire de celles qui ont dit oui ? Cléo est une victime coupable. Mais, dans beaucoup de cas, on peut trouver quelque chose de culpabilisant pour la victime. » Le roman résonne d’autant plus à l’heure des débats qui ont accompagné la sortie du Consentement , de Vanessa Springora, et de certains scandales récents, en particulier l’affaire Epstein. Lola Lafon n’avait pas attendu cette actualité pour s’interroger sur les violences sexuelles – au coeur de plusieurs de ses romans, dont Une fièvre impossible à négocier, dès 2003.
Sa force est de construire avant tout un puissant portrait de femme. Le roman suit Cléo au fil des années, qui se débat avec l’impossibilité de se pardonner. « La fiction peut examiner comment on traverse une vie quand on ne peut pas se targuer d’être totalement innocent », résume la romancière. Rien de sinistre ou d’abstrait dans
cette quête. Cléo multiplie les rencontres, vit une grande passion, devient l’une de ces danseuses à la fois tapageuses et invisibles qui égaient les soirées télévisées façon Champs-Élysées. Lola Lafon, plutôt adepte de la danse classique, en a rencontré plusieurs pour préparer le roman. « J’ai été frappée de voir à quel point elles ont été importantes dans la culture populaire, avec leur énergie, et cette sensualité assumées. Je me suis interrogée sur le mauvais goût, moi qui assume d’aimer les paillettes et les overdoses de lumières ! » La lumière est bien là dans ce roman qui explore l’abîme. Si vous ne deviez lire qu’un roman sur le consentement et la mémoire des traumatismes sexuels à l’heure de #MeToo, précipitez-vous sur celui-là. Si vous cherchez l’une des pépites de cette rentrée littéraire, aussi
■ Chavirer, Lola Lafon (Actes Sud, 352 p., 20,50 ¤).
« Danser c’était apprendre à dissocier. Pieds poignards et poignets rubans. Puissance et langueur. Sourire en dépit d’une douleur persistante, sourire en dépit de la nausée, un effet secondaire des antiinflammatoires. »
Lola Lafon, Chavirer