L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Cette année, Noël tombe en été : M. Macron est fondé à répéter qu’il est, avec Mme Merkel, à l’origine du mégaplan de relance européen qui sera dévoilé la semaine prochaine et qui peut sauver les économies de l’Union, ce qui n’est pas rien. Il lui sera beaucoup pardonné pour cela.
Que la Banque centrale européenne imprime de la fausse monnaie à tire-larigot, que l’endettement de la France par rapport à la richesse nationale passe de 100 à 120 %, tout cela n’est certes pas sans danger. Mais c’étaient des risques à prendre pour limiter la crise économique générée par le coronavirus.
La France va-t-elle aller mieux pour autant ? Notre mal, hélas, n’est pas seulement économique. Il est aussi moral, existentiel, métaphysique. Il s’attaque à nos valeurs et à nos institutions, qu’il dissout comme de l’acide, n’épargnant aucune profession en uniforme : ni les policiers, ni les pompiers, ni les conducteurs de bus, molestés, caillassés, quand ils ne sont pas assassinés, tandis que la moutonnaille médiatico-gauchiste s’égosille contre les « violences policières ». Même les maires, réputés populaires, ne sont pas épargnés : 543 agressions l’an dernier !
Qu’on l’appelle ensauvagement, crise de l’autorité, balkanisation du pays ou montée de l’irrespect, la réalité est si navrante qu’on a de plus en plus de mal à épiloguer dessus : sur fond de disparition des repères et de vandalisme d’après-match, le pays se délite peu à peu, gagné ici par le froid, là par le séparatisme, ailleurs par les dernières folies du temps, sous la tutelle d’un pouvoir flottant, sans prestige, qui vit hors sol, dans le déni permanent.
Tels sont les effets de l’idéologie TPMG (tout pour ma gueule), variante de l’individualisme nihiliste, qui affecte de plus en plus de monde sur cette terre, à commencer par Trump, Narcisse en chef, Poutine, tueur d’ours et d’opposants, ou même Macron, notre Jupiter en Jet Ski (qu’importent les baigneurs, les poissons, le silence de la mer, pourvu que jouisse mon hubris !).
L’une des dernières manifestations de cette idéologie : le vote par l’Assemblée nationale, le 1er août, en catimini, d’une disposition permettant d’engager un processus d’interruption médicale de grossesse (IMG), autrement dit un avortement, jusqu’au neuvième mois, en cas de « détresse psychosociale », expression floue s’il en est, ouvrant la porte à toutes les interprétations. On se frotte les yeux. Mais quoi, si on ne respecte plus rien icibas, pourquoi faudrait-il respecter la vie d’un enfant à quelques jours (ou heures) de sa naissance ?
Il y a comme un malaise à mêler sa voix aux époumonnements des adversaires arrière-gardistes de la loi Veil qui, en 1975, légalisait l’avortement s’il était effectué dans un délai de grossesse inférieur ou égal à dix semaines, étendu depuis à douze. Jusqu’au-boutistes, ils ont trop souvent prêché la haine au nom de la vie. Mais comment ne pas s’étonner de l’espèce d’apathie devant cette vilenie perpétrée nuitamment par des députés LREM mais aussi Modem, PS, LFI ou PC, pendant les vacances des Français ?
Ce n’est pas le principe de l’avortement que l’on conteste ici, bien au contraire; c’est son extension jusqu’à l’extrême limite, juste avant l’accouchement, quasiment à la perte des eaux. Quand tout se vaut, rien ne vaut rien, surtout pas la vie. Pourquoi ne pas régler demain son compte au bébé après sa naissance, pendant qu’on y est ?
On peut tourner la chose dans tous les sens, la loi Veil, grande réforme giscardienne, fut une formidable avancée pour la condition des femmes qui, en dernière extrémité, pouvaient décider d’y avoir recours, pour une raison ou une autre. C’était la fin du cauchemar qu’elles avaient subi pendant des générations, sur fond d’aiguilles à tricoter, de faiseuses d’anges et de tartufferie sociale.
Fallait-il aller plus loin? Les auteurs de l’amendement ont beau se contorsionner, ils n’ont aucune excuse. À moins de vouloir étendre tous azimuts le champ de l’avortement tardif, cette disposition ne s’imposait pas : dans le texte de Simone Veil, la loi autorisait déjà l’IMG sans restriction de délai, donc jusqu’à neuf mois, mais dans un cadre très précis. Pas pour convenances personnelles, mais pour des motifs thérapeutiques comme la mise en péril de la santé de la mère ou une maladie incurable du bébé à naître.
Voilà où mènent le laxisme et le relativisme, les deux mamelles de notre époque qui nous donnent souvent, face aux dernières nouvelles, l’air si tranquille des vaches qui regardent passer les trains
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