Le Point

Les éditoriaux de Luc de Barochez et Peggy Sastre

La guerre française au Mali a déjà duré autant que celle d’Algérie, pour un résultat piteux. Mais plier bagage serait désastreux.

- Par Luc de Barochez

Quand le président François Hollande envoya l’armée française libérer les villes du nord du Mali tombées sous le joug islamiste, en janvier 2013, les localités furent promptemen­t reprises. Pourtant, sept ans et huit mois plus tard, quelque 5 000 militaires français restent déployés dans la région. La guerre du Sahel a déjà duré autant que celle d’Algérie. Emmanuel Macron doit se mordre les doigts d’avoir affirmé en 2018 que la France resterait engagée contre les djihadiste­s « jusqu’à ce que la victoire soit complète » : celle-ci est plus que jamais hors d’atteinte. Rien n’y fait, ni le million d’euros englouti chaque jour dans le dispositif militaire Barkhane, ni l’arrivée de renforts européens ou onusiens, ni l’aide américaine.

Le problème n’est pas militaire mais politique. Les unités françaises luttent avec efficacité sur un territoire immense. Elles affichent des succès tactiques, comme l’éliminatio­n le 3 juin d’Abdelmalek Droukdel, le chef historique d’Al-Qaïda au Maghreb islamique. Mais les deux objectifs principaux de Paris, l’affaibliss­ement des groupes armés terroriste­s d’un côté, le renforceme­nt des forces gouverneme­ntales sahélienne­s de l’autre, restent inaccessib­les.

L’assassinat de six jeunes travailleu­rs humanitair­es français et de leurs deux accompagna­teurs locaux, le 8 août au Niger, puis le coup d’État militaire qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août au Mali, attestent une situation très dégradée. Le conflit provoque un nombre de morts chaque année plus lourd : de 600 en 2012, il est passé à 5 400 l’an dernier et déjà plus de 6 000 pendant les sept premiers mois de 2020. Les revers en série des armées locales face aux djihadiste­s posent la question non seulement de la compétence de leurs chaînes de commandeme­nt, mais aussi de l’efficacité des formations dispensées à grands frais par les Européens.

Les événements de l’été contraigne­nt la France à un réexamen de son déploiemen­t dans la zone du G5 Sahel (Mali, Niger, Tchad, Burkina, Mauritanie). L’incapacité de Barkhane à rétablir le calme alimente l’exaspérati­on des population­s et encourage le ressentime­nt contre l’ex-puissance coloniale. L’influence de leaders religieux salafistes, tel l’imam Dicko au Mali, grandit.

La leçon de l’Afghanista­n n’a pas été tirée. Les fusils d’assaut et les tirs de drones sont impuissant­s à mater une insurrecti­on

L’incapacité de Barkhane à rétablir le calme encourage le ressentime­nt contre l’ex-puissance coloniale.

islamiste qui prospère sur un terreau politique. Les djihads sont nourris par la corruption et l’incurie des élites locales et par la violence indiscrimi­née dont usent trop souvent les armées gouverneme­ntales contre les civils.

Que l’armée française plie bagage ne ferait qu’empirer la situation. La France et l’Europe n’auraient rien à gagner à l’installati­on à quelques heures de Paris de califats talibans. Il faut au contraire aider les États à faire face à la menace et refuser aux terroriste­s tout sanctuaire. Mais les efforts pour « conquérir les coeurs », clé de toute solution viable, resteront vains tant que des civils se sentiront plus menacés par leur État et ses représenta­nts que par les groupes armés. La guerre contre le terrorisme ne doit pas aboutir à accentuer les dérives autoritair­es des pouvoirs locaux, qui sont souvent eux-mêmes à la racine des problèmes.

À cet égard, si le dernier putsch militaire à Bamako a eu un mérite, ce fut de montrer que la présence militaire française ne garantissa­it pas la survie de régimes corrompus. La France devrait saisir l’occasion pour encourager la transition vers des démocratie­s ouvertes, transparen­tes et responsabl­es et cesser de regarder l’Afrique uniquement à travers les prismes de l’immigratio­n et du terrorisme. L’Afrique mérite mieux, le Sahel aussi

 ??  ?? « J’aime vous entendre rire. »
« J’aime vous entendre rire. »

Newspapers in French

Newspapers from France