Le Point

Jean-Michel Blanquer : « Lutter contre les influences étrangères »

Pour le ministre de l’Éducation nationale, des forces à l’oeuvre cherchent à nous imposer « un modèle de société qui n’est pas le nôtre ».

- PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENT PÉTREAULT

Le Point: A-t-on réellement laissé «l’islamisme pénétrer l’école» comme l’affirme JeanPierre Obin dans le titre de son livre?

Jean-Michel Blanquer: Cela a pu être en partie vrai pendant toute une période, de manière hétérogène, puisque cela dépendait de circonstan­ces locales. Il n’y a pas eu de complicité à l’échelle de l’État, mais une forme de passivité à laquelle je prétends mettre fin depuis 2017 en prenant différente­s mesures comme la mise en place du Conseil des sages de la laïcité, la diffusion d’un vade-mecum de la laïcité ainsi que le déploiemen­t d’équipes « valeurs de la république » qui intervienn­ent sur le terrain chaque fois qu’un problème est signalé. Le premier bilan que l’on peut tirer de ces actions, c’est que nous avons augmenté notre capacité de signalemen­t: autrement dit, on ne met pas les problèmes sous le tapis, on les identifie et on les traite. J’insiste sur l’importance d’avoir créé des normes de référence que chacun peut consulter et qui servent de base à des actions concrètes pour faire respecter le principe de laïcité.

Comment jugez-vous la situation aujourd’hui?

Nous sommes dans une situation intermédia­ire, mais il y a encore du travail. L’idée qu’il n’y a pas de réaction possible aux atteintes à la laïcité constatées est encore présente dans trop d’esprits. Or l’efficacité de ce que nous faisons dépend pour partie des signalemen­ts effectués par les acteurs de terrain et de leur confiance dans le fait que l’institutio­n est derrière eux. On doit aussi être très attentifs aux acteurs associatif­s, politiques ou religieux qui, tous les jours, poussent les feux du séparatism­e, persuadés que le communauta­risme est un bon modèle de société. Alors que le sport, l’Éducation nationale et la jeunesse relèvent désormais d’un même ministère, je vais également m’employer, avec Roxana Maracinean­u, à ce que l’on fasse davantage respecter les principes républicai­ns dans ce secteur très important de notre vie collective. Il faut être lucide et dire sans aucune ambiguïté qu’il y a des forces à l’oeuvre à l’échelle nationale et internatio­nale pour nous imposer un modèle de société qui n’est pas le nôtre. Ces forces sont très minoritair­es, y compris dans le monde musulman. J’insiste d’ailleurs sur le fait que les premières victimes de la pensée séparatist­e promue par les islamistes sont les musulmans qui, dans leur très grande majorité, partagent les valeurs de la république. Nous devons être vigilants si nous voulons protéger la société française d’évolutions que nous ne voulons pas voir advenir, notamment sur les questions d’égalité, en particulie­r d’égalité femme-homme. L’esprit républicai­n doit être notre boussole pour combattre ces acteurs sur le plan politique ; voilà pourquoi il est nécessaire de faire vivre l’esprit de la laïcité dans nos institutio­ns, particuliè­rement à l’école.

La laïcité est-elle vraiment indispensa­ble à l’école publique?

Oui, elle est consubstan­tielle à l’école de la République et fait partie des éléments fondateurs de notre société. L’école est un sanctuaire pour nos enfants, qui ne doivent pas être soumis à un quelconque prosélytis­me, qu’il soit religieux, politique ou même commercial. Ce principe de neutralité est indispensa­ble non seulement pour que soit assuré un lien de confiance entre la famille et la République, mais aussi pour que soit garantie la promesse d’émancipati­on des futurs citoyens de notre pays.

L’absence de mixité sociale dans certains établissem­ents est souvent un facteur de rupture avec les valeurs de la République. Que peut l’école face à la fuite des classes moyennes dans les quartiers populaires?

« L’école est un sanctuaire. Nos enfants ne doivent pas être soumis à un quelconque prosélytis­me. »

Nous avons bâti une stratégie pour qu’il y ait davantage de mixité sociale, notamment dans les zones d’éducation prioritair­e. Lorsqu’on crée les classes de CP et de CE1 à 12 élèves pour 300 000 enfants, on recrée de l’attractivi­té sur ces territoire­s difficiles pour les classes

moyennes. On voit déjà renaître une mixité sociale dans certains endroits grâce à cette mesure. Par ailleurs, on est en pleine réflexion sur la manière de recomposer l’éducation prioritair­e, un des buts étant d’accentuer la mixité sociale dans certains territoire­s.

Participez-vous à l’élaboratio­n de la loi contre le séparatism­e, annoncée d’ici la fin de l’année?

Bien sûr. Le président de la République est lui-même très impliqué dans cette lutte. Il est encore trop tôt pour en détailler le contenu, mais cette lutte passe par différents domaines de la société, dont l’école. Le projet de loi permettra de mieux contrôler les activités accessoire­s au culte, telles que les actions éducatives dans certaines associatio­ns extrémiste­s. Il y aura aussi des mesures qui s’attaquent à la racine du problème, notamment aux modalités de financemen­t d’associatio­ns qui font le lien entre les secteurs extrémiste­s et le monde de l’éducation. Lutter contre les influences étrangères est en effet une priorité.

On voit poindre des idéologies, comme le décolonial­isme, qui font la courte échelle à l’islamisme… Sommes-nous intellectu­ellement outillés pour contrer cette pensée?

Le sujet intellectu­el est primordial, car c’est la matrice pour lutter contre tout le reste. Ces idéologies ont pu se développer depuis au moins vingt ans à partir d’université­s américaine­s et à la faveur de la mobilisati­on de personnes qui y trouvaient un intérêt à la fois politique et de carrière, pendant que ceux qui avaient simplement l’esprit républicai­n subissaien­t cette montée en puissance. Aujourd’hui, il est largement temps d’organiser la riposte avec une force tranquille républicai­ne pour revenir à des choses évidentes, c’est-à-dire la référence aux droits de l’homme, aux droits du citoyen, à l’égalité, et le rejet de toute approche racialiste, y compris lorsqu’on prétend combattre le racisme. Nous devons faire entendre que la lutte contre le racisme est un combat universali­ste et non différenti­aliste. De même, on doit travailler à ce que tous ceux qui essaient de créer de la « fragmentat­ion identitair­e » voient leurs idéologies contrées, notamment lorsqu’ils cherchent à influencer la jeunesse. La république est le projet le plus adapté à un XXIe siècle de concorde et de progrès

 ??  ?? Vacances apprenante­s. Jean-Michel Blanquer avec les élèves de l’école élémentair­e Jacques-Decour, à Montataire (Oise), le 21 août.
Vacances apprenante­s. Jean-Michel Blanquer avec les élèves de l’école élémentair­e Jacques-Decour, à Montataire (Oise), le 21 août.

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