Parcs d’attractions : la France en miniature
Toutes les générations et tous les milieux s’y retrouvent. Enquête sur le dernier bastion des loisirs familiaux.
Dans le car qui file sur l’A1, Radio Nostalgie crache à tue-tête ses spots publicitaires. En moins de deux minutes, on nous invite à découvrir la « magie » de Disney (Marne-la-Vallée) et à nous évader au parc Saint-Paul (Oise). Nous sommes en route vers Astérix qui, lui, promet des « sensations fortes ».
« Le parc d’attractions est l’un des rares endroits, avec le centre commercial, où il y a encore un minimum de brassage », analyse Jérôme Fourquet, directeur de l’Ifop*, qui a pourtant dressé dans L’Archipel français le portrait d’une France morcelée et divisée en communautés. Les parcs de loisirs feraient exception. « Tout le monde communie dans cette culture des loisirs. »
Assise sur un siège recouvert d’un plastique, Anne-Marie papote avec ses soeurs et deux amis. La jeune femme, titulaire d’un master en comptabilité, vient d’avoir 24 ans et son père lui a offert une journée au « village des irréductibles Gaulois » pour fêter son anniversaire. En combi rayée jaune, sandales plateformes aux pieds, cheveux lissés et maquillée, elle est « tout excitée » (sic). « C’est la première fois que je viens, confie-t-elle. On va en profiter à fond ! » Cet été, à cause de la pandémie, Anne-Marie et ses soeurs n’ont pu rendre visite à leur famille au Togo. Alors, cela fait du bien de « changer de décor », de quitter Corbeil-Essonnes, leur appartement devenu trop petit depuis le confinement, et de voyager un peu sans partir vraiment. D’autant qu’on leur vend le dépaysement aux portes de Paris. Après deux heures de RER et vingt minutes de car, les voilà arrivés sur le parking du Parc Astérix, qui n’a rien de la carte postale.
Nous sommes à Plailly (Oise), au milieu de nulle part. Ici, on vient uniquement pour le parc, un îlot clos et sécurisé. Quasiment hors du temps. Une destination créée de toutes pièces. À quelques mètres de l’entrée, on entend déjà les wagons crisser sur les rails des montagnes russes et les hurlements des visiteurs. Une fois passés les portiques de sécurité, nous voilà au pays d’Astérix et Obélix ! Une musique celte, guillerette et lancinante, nous accompagnera toute la journée.
« 4 Français sur 10 sont déjà allés au moins une fois au Parc Astérix, et 6 Français sur 10 à Disneyland, énumère Jérôme Fourquet. Quel autre lieu emblématique a vu passer 6 Français sur 10 ? En nombre de visiteurs annuels, Disneyland fait plus que le Louvre ! » Qui sont ces Français (près de 4 sur 10) qui poussent chaque année la porte des parcs de loisirs ? Pourquoi cette sortie estelle même devenue le loisir favori pour 10 % d’entre eux ? « C’est un phénomène de société impressionnant ! s’enthousiasme Fourquet. Depuis trente ans que ça dure, le succès des parcs n’a jamais été démenti. Ils font désormais partie de notre paysage mental et de notre culture commune. »
Budget. Face à nous, le petit Gaulois aux moustaches jaunes. Il veille sur son public, perché sur un immense rocher, qui commence à s’effriter. Le parc a fêté ses trente ans l’an dernier. Malgré le Covid, la canicule et le masque, environ 10 000 personnes ont piétiné chaque jour ses allées en août (75 % de la fréquentation habituelle). Ici, le public est « très franco-français », dixit son directeur, et majoritairement francilien. « D’habitude, les jeunes de banlieue et les étudiants viennent au printemps, en août, il y a beaucoup de familles », détaille Nicolas Kremer, le directeur général du Parc Astérix. Mais, avec la réouverture tardive du parc (le 15 juin) et des projets de vacances chamboulés, les deux publics ont dû cohabiter cet été.
Casquette-jogging, short-marcel, robe-sandales et voile-abaya vont se frôler dans les files d’attente (où les distances ne sont pas toujours respectées) mais guère se mélanger. Au Théâtre de Panoramix, Nohan, 6 ans, se fait tirer le portrait (15 euros) en compagnie du druide. Un instant magique pour le garçon, qui découvre les BD de Goscinny et Uderzo. Ses parents, Floriane et Grégory, un couple de quadras originaires d’un village alsacien, sont des « parconautes ». Ils reviennent de Disneyland Paris, pour lequel ils ont investi dans un pass annuel. « Moi j’ai le plus cher ! » fanfaronne le père, professeur de boulangerie-pâtisserie en CFA, avant d’égrener ses avantages « VIP ». Cette année, les vacances se résumeront aux parcs de loisirs : un budget de 1 000 euros. « Ça vaut une semaine en mobil-home », résume Grégory. Mais avec sa femme, auxiliaire de vie scolaire, ils ont décidé de se faire plaisir en réservant une nuit dans le nouvel hôtel du parc (400 euros la chambre, repas compris).
«Aujourd’hui, avec l’augmentation des sorties à la journée ou des courts séjours, on ne va peut-être pas partir en vacances, mais on va prendre trois jours à Disney [environ 80 euros la journée, NDLR] ou à Astérix [39 euros] et dépenser plus d’argent que dans une location, explique le sociologue des loisirs Jean Viard. Mais on calcule son budget à l’avance, et ça, pour les milieux populaires, c’est essentiel. » Malgré le coût élevé de Disneyland, c’est devenu un passage
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presque obligé pour les familles. ■ « Même si on n’a pas beaucoup d’argent, on emmène ses enfants à Disney ! » note Marie Delaplace, professeure d’urbanisme. Dans son enquête réalisée en 2016 auprès de 500 personnes, sur le parvis de la gare Marne-la-Vallée – Chessy (accessible en Ouigo), elle recensait parmi les visiteurs 13% de chômeurs et environ 15 % de revenus inférieurs au smic.
Au Parc Astérix, où les attractions familiales se sont développées ces dernières années, 15 à 20 % des clients prolongent le « voyage » dans un hôtel thématisé. Aux Trois Hiboux, tout en bois clair, on cultive le côté «nature», comme à Center Parcs : des moutons paissent l’herbe desséchée, des chants d’oiseaux sortent des baffles du salon. Pas de quoi apaiser le petit dernier de Pauline qui a raté sa sieste. La jeune femme, épuisée, fait les cent pas avec sa poussette tout-terrain. Pauline et Anthony sont partis à 4 heures du matin de Clermont-Ferrand après avoir réservé au dernier moment sur un site de ventes privées. Les calculs ont été vite faits pour ce couple – elle, mère au foyer, lui, militaire – avec trois enfants : « Astérix, c’est 200 euros de moins que Disney.» Si Pauline, fan de la « féerie » Disney, n’est pas franchement emballée par les manèges, Anthony se souvient des «vibrations» de Tonnerre de Zeus qu’il adorait gamin.
Ici, tout est codifié, rien n’est laissé au hasard. Et les visiteurs respectent sans trop broncher les règles de cette cité imaginaire où ils sont entièrement pris en main. « L’intérêt du parc, c’est qu’on n’a pas à se demander : “Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ?” C’est pensé pour que les adultes et les enfants s’amusent en même temps », analyse Jean Viard.
« Hé ! regardez, on est en Grèce ! » Une maman fait prendre la pause à son fils devant une colonne bleu et blanc à la sortie de Pégase Express, un grand-huit familial. Après les frissons (express eux aussi), on vend du souvenir. Derrière un comptoir, des écrans affichent des moues terrifiées ou rigolardes. Arborant tatouages et tee-shirts Idéfix, un couple et leur fille attendent leur photo. Cela coûtera 11 euros à cette aide-soignante et à ce charpentier normands. Tournant le dos à Astérix, les parents ressortent les bras chargés de licornes géantes, les enfants armés de massues en mousse, un granité à la bouche. Et tous avec une musique celte qui trotte dans la tête.
Culture familiale. Le doigt sur la gâchette, Hugo, 6 ans, fixe sa cible. « Allez, comme à la maison avec papi ! » encourage le père. Rompu à l’art de tirer à la carabine, le petit éclate les trois ballons en moins d’une minute. Nous sommes au parc Walygator, près de Metz. Ici, on est loin des blockbusters, l’ambiance est plutôt à la fête foraine. Le ticket d’entrée est d’une vingtaine d’euros (on peut aussi gagner des places au McDonald’s), on y vient des environs et en famille.
C’est ce qui plaît à Aline, préparatrice en pharmacie, et à son mari, mécanicien et chasseur. Alsaciens, ils viennent ici tous les ans avec leurs deux enfants. Ce qu’ils
« C’est l’un des rares endroits où il y a encore un minimum de brassage. » Jérome Fourquet, Ifop
préfèrent, ce sont les « sensations fortes », comme à Europark, qu’ils fréquentent depuis qu’ils ont le permis. Petite, Aline allait à Walygator et à Didi’Land (en Alsace) avec ses parents, cela fait partie de sa culture familiale. « Pour les 3 ans du petit, on a été à Disney », précise celle qui passera ses vacances dans un Center Parcs lorrain. « Il y a des gens qui y vont de génération en génération ; le parc devient alors un lieu identitaire », analyse Jean Viard.
Inauguré en grande pompe par Delors et Fabius en 1989, l’ancien Big Bang Schtroumpf, qui a aujourd’hui pour mascotte un alligator, a été créé sur les ruines de l’usine sidérurgique d’Hagondange dans l’espoir de redynamiser la région. Y a même été aménagée une gare TER !
À la sortie du Monster, constitué de gigantesques boyaux d’acier blancs qui vous retournent la tête, on croise « Laurent, directeur », comme l’indique son badge. Laurent Muller, casquette-visière et talkie-walkie à la main, est le tôlier de Walygator. Cet autodidacte, sauvé d’une mauvaise passe dans sa jeunesse par des forains, a consacré sa vie aux parcs. Celui qui ramasse les papiers par terre, souhaite « bon appétit » aux visiteurs, gère les files d’attente et les piqûres de guêpe, aime par-dessus tout « voir le sourire sur le visage des gens après une journée de voyage au parc ». Sa clientèle, principalement régionale, est issue de classes modestes. On vient ici pour oublier les tracas quotidiens, les factures, le travail du lundi. « On cherche à se divertir – du latin divertere, “se détourner” –, se sentir vivant, partager des émotions, se faire peur pour de faux, note Anthony Goret, du Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels (Snelac). Notre secteur d’activité est presque devenu un besoin, un exutoire social. »
Derrière nous, deux garçons jouent aux mitraillettes au milieu des tables de pique-nique. Au Bavarois, on apprécie les hot dogs-frites, même par 38 degrés. On peut aussi déguster un litre de bière dans une chope géante en forme de botte. Attablé avec sa femme et ses deux enfants, Michel enchaîne les cigarettes. Les manèges à sensations, très peu pour lui. « Je suis maçon de métier, j’ai pas confiance en la ferraille ! » Mais cet ancien militaire a beaucoup de choses à dire sur ceux qui nous gouvernent. « Ils ont réquisitionné des usines dans le Grand Est pour faire des masques et on voit encore dans le commerce des masques chinois!» Toutes ces incohérences le mettent en rogne. « L’État nous endort… » Tout y passe : la tomate importée d’Espagne, les cigarettes plus chères en France qu’en Allemagne, les taxes, les retraites, les réfugiés… Michel n’est pas un sympathisant des Gilets jaunes, il ne comprend pas les casseurs. Aux élections, il vote blanc pour exprimer son mécontentement. Sa femme, discrète, elle, l’avoue à demi-mot : ■
« Notre secteur d’activité est presque devenu un exutoire social. » Anthony Goret, syndicat professionnel
oui, celle qui « trime » dans ■ une usine de câbles électroniques et qui est dans le rouge « le 15 du mois » a déjà voté pour l’extrême droite. «C’est de la haine et du dégoût qui montent au fur et à mesure », s’excuse-t-elle.
Il fait sombre, on marche à tâtons. Le sol tremble, ça gronde. Un orage? Non, une bombe. Dans la pénombre, on aperçoit des lits de fortune, des rats, des obus, des masques à gaz… Le Puy du Fou promet un «voyage dans le temps», nous y sommes : dans les tranchées de Verdun, à la veille de Noël.
Émotions universelles. « Ça, ce sont des cartouches… » Jean-Eudes, bermuda marine et polo rouge, montre à son fils, Vianney, les armes dont se servaient les poilus. Le garçon, 6 ans, impressionné par le décor et les secousses, écoute attentivement. Son papa, officier de carrière basé à Salon-de-Provence, venait déjà, petit, dans le parc du bocage vendéen. Aujourd’hui, il est heureux de transmettre un bout de l’histoire de France à ses quatre enfants, et de pouvoir partager des émotions en famille.
Au milieu des champs, et à une heure d’une ville moyenne, l’ambiance est bucolique. Avec 60 % de sa fréquentation habituelle, les allées du parc des de Villiers, qui n’a cessé de faire polémique cet été, ne sont pas surpeuplées mais ses tribunes sont pleines pour les spectacles phares, malgré la chaleur et le masque. Au Puy du Fou, on mise sur le haut de gamme et le local. Le gel hydroalcoolique (à la verveine) est fait maison, les salariés portent des masques estampillés des drapeaux français et vendéen, on passe du Bach dans le petit train…
Celui qui a été élu deux fois meilleur parc du monde se targue d’avoir inventé un « 8e art », mêlant théâtre, cinéma, opéra, cirque… Les cascades et les effets spéciaux en mettent plein la vue. « C’est presque comme un film ! » commente Pierre, 16 ans, casquette « France » sur la tête, à la sortie du Secret de la Lance. Il est venu de Saint-Gilles-Croix-de-Vie (40 % des visiteurs viennent du Grand Ouest), avec ses grands-parents et ses deux frères. « Ici, c’est le passé expliqué aux jeunes et aux anciens, c’est important pour ne pas oublier », analyse Pierre. Il est convaincu que ces spectacles l’ont aidé à comprendre ses cours d’histoire. « Ça me met des images dans la tête. »
Nicolas de Villiers, à la tête du parc depuis 2004, se défend de faire de l’histoire : « On fait de la légende. » Plutôt que d’un message chrétien – quasi omniprésent –, il préfère parler d’« émotions universelles ». « Peu importe votre culture, vous ressortez avec un sentiment d’amour et de fierté pour la culture française, comme après une visite au Louvre ou à Versailles. »
Si l’on peut croiser un prêtre en soutane ou une maman voilée dans les allées, la mixité culturelle et religieuse n’est pas ce qui frappe le plus au Puy du Fou. Il n’empêche, chacun, croyant ou non, y trouve son compte. Et nombreux sont ceux qui viennent pour la beauté du spectacle et ne prêtent guère attention aux références religieuses.
« On a un public très large, celui des grandes audiences télé », résume Nicolas de Villiers. Des CSP et des camping-caristes peuvent se croiser. Bien sûr, il y a des inconditionnels. Louis a été enchanté par le Signe du triomphe, où Romains et Gaulois s’affrontent dans une réplique du Colisée. « La dimension politique est là, c’est orienté et c’est tant mieux ! se félicite ce conseiller politique parisien, historien de formation. Il est fondamental de connaître ses racines ! Ça fait partie du roman national. » Pour lui et sa compagne, mère de deux enfants, ce parc a un rôle éducatif. « Peut-on vraiment avoir une éducation de gentilhomme si l’on ne fréquente qu’Astérix et Disney ? » s’interroge celui qui rêve d’un parc d’attractions sur la littérature française. Louis et sa compagne passeront quatre jours ici, dîneront dans l’un des cinq restaurants de la Cité nocturne , et dormiront dans l’un des six hôtels à thème du parc (environ 200 euros la nuit).
Laetitia et Raphaël, originaires de Béthune, eux, ont opté pour une semaine au camping, à une heure de là. C’est la cinquième fois qu’ils viennent dans le parc vendéen : « On est amoureux du Puy du Fou, nous ! » revendique Laetitia, qui a comparé les prix avec Disney (ici, l’entrée est à 37 euros). «On se lasse pas! Y a toujours des frissons. » Ce n’est pas son mari qui la contredira : lui est fan de la Grande Guerre, une passion transmise à son fils. Faux casque sur la tête, veste de poilu (39,90 euros à la boutique de souvenirs), Romain, 4 ans, s’agrippe à sa carabine. Hors de question de quitter sa panoplie malgré la chaleur. Pour lui, le voyage ne fait que commencer
■ *Les Français et les parcs à thème, Ifop, 2017.
« C’est pensé pour que les adultes et les enfants s’amusent en même temps. » Jean Viard, sociologue