Le Point

Pascal Lamy : « Surtout, pas de saupoudrag­e ! »

Pour l’ancien commissair­e européen, il faut tout miser sur l’emploi et la transition écologique.

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE BORDET

Le Point: Quel regard portez-vous sur le plan de relance à venir?

Pascal Lamy: Ce qu’il faut souligner d’emblée, c’est que ce plan de relance français s’insère dans un cadre stratégiqu­e européen. Il n’y a pas une juxtaposit­ion de deux niveaux, avec d’un côté une série de plans de relance nationaux et de l’autre un plan de relance européen. On n’est plus dans les déclaratio­ns d’intention. C’est un seul et même ensemble, et cette homogénéit­é européenne est un fait historique. Il faut s’en réjouir ! Cela constitue une avancée considérab­le, y compris en matière d’efficacité.

Quelles sont les conditions d’un plan de relance réussi?

Si ce plan est bien ciblé, il réussira. La précision du ciblage est un élément clé du succès. La question de savoir si la somme de 100 milliards d’euros est suffisante ou pas, qui semble faire débat, n’est pas essentiell­e. Cela dépendra beaucoup de la simplicité des modalités pratiques. Selon moi, on jugera le succès de ce plan à la tenue de deux objectifs : des résultats tangibles sur l’emploi et l’accélérati­on de la transition écologique. Premièreme­nt – mais c’est évident –, il faut créer des emplois pour tenter de contenir l’augmentati­on inévitable du chômage. Deuxièmeme­nt, avec cette crise et ce plan de relance, la France comme l’Union européenne ont l’occasion historique de réconcilie­r le court terme et le long terme – autrement dit de réconcilie­r la « fin du mois » et la « fin du monde » –, avec des moyens exceptionn­els pour faire des investisse­ments qui n’auraient pas été réalisés en temps normal, car leur rentabilit­é n’interviend­ra que dans la longue durée. Enfin, il y a un impératif absolu : il faut aller très, très vite et pouvoir

déployer ce plan immédiatem­ent, et donc sortir des habitudes bien françaises – les règlements complexes, les contrainte­s administra­tives, le millefeuil­le des autorités décisionna­ires. Si l’on parvient à combiner ces critères pour la relance, on peut réussir à redonner à la France une longueur d’avance dans la course économique mondiale.

Quelle doit en être l’architectu­re?

Il y a un écueil à éviter à tout prix : c’est le saupoudrag­e de ces 100 milliards d’euros. Il faut y aller à la serpe. Il ne s’agit pas de convoquer de grandes réunions interminis­térielles où chaque ministre ou chaque groupe de pression sortirait son idée d’investisse­ment de son tiroir. Il faut faire des choix politiques forts, nets, et s’y tenir ! Et ce choix, c’est la transition écologique. Cela passe, par exemple, par l’investisse­ment dans la rénovation énergétiqu­e des bâtiments, dont on parle déjà depuis… vingt ans. C’est très rentable en matière de diminution d’émissions de CO2, mais c’est très coûteux. Il faut donc aider les ménages modestes à transforme­r leur logement et s’attaquer aussi à l’énorme réserve des bâtiments publics. Tout cela peut être lancé très rapidement, et c’est un domaine qui est fortement pourvoyeur d’emplois. Il faut investir dans les infrastruc­tures de transports propres, dans les batteries électrique­s, dans les start-up et les PME qui ont mis au point de nouveaux procédés de décarbonat­ion ou qui oeuvrent dans l’économie circulaire et le traitement de l’eau et des déchets : il y a un gros retard à rattraper et donc un gros potentiel de croissance dans ces secteurs. Les instituts Jacques-Delors à Paris, Berlin et Bruxelles ont publié en mai un programme détaillé d’investisse­ments fléchés à 800 milliards au niveau européen.

Mais focaliser ce plan sur la transition écologique ne comportet-il pas trop de risques politiques?

Ce qui fera le plus de mécontents, c’est de voir le taux de chômage coincé à 10 ou 12 % dans deux ans. Alors, oui, il y a des problèmes de compétitiv­ité, de spécialisa­tion, de formation qu’il faut continuer à traiter, mais je crois qu’aujourd’hui il faut tout miser sur l’emploi et la transition écologique. C’est risqué politiquem­ent, mais le gouverneme­nt n’a pas le choix. Si cela ne marche pas, gare à l’effet boomerang en 2022 !

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France