Le Point

Les Gracques : plaidoyer pour la « bonne relance »

Déjà fragilisée avant la crise, la France n’a plus droit à l’erreur. Les dix préconisat­ions du groupe de réflexion social-libéral.

- PAR LES GRACQUES

Les mesures d’urgence économique prises au printemps ont créé une ligne de défense efficace, en « gelant » temporaire­ment l’économie tout en préservant le revenu disponible des ménages grâce au chômage partiel, au fonds de solidarité et aux prêts garantis par l’État.

En dépit du pessimisme ambiant, les premiers résultats sont là. Si le PIB a baissé de 19 % en France au premier semestre, contre 15 % en zone euro et 12 % en Allemagne, l’activité a fortement repris depuis la sortie du confinemen­t (- 7 % en juillet, contre - 30 % en avril), sous l’effet du rebond de la consommati­on, qui a aujourd’hui dépassé son niveau d’avant-crise. Un tel retourneme­nt n’a qu’un seul précédent historique, celui du troisième trimestre de 1968. Alors que le gouverneme­nt tablait au début de l’été sur un recul de 11 % du PIB en 2020, les instituts de conjonctur­e anticipent désormais une baisse de l’ordre de 9 %. Mais poursuivre dans cette voie défensive ne serait ni soutenable ni souhaitabl­e. La France ne peut se permettre de geler durablemen­t son tissu productif, alors qu’elle a abordé cette crise lourdement endettée et structurel­lement en déficit, sur le plan budgétaire comme commercial. Rappelons que le gouverneme­nt s’attend désormais en 2020 à un déficit public de 11,5 % du PIB qui porterait la dette à plus de 120 % du PIB.

Ce serait par ailleurs inefficace économique­ment, tant cette crise paraît de nature à accélérer les transforma­tions des modes de consommati­on, de l’organisati­on du travail et des équilibres productifs. Si dix ans ont été nécessaire­s pour porter la part du commerce électroniq­ue de produits alimentair­es aux États-Unis de 6 à 16 %, trois mois ont suffi pour atteindre 26 %. La crise entraînera dès lors nécessaire­ment des réallocati­ons qu’il s’agira d’accompagne­r et non de bloquer : le chiffre de 50 000 salariés touchés par les plans sociaux depuis le début du confinemen­t doit ainsi être mis en regard des 10 000 emplois que l’économie française détruit et crée chaque jour en moyenne.

Le temps de l’offensive par la relance est donc venu. L’objectif, comme nous l’indiquions dès avril, doit être de retrouver en 2022 le PIB de 2019.

Priorité aux jeunes et à l’investisse­ment

Churchill disait qu’il fallait voir l’opportunit­é dans chaque difficulté. Nous y sommes. La contrainte économique nous oblige à être efficaces; la contrainte financière à être sélectifs ; la contrainte environnem­entale à verdir la croissance; la contrainte technologi­que à investir dans la numérisati­on.

Cette crise, en amplifiant tout par un effet de loupe, met en valeur les forces et les faiblesses de chacun. L’Allemagne a pu dépenser sans compter grâce à un effort de maîtrise de la dépense publique qui lui avait permis de ramener son endettemen­t à 60 % du PIB en 2019, contre 98 % en France. Si notre pays a su préserver le pouvoir d’achat de l’essentiel des ménages, la situation des jeunes et des indépendan­ts, traditionn­ellement mal protégés par notre modèle social, apparaît préoccupan­te. La dégradatio­n du marché du travail au deuxième trimestre a d’abord concerné les jeunes, dont le taux d’emploi a connu une chute sans précédent (- 2,9 points, à 26,6 %).

Sur le plan productif, si la consommati­on a fortement rebondi, ce sont les secteurs les plus riches en importatio­ns qui en ont été les principaux bénéficiai­res. Le commerce extérieur, qui a amputé la croissance de 2,3 points au deuxième trimestre, demeure une source de fragilité.

À cet égard, le plan de relance doit être l’occasion de remédier à certaines faiblesses des premiers plans de soutien. Les entreprise­s ont été moins protégées que les ménages : elles conservent à leur bilan une part substantie­lle des pertes liées au confinemen­t (24 % selon la Banque de France, 33 % selon l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s). Cela a renforcé leur tendance naturelle à surréagir défensivem­ent en période de crise, en suspendant l’embauche des jeunes et en gelant les investisse­ments. Si le soutien aux entreprise­s a été moins important, ses modalités ont en outre été marquées par une « préférence pour la dette », par le biais des prêts garantis par l’État, au détriment des fonds propres, alors que les leviers sont déjà importants. Il est désormais indispensa­ble de rééquilibr­er les bilans, comme nous l’appelions de nos voeux dès le mois d’avril. À cela s’est ajouté l’inquiétude des dirigeants de PME et d’ETI face aux risques juridiques, aux problèmes de

Churchill disait qu’il fallait voir l’opportunit­é dans chaque difficulté. Nous y sommes.

continuité de certains services publics, aux tentatives d’instrument­alisation du risque sanitaire par certains syndicats et aux contradict­ions du discours public sur les masques et les tests, qui ont également contribué à une démoralisa­tion nuisible à l’investisse­ment. En l’état, la crise risque ainsi d’accélérer le déclasseme­nt de notre appareil productif: sur l’ensemble de l’année 2020, l’investisse­ment devrait chuter deux fois plus fortement que le PIB (- 20 %) d’après la Banque de France et l’OCDE. L’économie française ne pourra pourtant pas se permettre d’attendre six ans pour que l’investisse­ment industriel retrouve son niveau initial, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008. Ces constats indiquent clairement deux priorités pour la relance : l’emploi des jeunes et l’investisse­ment productif. Car c’est bien des entreprise­s que viendront les réponses aux questions de l’emploi, de la croissance – a fortiori dans sa composante verte – et du financemen­t des transferts sociaux.

Bon et mauvais plan

Comme l’a dit Mario Draghi : « La dette créée par la pandémie est sans précédent et devra être remboursée, principale­ment par les jeunes d’aujourd’hui. Il est donc de notre devoir de leur fournir les moyens d’assurer le service de cette dette. » Il faut donc distinguer la « bonne dette », qui prépare l’avenir en finançant le capital humain, la recherche ou encore l’investisse­ment, de la «mauvaise dette», qui ne trompera pas indéfinime­nt les marchés et sera financée à perte par les jeunes génération­s.

Dans le cas de la France, à quoi ressembler­ait un mauvais plan de relance ?

Ce serait le soutien indifféren­cié à la demande, selon l’approche keynésienn­e classique, qui aurait un effet modeste sur l’activité tout en nourrissan­t fortement l’épargne – déjà en hausse de 75 milliards d’euros depuis le confinemen­t – et les importatio­ns. Nous ne proposons donc pas de baisser la TVA, comme l’a fait l’Allemagne.

Ce serait le financemen­t de dépenses courantes pesant durablemen­t sur la situation structurel­le des finances publiques, alors que notre situation budgétaire invite au contraire à privilégie­r les mesures temporaire­s et réversible­s.

Ce serait retarder l’adaptation des entreprise­s et des services publics aux standards de productivi­té mondiaux qui décideront de notre place dans le monde de demain, alors qu’il faut au contraire faire de cette crise un levier de transforma­tion pour adapter notre économie aux mutations engagées en matière de consommati­on, de robotisati­on, de numérique, de décarbonat­ion, etc.

Ce serait la poursuite d’une politique industriel­le rhétorique, cherchant des champions nationaux et multiplian­t les procédures éparses et cloisonnée­s, au lieu d’aligner par un pilotage central tous les guichets financiers publics sur les priorités de compétitiv­ité et de souveraine­té économique­s, tout en faisant collaborer l’ensemble des acteurs depuis la recherche jusqu’à l’industrial­isation, sur le modèle de l’agence américaine Darpa.

Ce serait risquer de priver la France du plein bénéfice du plan européen dont elle a été le promoteur, faute d’une gestion appropriée sachant privilégie­r les coopératio­ns d’avenir et les projets de dimension européenne quand ils sont plus efficaces. En la matière, une révision de nos méthodes et procédures administra­tives s’impose pour conserver notre crédibilit­é, alors que se profilent des sujets importants comme le renforceme­nt de l’action de la Banque européenne d’investisse­ment en matière climatique, l’implicatio­n du Fonds européen d’investisse­ment dans les fonds propres ou la mise en place de ressources propres nouvelles.

10 principes pour la relance

Face aux discours alarmistes et au pessimisme ambiant, l’enjeu du plan de relance nous semble donc autant de faire des choix pertinents sur le plan technique que d’influencer positiveme­nt les anticipati­ons des acteurs écono-

miques pour encourager l’investisse­ment ■ et la consommati­on, nos deux principaux leviers de croissance.

Pour cela, nous proposons les quelques principes suivants.

Un plan de taille adéquate pour relancer l’activité : la jauge à 100 milliards d’euros annoncée, très supérieure au plan de 2009 (35 milliards), semble bien dimensionn­ée, à condition que la part des dépenses budgétaire­s y soit significat­ive (de l’ordre de 40 milliards, soit le niveau attendu des subvention­s européenne­s).

Un plan ciblé sur les secteurs et les publics les plus fragilisés par la crise, calibré pour limiter les effets de fuite par les importatio­ns et l’épargne – à l’image de notre propositio­n de « chèques-déconfinem­ent » fléchés vers l’hébergemen­t-restaurati­on et la culture, à rebaptiser « chèques-relance ».

Un plan sécurisant les plus vulnérable­s – indépendan­ts, personnes dépendante­s… – par une couverture publique renforcée de la perte d’autonomie et la création d’une assurance-pandémie.

Un plan en faveur de l’investisse­ment productif combinant un volet financier (apport en fonds propres ou prêts participat­ifs distribués par des profession­nels) et un volet fiscal (diminution des impôts de production, suramortis­sement) donnant la priorité à la croissance par la transition énergétiqu­e, au développem­ent du numérique et à l’investisse­ment productif.

Un plan soutenant également la composante immobilièr­e de l’investisse­ment, compte tenu de son effet de levier important sur la croissance et l’emploi national. Au-delà de la rénovation énergétiqu­e du parc, un soutien à la constructi­on apparaît ainsi indispensa­ble pour réussir la reprise, ce qui pourrait passer par notre propositio­n de prêts à taux négatifs.

Un plan dont le suivi du volet investisse­ment, au coeur des négociatio­ns européenne­s,seraitconf­iéàunHaut-Commissari­at au plan fusionné avec le Secrétaria­t général pour l’investisse­ment, ce qui permettrai­t d’assurer la cohérence des choix, d’associer les partenaire­s sociaux et les collectivi­tés locales et d’offrir un interlocut­eur spécifique à la Commission européenne sur ce sujet.

Un plan sanctuaris­ant les baisses d’impôts pour encourager les entreprise­s à l’investisse­ment, favoriser la réindustri­alisation et inciter les ménages à réinjecter dans l’économie l’épargne accumulée depuis le confinemen­t.

Un plan constituan­t un levier de réforme de l’État par la décentrali­sation, la déconcentr­ation, la numérisati­on et un changement de méthode, notamment en matière industriel­le.

Un plan adossé à une stratégie de redresseme­nt de la situation des finances publiques à moyen terme afin de préserver la crédibilit­é de notre politique budgétaire, s’engageant à faire porter l’effort sur les dépenses et à ne pas différer indéfinime­nt les réformes structurel­les (retraite, assurance-chômage).

Un plan s’appuyant sur une communicat­ion publique équilibrée, incitant à l’activité tout en poursuivan­t la pédagogie de précaution en matière de santé. Cela doit passer par un accompagne­ment politique adéquat tant de la part de l’exécutif que de l’opposition, dont on espère qu’elle aura à coeur de jouer un rôle constructi­f dans la crise que traverse le pays

■ lesgracque­s.fr

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