Cinéma : avec Nolan, « Tenet » vous bien !
Le réalisateur d’Inception sort un film fascinant, entre James Bond et physique quantique. Entretien.
Le cinéma de James Cameron est coincé dans le futur. Celui de Tarantino bloqué dans le passé. Christopher Nolan, lui, est obsédé par les deux à la fois. Et surtout par leur interaction. Pour lui, la courbe du temps n’est, en effet, qu’une affaire de perception : Following, Memento, Inception, Interstellar et, désormais, la colossale et fascinante aventure que raconte Tenet. Un titre issu du latin tenere (« tenir » ou « diriger »), venu d’un mystérieux carré comportant des inscriptions latines trouvé dans les ruines de Pompéi, et surtout un titre-palindrome, entendez qui se lit dans les deux sens. En avant et à rebours. Comme si Nolan, encore une fois, voulait nous montrer que c’est lui le nouveau maître du temps, le Chronos du cinéma qui, à défaut de pouvoir le plier à ses volontés dans la vraie vie, passe son temps à le déconstruire à l’écran, s’y promenant à sa guise, lui, et ses personnages…
Mais Tenet va encore plus loin. On peine à décrire l’expérience que le film, d’un montant de 250 millions de dollars, nous fait vivre depuis sa scène d’ouverture – une attaque à l’Opéra de Kiev dans une salle comble – où Nolan, créateur accro aux défis, juxtapose dans un même espace des mouvements contradictoires et pulvérise tous les standards de la scène d’action au cinéma. Dans Tenet, une mystérieuse technologie permettant d’inverser le mouvement des objets et des personnes est utilisée comme arme de destruction massive par un groupe inconnu qui a déclaré la guerre à notre monde. Une force d’intervention secrète, liée par le nom de code qui donne son nom au film et que vient d’intégrer un agent sans nom (incarné par John David Washington), va tenter d’identifier l’origine des agresseurs et de faire échouer leurs projets. Cible prioritaire : un oligarque russe (Kenneth Branagh, effrayant !) qui a pactisé avec l’ennemi et maîtrise bien des secrets relatifs à cette arme secrète qui menace de nous détruire. Tourné dans sept pays différents, de l’Inde à l’Italie en passant par la Norvège et le Danemark, Tenet germait déjà dans la tête de Christopher Nolan à l’époque de Dunkerque. Mais peut-être depuis 1977 (il avait alors 7 ans), lorsque son père l’emmena,
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« Tenet », c’est de l’hyperspectacle, mais façon puzzle, qui s’adresse autant à l’émotion qu’à l’intelligence du spectateur.
à Londres, voir le 2001 de Kubrick et son opaque ■ final défiant lui aussi le temps repris au mythique cinéma Odeon de Leicester Square. La même semaine, dans la même salle, Nolan Jr vivait son deuxième traumatisme cinématographique : La Guerre des étoiles. Star Wars et 2001 : le plaisir du pop-corn et le plaisir de la réflexion. Deux pôles constitutifs du cinéma selon Nolan, sur les épaules duquel repose le sauvetage des salles désertées depuis le début de la crise du coronavirus. Réussira-t-il ? Tenet, c’est James Bond rencontrant la physique quantique. De l’hyperspectacle, mais façon puzzle, qui s’adresse autant à l’émotion qu’à l’intelligence, et le spectateur, soufflé par les scènes d’action, devra en effet redoubler d’attention devant certains dialogues mouchetés de concepts scientifiques comme « entropie inversée », « étau temporel », « boîte morte », « algorithme à l’hypocentre » ou encore « paradoxe du grand-père ». Mais si c’est trop difficile, « ne cherchez pas à comprendre, vivez-le », pour reprendre une formule très prisée par ce prestidigitateur agitateur d’idées.
Parmi les secrets de cet homme souvent décrit comme un obsédé du contrôle : une organisation en vase clos avec les mêmes collaborateurs aux postes clés depuis des années, une maîtrise totale de la fabrication (il filme lui-même les scènes d’action avec ses chefs opérateurs) et une ultraplanification qui passe toujours par la rédaction, parallèlement au scénario, d’un « précis » synthétisant ses intentions, la texture de son récit, parfois écrit avec son frère cadet Jonathan. Le script d’Interstellar, dont l’écriture par Jonathan Nolan débuta en 2009, porte en lui la douleur des deux frères qui venaient de perdre leur père. Ne comptez pas sur Christopher Nolan pour s’étendre davantage sur cet épisode ni sur la raison pour laquelle, dans tous ses films, la dimension sentimentale, l’importance accordée à la notion de « souvenir » est si cruciale. L’incroyablement audacieux Tenet n’échappe pas à la règle, pariant sur la capacité d’immersion des spectateurs et leur envie de réfléchir à ce qu’ils voient sur l’écran, reflet de leur vie à venir, peut-être. Entretien avec le « cas » Nolan
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« Star Wars » et « 2001 », le plaisir du popcorn et celui de la réflexion, deux pôles constitutifs du cinéma selon Nolan.