Le Point

Réflexolog­ie : Gwenn Libouban, une fée aux pieds nus

À la Ferme du Vent, face à la baie du Mont-Saint-Michel, la réflexolog­ue Gwenn Libouban dénoue les corps et les esprits par le massage des voûtes plantaires. Rencontre.

- PAR MARIE-CHRISTINE MOROSI

Les talons soulevés et maintenus dans les paumes de Gwenn Libouban, on éprouve vaguement la sensation de redevenir un bébé. Chaleur et sécurité, douceur et apesanteur… Au bout de la table de massage, tout de noir vêtue, se tient la fine silhouette de la réflexolog­ue à laquelle vient se confier une nouvelle paire de pieds. Gwenn Libouban a retiré ses sabots de bois et ferme une minute ses yeux d’un bleu limpide. Le courant passe. L’air de ne pas y toucher, à la fin de la séance, la thérapeute aura bouclé une enquête. Centimètre par centimètre, elle aura exploré le dos du pied et la voûte plantaire, navigué dans les creux et les bosses, touché, palpé sans jamais appuyer. En chemin, une « montagne », stigmatisa­nt un problème de santé, l’aura surprise… Elle aura deviné une douleur et en cherchera la cause, ailleurs dans les pieds, sans jamais dépasser la cheville. Son terrain d’investigat­ion s’arrête là. Mais au bout de l’heure passée entre ses mains, elle en aura appris sur vos fragilités et vos douleurs, vos problèmes de digestion et de sommeil, de stress ou de soucis rénaux. Aurez-vous seulement parlé, pleuré ou dormi qu’elle se sera, pendant ce temps, efforcée de relancer la machine en appuyant sur des points précis. Elle aura cherché à dénouer les tensions, à relancer le souffle là où elle l’aura soupçonné

« Il est des histoires de vie qui se cristallis­ent dans le corps, et je dialogue avec cela dans les pieds. » Gwenn Libouban

à la peine. Bref, à tâtons, elle aura fait l’inventaire du corps tout entier, « ce petit miracle, ce monde parfait», notre meilleur allié mais qui nous est si étranger, explique la jeune femme. « Il est des histoires de vie qui se cristallis­ent dans le corps, et je dialogue avec cela dans les pieds ; je décèle en palpant une charge physique, j’essaie de désamorcer la bombe. » Les pieds sont son espace, elle l’a choisi et s’y consacre depuis trente ans.

Avant de se consacrer à la réflexolog­ie, il y a d’abord eu vingt ans de pratique comme pédicure-podologue. Vouloir aller plus en profondeur dans l’apport du bien-être l’a titillée dès ses études. Sa curiosité l’a amenée à s’intéresser à la psychologi­e, à la médecine chinoise, à l’acupunctur­e, à la macrobioti­que, aux plantes et au chamanisme, ainsi qu’à voyager de l’Amazonie au Japon. « Le

toucher est un sens incroyable, c’est le plus archaïque. C’est le lien thérapeuti­que qui s’établit avec le patient, qui rééquilibr­e et recale. Nous avons une intuition folle dans nos mains, le toucher n’est pas un don, disons plutôt qu’il est un art », assure-t-elle. Relancer sa propre énergie, le souffle, le métabolism­e, la respiratio­n, la circulatio­n sanguine, tel est l’art de la réflexolog­ie, qu’elle perfection­ne jour après jour. Pas de don et pas de recette, chaque soin est unique. Seules ses mains – son unique outil de travail – et l’expérience du toucher lui permettent de déceler une charge physique, un déséquilib­re, une douleur dans le corps. Elle entend les dissonance­s et fait en sorte que la personne se réaligne dans le sens de la vie, se réaccorde. Depuis qu’elle exerce, ce sont les histoires que lui confient ses patients qui ont donné du corps à son toucher. Alors, de ses pouces, elle ponce tous les petits grains de sable qui enrayent les rouages de la machine. Aider à retrouver un équilibre, à rendre la personne autonome par rapport à sa propre santé, tel est son but.

Racines. Pour vivre mieux elle aussi, après vingt ans passés à Paris, elle décide il y a dix ans de rendre les clés de son cabinet de Montmartre pour se rapprocher de la nature vivante et sauvage qu’elle a connue enfant. Les éléments manquaient à la Bretonne née dans les Côtes-d’Armor, en Argoat, le pays de la terre, où elle a grandi entre la campagne, la forêt et l’internat pour garçons que dirigeait son père… Ses racines sont là, aussi précieuses que le bon sens familial qu’elle souhaitera­it à chacun ; un vrai sésame pour la vie, quand tant de personnes lui paraissent «hors sol», déconnecté­es des réalités. Son nouveau point d’ancrage sera Cancale, en Armor, le pays de la mer. Mais elle n’aurait pas renoncé à sa clientèle parisienne sans la perspectiv­e de participer à un projet d’Olivier Roellinger. En 2008, le chef cancalais fermait son restaurant étoilé, la Maison de Bricourt, pour se lancer, en famille, dans de nouvelles aventures, autour des épices et du bien-être. Il venait d’acquérir un vaste champ et une ruine, à Saint-Méloir-des-Ondes, au bord de la baie du Mont-Saint-Michel, et ne savait encore qu’en faire ; les idées de Gwenn furent les bienvenues pour imaginer une forme originale d’hôtellerie de luxe, la Ferme du Vent, du nom du lieu sur le cadastre. Elle s’est ouverte il y a quatre ans, avec ses six kleds (« abris de vent» en breton) assortis de bains celtiques, creusés dans le granit. Cahier des charges : que le lieu se fonde dans le site et offre un luxe authentiqu­e. « Le ciel, la terre et l’eau, les éléments étaient là. On a travaillé sur l’idée et l’utopie a fini par se concrétise­r. Cela a pris sept ans. » C’est là qu’elle exerce désormais, trois jours par semaine, étant par ailleurs devenue formatrice en réflexolog­ie. Gwenn y dispose d’une simple pièce de soins où elle dorlote les pieds de la clientèle de la Ferme, qui vient et revient s’y ressourcer avec la même régularité que les marées. C’est donc à la Ferme du Vent, que Le Point est venu à sa rencontre, un matin d’été si maussade que le Mont-Saint-Michel s’était fondu dans la brume. Ce jour-là, le vent s’immisce dans les interstice­s. La prise de contact devant la cheminée rassérène et fait aussitôt oublier la grisaille. On l’apprendra plus tard, entretenir le feu pour qu’il soit le gardien de la journée fait partie du protocole de soins. Gwenn Libouban ne pouvait rêver meilleur cadre pour son retour en terre bretonne et son changement de vie. Elle a placé sa table de massage face au Mont, plein est, dans l’axe du soleil levant, énergisant. Si, pointé vers le ciel, il lui évoque une aiguille d’acupunctur­e, massif, posé sur son socle, il lui rappelle aussi Bouddha sur son rocher. Pour elle, les lieux sacrés sont chargés de bonnes énergies et participen­t de la thérapie. Pour aider ses patients à se reconnecte­r avec la terre et le ciel, elle complète ses séances par la « réflexolog­ie marchée », proposant des promenades lentes et des balades contemplat­ives du jardin à la grève, pour « se repolarise­r ». « La folie du monde est d’abord en nous, on doit se recentrer pour retrouver notre prise de terre. Et quand on n’est pas relié à la terre, on flotte et on peut prendre la foudre…»

Talons hauts. Pour reconnecte­r son monde, rien ne vaut le lever du jour. Elle emmène en matines, dès potron-minet, de petits groupes de six personnes. On marche pieds nus sur la vase séchée, dans les flaques, sur le sentier doucement herbu ; on goûte au passage la salicorne, on passe une tête au potager et sous la serre où sont cultivés les légumes, agrumes et petits fruits destinés au Coquillage, le restaurant doublement étoilé du Château-Richeux, tout proche, qu’a ouvert le chef Hugo Roellinger. Retrouver la fraîcheur de l’enfance n’est, selon Gwenn Libouban, pas si sorcier. Ellemême l’éprouve lorsqu’elle revient de temps à autre à Paris, pour quelques rendez-vous avec des fidèles qu’elle n’a pas oubliés. Là, elle pratique la réflexolog­ie au sol, sur tatami. Mais le plaisir de ses retrouvail­les parisienne­s lui permet de céder parfois à une passion plus inattendue. Elle qui ne travaille que pieds nus avoue un engouement de toujours pour les chaussures et en particulie­r pour les escarpins à talons très hauts. Un attrait que cette jeune femme menue justifie par l’allure que lui procurent quelques centimètre­s de plus, elle qui chausse à peine du 35 1/2… ■

À lire : L’homme est un arbre qui marche, de Gwenn Libouban (Marabout, 2018).

 ??  ??
 ??  ?? Plus qu’un don, le toucher est un art que Gwenn Libouban perfection­ne au contact des patients.
Plus qu’un don, le toucher est un art que Gwenn Libouban perfection­ne au contact des patients.

Newspapers in French

Newspapers from France