Tout reste à faire
On n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle. La republication par Charlie Hebdo des caricatures – comme pièce à conviction avant le procès – n’a pas entraîné, contrairement à ce qu’on avait vu en 2006, de vague de protestations dans la classe politique sur l’air de la « provocation ». On n’a même pas entendu, comme en 2015, Edwy Plenel affirmer, à propos de Charlie, que «la haine ne saurait avoir l’excuse de l’humour », ni Virginie Despentes qualifier d’« acte héroïque » le massacre perpétré par les frères Kouachi. Si même eux ne pratiquent plus cette spectaculaire inversion des valeurs, c’est peutêtre – on peut du moins l’espérer – que la notion de liberté d’expression commence à entrer dans les crânes.
À noter, surtout, les propos courageux (et argumentés) qu’a tenus dans Le Figaro le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-eddine Hafiz, et se concluant par : « Que Charlie Hebdo continue d’écrire, de dessiner, d’user de son art et surtout de vivre.» L’islam contre l’islamisme.
Attention, toutefois, à ne pas crier victoire. En cette rentrée des classes, une lycéenne prénommée Mila nous le rappelle. Cible de milliers de menaces de mort et de viol en janvier dernier après avoir critiqué l’islam sur les réseaux sociaux (sans attaquer les musulmans), elle a dû quitter son école. Ses agresseurs, eux, y sont toujours… Charlie, au prix du sang, a conservé le droit de dire – et de dessiner – ce qu’il veut. Et encore, sous protection policière. Mila, elle, n’a que le droit de se taire.
Et puis il y a ces petites entailles qui annoncent d’autres batailles. Ainsi, la suspension – temporaire – des comptes Instagram de Laure Daussy et Corinne Rey, dite Coco, journalistes à Charlie, après y avoir publié la une de l’hebdo. Aucune mauvaise intention ici de la part d’Instagram, mais le constat qu’un algorithme est mal armé pour faire la part des choses. Cela n’est d’ailleurs que le début. Les États, accablés – à raison – par ce qui circule sur les réseaux sociaux (racisme, antisémitisme, haines en tout genre), somment ces derniers de « modérer ». Sous leur contrôle. En France, avec la loi dite «anti-fake news» et la loi Avia (heureusement retoquée par le Conseil constitutionnel), l’État ne cesse de déléguer la censure aux plateformes numériques, sous la tutelle d’une administration, le CSA. La justice est court-circuitée. Sacré recul.
Le procès des attentats de janvier 2015 est aussi celui de l’antisémistisme. Les victimes de l’Hyper Cacher étaient visées parce que juives. Comme celles de Mohammed Merah à l’école Ozar Hatorah de Toulouse en 2012. Là encore, on ne constate pas que le substrat de l’antisémitisme régresse. Le 6 août, à Paris, un père de famille a été roué de coups et étranglé par deux personnes qui lui lançaient des « sale juif », « t’es un homme mort, sale race »… Ajoutez à cela, entre autres, des profanations de cimetières juifs et ces « sale juif » entendus lors d’une manifestation soutenue par des indigénistes, et, on l’aura compris, ce n’est pas gagné.
« Nous ne nous coucherons jamais », a écrit Riss dans son éditorial de Charlie Hebdo la semaine dernière. Espérons que la France non plus
■