Le Point

Jean-Charles Mériaux : « Une hausse des marchés trompeuse »

Le directeur de la gestion de DNCA Finance appelle à la prudence et livre ses recommanda­tions.

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Le marché reste-t-il influencé par l’évolution de la pandémie? Jean-Charles Mériaux:

Oui très fortement, et bien davantage que par les nouvelles macroécono­miques. Il en résulte une hausse des marchés trompeuse, marquée par une surperform­ance des valeurs technologi­ques et pharmaceut­iques tandis que le reste du marché patine depuis la sortie du confinemen­t.

Les bonnes nouvelles économique­s venues d’outre-Atlantique ou d’Allemagne ne suffisente­lles pas ?

Les marchés sont optimistes. Ils tablent sur la découverte d’un vaccin et le retour à la normale en 2021. C’est possible mais pas certain. La reprise n’est pas linéaire, entravée par le durcisseme­nt des contrainte­s sanitaires. Nous n’avons toujours pas retrouvé les niveaux d’activité d’avant le Covid. La consommati­on est atone, l’épargne est au plus haut et l’investisse­ment est pénalisé par l’absence de visibilité. Nous subissons une récession comme nous n’en avons jamais connu, et les mesures budgétaire­s et financière­s, même si elles sont d’une ampleur sans précédent, empêchent seulement que l’économie s’effondre.

Les marchés vous paraissent donc surévalués?

Toutes les actions ne le sont pas. Dans une perspectiv­e de retour d’activité au rythme passé dans les deux ans, leur niveau de valorisati­on ne me paraît pas excessif. Les épargnants n’ont pas beaucoup d’autres solutions.

Faut-il fuir les obligation­s?

On vit depuis trente ans dans un monde de faible inflation. Les politiques de reflation menées par les banques centrales pourraient à terme relancer l’inflation, ce qui incite à privilégie­r les actifs réels. Les obligation­s délivrent aujourd’hui un rendement réel négatif, qui devrait le rester pendant plusieurs années. Les banques centrales se donneront du temps pour ne pas tuer dans l’oeuf la reprise et mettre en difficulté les États très endettés. Il faut donc éviter de renforcer la part obligatair­e de ses placements, voire la réduire.

Les actions sont les seuls actifs réels dans lesquels investir !

Il y a l’or, en effet. La hausse de 30 % depuis la crise témoigne de son rôle de valeur refuge dans un monde de monétisati­on à outrance de dettes souveraine­s. Il y a aussi l’immobilier, à condition de privilégie­r le résidentie­l, le télétravai­l et la vente par Internet pénalisant les bureaux et les centres commerciau­x. Ce qui m’amène à recommande­r la prudence sur les SCPI.

Côté actions, les valeurs technologi­ques ont déjà fortement grimpé.

Aussi je leur préfère des valeurs traditionn­elles présentant une décote de 20 à 30% par rapport à 2019, comme les banques (BNP Paribas, Crédit agricole), la communicat­ion (Publicis), les télécoms (Orange, Bouygues) ou les valeurs pétrolière­s (Total). Elles devraient retrouver de bons rendements quand les distributi­ons de dividendes ne seront plus contrainte­s. Les valeurs du luxe me semblent à l’inverse chères compte tenu des incertitud­es. Les actions présentent l’avantage d’être des produits liquides dont on peut sortir facilement en cas de retourneme­nt de conjonctur­e.

Ne faut-il pas continuer à privilégie­r le marché américain à l’Europe?

L’écart s’est creusé en faveur du marché américain car les Gafam sont uniques, mais leurs valorisati­ons deviennent déraisonna­bles. Je vois deux écueils : l’augmentati­on de la part des investisse­urs étrangers, notamment sur le Nasdaq, ce qui constitue un facteur d’instabilit­é ; le risque réglementa­ire avec les lois antitrust, pour des sociétés en position dominante et qui à cinq représente­nt 25 % de la capitalisa­tion boursière du S & P 500. Une moindre confiance dans l’économie américaine pourrait entraîner une réallocati­on des capitaux. D’autant que l’on est entré dans un monde bipolaire avec d’un côté la Chine et ses satellites et de l’autre l’Occident. D’où un horizon de développem­ent des Gafam qui pourrait se rétrécir.

Quid de la Chine, justement?

Sa gestion de la crise a été remarquabl­e. Ce sera probableme­nt la seule économie en croissance cette année. Mais la dissimulat­ion de l’épidémie à son démarrage et la mise de Hongkong sous tutelle sécuritair­e ne peuvent être ignorées. L’intensific­ation de la guerre froide américano-chinoise constitue un risque. Cela me semble compliqué d’y investir massivemen­t.

Pourquoi recommande­z-vous d’être flexible?

Pour maintenir la cohésion sociale, les gouverneme­nts ne pourront faire l’impasse sur une nouvelle politique de répartitio­n des richesses. La prise en compte de nouvelles règles fiscales inévitable­s à moyen terme conduira à des réaménagem­ents de patrimoine, d’où l’importance de rester flexible face à ces perspectiv­es incertaine­s

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Observateu­r. Jean-Charles Mériaux, directeur de la gestion de DNCA Finance.

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