Marius Jauffret, Kafka à Sainte-Anne
«Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel », proclamait le film de Laurence Ferreira Barbosa, plongée dans l’institution psychiatrique et ses éclopés magnifiques. On y pense en lisant Le Fumoir, premier récit aux allures de cauchemar, où Marius Jauffret – le fils de l’écrivain Régis Jauffret – raconte son hospitalisation forcée, voilà deux ans, à Sainte-Anne – décidément très présente dans cette rentrée littéraire…. Tout commence par un soir de cuite où Marius, 25 ans, s’effondre. Son frère, inquiet, l’emmène à l’hôpital psychiatrique pour qu’il se sèvre de sa dépendance à l’alcool. Mais, une fois pris dans les griffes de l’institution, ni lui ni ses proches n’auront plus la possibilité de l’en faire sortir. La décision appartient au psychiatre, désormais tout-puissant – le règne de l’arbitraire ordinaire ? Voici Marius attaché, mis sous médicament, infantilisé… Son seul refuge devient le fumoir. Autour de lui s’agite
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une humanité qui sombre et se désespère dans ■ l’attente d’un diagnostic qui ne vient pas. D’un homme qui a agressé l’amant de sa femme à l’étudiante qui a insulté la police après avoir trop bu, en passant par la jeune salariée qui a giflé son supérieur et fait un burn-out, ils n’ont en commun que leurs destins fracassés. Jauffret nourrit sa colère au feu de leur détresse, avec l’humour noir comme arme de survie et de résilience. Rageur, tonique, percutant
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pages hantées par la figure du sacrifice – à commencer par les méduses tuées par les deux garçons pour sceller leur amitié. Éclats de tendresse et d’humour affleurent pourtant. Peu à peu, les pièces d’un puzzle intime et collectif sont livrées. Pourquoi Baptiste semble-t-il n’avoir que sa grand-mère au monde ? Qui est cette tante qu’il tient pour un monstre ? Puissant et subtilement déchirant
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