Le Point

L’épopée d’Emmanuel Ruben

- SOPHIE PUJAS

Il faut du panache, à l’heure de l’autofictio­n et des littératur­es dites « du réel », pour peindre encore le roman aux couleurs de l’épopée. Emmanuel Ruben n’en manque pas. Tout commence à la manière d’un conte, et par une fascinatio­n d’enfance : « Il y avait autrefois, dans la salle à manger de mes grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n’ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé. Des soirées entières, je m’étais contenté de le décrocher du regard, de le brandir en rêve, jusqu’au jour où j’ai cherché des yeux le reflet de sa lame et constaté sa disparitio­n. » Le narrateur va partir sur les traces de cette pièce perdue de la mythologie familiale. Ruben déroule les vies parfois imaginaire­s des ancêtres de son héros, avec une exubérance à la Münchausen, enjambant le temps et l’espace. Féru de géographie (on lui doit Sur la route du Danube, prix Nicolas-Bouvier), il sait quelles possibilit­és infinies de rêverie se dissimulen­t dans les recoins cachés des Atlas. Mais la transmissi­on de la grande Histoire elle-même ne doit-elle pas beaucoup à l’imaginatio­n et au plaisir des récits partagés ? Il ne s’agit pourtant pas ici de nier les heures noires du passé – et Ruben prend soin d’évoquer ce qui se cache derrière le lyrisme guerrier. La légende familiale en sortira quelque peu écornée. Mais c’est bien connu : c’est toujours la légende qu’il faut imprimer

Newspapers in French

Newspapers from France