L’épopée d’Emmanuel Ruben
Il faut du panache, à l’heure de l’autofiction et des littératures dites « du réel », pour peindre encore le roman aux couleurs de l’épopée. Emmanuel Ruben n’en manque pas. Tout commence à la manière d’un conte, et par une fascination d’enfance : « Il y avait autrefois, dans la salle à manger de mes grands-parents, un sabre de modèle inconnu, que je n’ai jamais manié, jamais soupesé, pas même caressé. Des soirées entières, je m’étais contenté de le décrocher du regard, de le brandir en rêve, jusqu’au jour où j’ai cherché des yeux le reflet de sa lame et constaté sa disparition. » Le narrateur va partir sur les traces de cette pièce perdue de la mythologie familiale. Ruben déroule les vies parfois imaginaires des ancêtres de son héros, avec une exubérance à la Münchausen, enjambant le temps et l’espace. Féru de géographie (on lui doit Sur la route du Danube, prix Nicolas-Bouvier), il sait quelles possibilités infinies de rêverie se dissimulent dans les recoins cachés des Atlas. Mais la transmission de la grande Histoire elle-même ne doit-elle pas beaucoup à l’imagination et au plaisir des récits partagés ? Il ne s’agit pourtant pas ici de nier les heures noires du passé – et Ruben prend soin d’évoquer ce qui se cache derrière le lyrisme guerrier. La légende familiale en sortira quelque peu écornée. Mais c’est bien connu : c’est toujours la légende qu’il faut imprimer
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