Le Point

On achève bien les chevaux

- PAR ROMAIN GUBERT ET AZIZ ZEMOURI

Antoine Comalada aime la tauromachi­e et Che Guevara. Suffisamme­nt pour avoir accroché au-dessus du canapé où patientent ses visiteurs une gigantesqu­e affiche annonçant une corrida dans une arène espagnole et un tableau de 2 mètres sur 2 du révolution­naire cubain. Ce patron de la plus grosse entreprise de Varneville-Brettevill­e (Seine-Maritime) fabrique des oreillers et des édredons « made in France ». Il aime raconter comment, ces dernières années, il a résisté à la Chine, maintenu l’emploi de sa centaine de salariés tout en améliorant la qualité de ses produits. Dans son bureau, l’entreprene­ur ne cache rien de ses autres passions. Deux imposants trophées de cerfs aux bois impression­nants habillent ses murs ainsi qu’un beau poster de cheval. « Sous mon lit, j’ai un fusil chargé de chevrotine­s caoutchouc. Que ces salopards s’en prennent à nouveau à un de mes chevaux et je n’hésiterai pas à tirer. Vous allez me faire passer pour le Clint Eastwood de la Haute-Normandie, mais j’assume totalement. »

Au début de l’été, Jador your Life, son poulain âgé de 1 an a été blessé sur près de 60 centimètre­s de long. Alain Comalada montre les photos. Le sang. La chair à vif. Le muscle endommagé de l’animal. « C’est un coup de cutter, ça ne fait pas de doute. Ceux qui font ça sont des malades, des pervers.» Le poulain a été recousu avec 50 points de suture. Depuis peu, il galope à nouveau et sa robe a repris sa belle couleur sombre. Geoffroy Autenne, le vétérinair­e chez qui l’animal est en pension, raconte. « Il s’en est fallu de peu pour que nous le perdions. Chez les chevaux, il faut intervenir très vite car l’infection gagne en moins de six heures. » C’est sa fille qui a sauvé Jador après avoir été prévenue par l’un des voisins qu’il se passait quelque chose d’étrange dans un des champs. Expert auprès des tribunaux et lui-même propriétai­re de chevaux, le vétérinair­e ne comprend toujours pas. Il a retourné le pâturage à la recherche d’un indice. Sans succès. « Il arrive que les chevaux se blessent seuls. Mais pour Jador, ce n’est pas une clôture ou une mangeoire. C’est forcément un couteau ou un objet contondant, comme j’aurais pu le dire dans une enquête. »

Gendarmes. Alain Comalada est d’autant plus furieux et prêt à en découdre qu’il accuse les gendarmes de ne pas avoir bougé le petit doigt. « Je veux bien croire qu’ils ont plein d’autres choses passionnan­tes à faire. Mais cette histoire de chevaux mutilés ne les intéresse pas. » L’une de ses voisines confirme. Depuis le début de l’été, Véronique de La Brelie fume cigarette sur cigarette. La mâchoire de sa pouliche, « la plus sympa du monde », a été fracassée « sans doute par une batte de baseball. Elle a eu une tête d’hippopotam­e pendant trois semaines ». L’ancienne éleveuse, aujourd’hui à la retraite, a multiplié les scanners et les opérations pour sauver le cheval. Elle continue à désinfecte­r sa blessure deux fois par jour et à l’alimenter avec des carottes râpées, l’animal ne pouvant se nourrir lui-même. Elle chiffre le montant des frais médicaux à 20 000 euros mais s’inquiète : la robe de sa pouliche a pris une teinte grisée, elle

perd du poids et reste extrêmemen­t ■ craintive, comme prostrée. « Les gendarmes n’ont pas voulu prendre ma plainte jusqu’à ce que je leur rappelle que je suis l’ex-épouse d’un ancien sous-préfet du Havre, ce qui les a fait un peu réagir. Mais ils ne sont même pas venus enquêter et chercher des indices dans mon champ. Qu’attendent-ils ? »

La Seine-Maritime est l’un des départemen­ts où se multiplien­t les agressions de chevaux depuis plusieurs mois. Une dizaine de cas y ont déjà été recensés. La psychose s’est emparée de tous les propriétai­res de la région. Il y a quelques jours, près de Dieppe, le patron d’une des plus grandes entreprise­s françaises du CAC 40 a prévenu les gendarmes que des rôdeurs fouinaient près de son haras et de sa résidence secondaire. Il redoutait une agression. Alain Crampon, lui, ne possède qu’un modeste élevage d’ânes. Il est écoeuré. Scipion, qu’il emmenait l’hiver sur les marchés de Noël à Paris pour des animations et des fêtes foraines, a été retrouvé mort, l’oeil crevé et l’oreille coupée. Lui aussi voudrait comprendre. Même inquiétude non loin de là. Pauline Sarrazin, une jeune femme dont le cheval a été également mutilé, a créé un groupe Facebook baptisé « justice pour nos chevaux » pour recenser toutes les agressions. Il regroupe déjà plus de 20 000 abonnés dans la France entière, dont beaucoup avouent leur colère et se déclarent prêts à tout.

Les gendarmes, qui centralise­nt l’enquête à l’échelle nationale, dénombrent au 14 septembre près de 250 cas de mutilation­s d’équidés, surtout dans la moitié nord de l’Hexagone. S’ils estiment qu’une majorité de ces mutilation­s sont vraisembla­blement « naturelles » et accidentel­les, les enquêteurs avouent travailler activement sur une quarantain­e de cas probableme­nt d’origine volontaire. Mais ils sont désorienté­s et confessent à mots à peine couverts ne pas tenir depistesér­ieuseetnep­asrecherch­er un agresseur unique, tant les victimes concernent aussi bien un poney d’une valeur de 300 € qu’un pur-sang valant plusieurs dizaines de milliers d’euros. « C’est une enquête où nous ne sommes sûrs de rien, reconnaît humblement le colonel Fabrice Bouillié, patron du service central du renseignem­ent criminel (SCRC), la cheville ouvrière de la police judiciaire de la gendarmeri­e. Tout est ouvert. Des mutilation­s dues à des charognard­s ou des renards, des escroqueri­es à l’assurance, etc. Des vengeances de voisinage sont également possibles. Certains prélèvemen­ts sanguins sur des chevaux ont même pu faire penser à un rituel satanique. Tout cela fait partie des hypothèses. Mais, nous ne disposons pas d’éléments probants pour privilégie­r une piste plutôt qu’une autre. Nous travaillon­s sur le contexte géographiq­ue local, mais aussi sur Internet. On scrute par exemple le Darknet à la recherche de paris où l’oreille de cheval ferait office de trophée pour ses utilisateu­rs. »

Serial killer. Les gendarmes rappellent qu’un phénomène similaire s’est déroulé en Suisse en 2005. La presse était sur la piste du « sadique zoophile de l’arc jurassien », laissant entendre que ce serial killer aurait énucléé, arraché les organes génitaux et attaqué plus de 60 équidés. Mais les investigat­ions se sont rapidement dégonflées, l’homme ne s’en était pris qu’à une petite vingtaine de chevaux. Malgré l’absence de piste sérieuse, la gendarmeri­e emploie les grands moyens. Dès le mois de février, le service central du renseignem­ent criminel a même rédigé une note « rouge » faisant état du phénomène. Sur les 300 gendarmes que compte le SCRC, près d’une vingtaine d’entre eux travaillen­t à plein temps pour recouper les indices, avec l’aide de la garde républicai­ne.

Il y a quelques jours, un homme, originaire du Haut-Rhin connu pour des faits passés de zoophilie a ainsi été placé en garde à vue. Fausse piste. Il a été rapidement remis en liberté. En coulisse, certains enquêteurs grognent et se demandent si l’autorité judiciaire n’a pas obéi à une commande

Les enquêteurs dénombrent 250 cas de mutilation­s. Pour eux, une quarantain­e serait d’origine volontaire.

«politique», cette arrestatio­n ■ intervenan­t quelques heures après la visite de deux ministres, Gérald Darmanin (Intérieur) et Julien Denormandi­e (Agricultur­e), auprès de propriétai­res de chevaux victimes d’actes de malveillan­ce.

À Gouesnarch, dans le Finistère, Alice Colle, qui dirige les Écuries du Reden (80 poneys), ne comprend pas pourquoi les autorités n’ont pas déployé l’armée pour mettre fin au « carnage ». Dans le voisinage, plusieurs chevaux, selon elle, ont été empoisonné­s à coups de somnifères, prélude à une agression. Dans cette bourgade voisine de Quimper (2 880 habitants), le cheval est roi. On en compte un pour 14 habitants. Avec 25 propriétai­res des alentours, elle a créé un groupe WhatsApp et organise des rondes chaque nuit depuis quinze jours. « Nous sommes épuisés. Nous ne dormons plus. Mais, on ne va pas laisser nos chevaux sans protection. »

Parmi ses voisins qui participen­t aux rondes, certains sont chasseurs et veillent avec leur arme. D’autres sont munis de fourches. Et chaque nuit, vers 2 ou 3 heures du matin, ils intervienn­ent. Parfois, ce n’est que le bruit d’un animal ou une moto qui sillonne la campagne un peu vite. De fausses alertes. « Si l’État envoyait des hélicoptèr­es et faisait son travail pour arrêter ces salauds, nous ne serions pas obligés d’en arriver là. Les imbéciles peuvent bien nous décrire comme des milices. Nous sommes simplement des citoyens excédés et épuisés. » Lors de ses gardes nocturnes, elle confie relever les plaques d’immatricul­ations des voitures inconnues et les transmettr­e aux gendarmes. Il y a quelques jours, un des membres du groupe a coursé un automobili­ste qui refusait de s’arrêter pour s’identifier. Les deux hommes ont failli en venir aux mains avant de se rendre compte qu’ils habitaient à 3 kilomètres l’un de l’autre. Jean-Pierre Marc, le maire de la commune, est très inquiet. « Les propriétai­res de chevaux aimeraient que j’organise moi-même une milice ou que je cautionne leur initiative. Mais je n’en ai pas le droit. Et, surtout, je redoute le drame. Chaque nuit, je me dis qu’il suffit qu’un groupe de jeunes fasse un peu de bruit autour des chevaux pour que tout dérape. »

La tension dans cette partie du Finistère est d’autant plus forte qu’il y a une vingtaine d’années plusieurs chevaux avaient été enlevés par un réseau d’escrocs venus d’Europe centrale qui alimentait des usines en faisant passer la viande de cheval pour du boeuf auprès d’industriel­s de l’agroalimen­taire peu scrupuleux. Depuis quelques jours, Alice Colle est de plus en plus en colère. Des drones survolent les pâturages où les bêtes ont été regroupées. « Ces appareils équipés de lumière nous menacent. L’un d’eux est passé tout près des chevaux. » Un des veilleurs a tenté d’abattre l’appareil d’un coup de fusil sans succès. Depuis, Alice Colle et ses voisins recherchen­t celui qui le fait voler pour lui donner une bonne leçon.

Le capitaine Benot n’aime pas ce qui se passe à Gouesnach. Il est inquiet. Très inquiet. Celui qui commande la gendarmeri­e de Quimper craint un drame. Depuis quinze jours, il multiplie les patrouille­s pour démontrer que ses gendarmes sont là. Il veut à tout prix empêcher les propriétai­res de se défendre eux-mêmes. Avec le maire, il a cartograph­ié les pâturages dans lesquels se trouvent les chevaux pour intervenir plus rapidement. Il a organisé une réunion publique. Et tente chaque jour de désamorcer les fantasmes. Le drone ? « C’est sans doute un agriculteu­r qui surveille ses champs de maïs pour connaître le meilleur jour pour moissonner. Les propriétai­res de chevaux ne se rendent pas compte. S’ils avaient abattu l’appareil, les choses auraient pu mal tourner. »

Rondes. Dès qu’un propriétai­re de cheval appelle le 17, le capitaine Benot envoie une équipe sur place. Il a aussi demandé aux habitants qui effectuent des rondes de tenir un cahier pour consigner le rôle de chacun et les itinéraire­s. Il surveille aussi ce qui se dit sur Internet. « C’est très inquiétant car, la nuit, le moindre passage d’une voiture à 10 kilomètres sur une route peu fréquentée proche d’un pâturage est commenté. Certains se proposent de venir en renfort pour protéger les animaux. » Or, à ce jour, il n’y a pourtant aucun cas de mutilation. L’officier de gendarmeri­e espère que les esprits se calment. « Mais, confie-t-il, tant que plane le mystère des chevaux mutilés… »

« Chaque nuit, je me dis qu’il suffit qu’un groupe de jeunes fasse un peu de bruit autour des chevaux pour que tout dérape. »

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Convalesce­nce. Jador your Life, la semaine dernière près de Dieppe, en pension chez Geoffroy Autenne (de dos), le vétérinair­e qui l’a soigné.
Legende Convalesce­nce. Jador your Life, la semaine dernière près de Dieppe, en pension chez Geoffroy Autenne (de dos), le vétérinair­e qui l’a soigné.
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 ??  ?? Nausée. Antoine Comalada, le propriétai­re de Jador your Life, attribue les attaques à des malades et des pervers.
Nausée. Antoine Comalada, le propriétai­re de Jador your Life, attribue les attaques à des malades et des pervers.
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Colère. Le 9 septembre, en Seine-Maritime. Véronique de la Brelie, dont la pouliche a eu la mâchoire fracassée, ne comprend pas l’attentisme des gendarmes.
Legende. To eos venis am, volupta dolore, omnient dolorit, ab int fuga. Por sequibus di omnimo tem. Nequia quam qui core sam essimpor sed qui ut elibus qui bere nonsequate­m. Optae volenihit aut vid maio. Nam, sitiae labor ate Colère. Le 9 septembre, en Seine-Maritime. Véronique de la Brelie, dont la pouliche a eu la mâchoire fracassée, ne comprend pas l’attentisme des gendarmes.
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Tours de garde. Près de Quimper, la nuit, des propriétai­res d’équidés effectuent des rondes, parfois armés.

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