« On nous submerge de règles sanitaires lunaires »
À Lille, restaurateurs et patrons de bar ne décolèrent pas.
Arnaud Meunier n’a rien d’une tête brûlée. Début septembre, pourtant, le patron du restaurant La Chicorée, une institution lilloise, a piqué un coup de sang : un matin, il est monté dans son utilitaire, a chargé son coffre et est allé déverser 1,5 tonne de moules devant la préfecture du Nord. Ses invendus de la célèbre braderie de Lille, organisée chaque année le premier week-end de septembre. Situation sanitaire oblige, le cru 2020 a été annulé: une braderie des commerçants a remplacé les joyeux stands de particuliers. « On s’est adaptés à l’évolution de la situation comme on pouvait, raconte Arnaud Meunier. Un week-end normal de braderie, on commande 12 tonnes de moules. Cette année, on a divisé les quantités par deux. La spécificité de l’établissement, c’est qu’il est ouvert toute la nuit, il est même réputé pour ça ! Pour la braderie, tout était prêt. Sauf que la veille, à 20 heures, on nous annonce que le préfet a décidé de fermer les restaurants et les bars à minuit. Or la nuit, c’est 15 à 20% de mon chiffre d’affaires ! Le dimanche soir, je me suis donc retrouvé avec 1,5 tonne de moules sur les bras. Je comprends la décision préfectorale, mais pas le manque d’anticipation. »
Depuis ce coup d’éclat, le restaurateur ne décolère pas. « Les règles sanitaires, on a bien été obligés de s’en accommoder. Mais là, ce n’est pas logique : pourquoi ne serait-on pas capables de faire notre boulot la nuit si on considère qu’on le fait bien la ceux qui font n’importe quoi ? Là, c’est comme si un conducteur prenait un sens interdit et que tous les autres autour recevaient le PV!» La veille de la braderie, quand il a appris qu’il devrait fermer à minuit, Guillaume Delbarre a craqué. « En juin, j’ai déjà perdu 70% de mon chiffre d’affaires par rapport à l’an dernier. Si j’avais fermé, j’aurais perdu moins d’argent qu’en restant ouvert. Pourquoi est-ce qu’on nous a laissés rouvrir si c’est pour nous empêcher de travailler ? »
Ordres et contrordres. « Je pense que 30 à 40 % des bars, à terme, vont devoir mettre la clé sous la porte, abonde Camille Grimaldi, à la tête du pub O’Scotland, situé rue Solférino, une artère très prisée des étudiants lillois. On nous submerge de règles parfois impraticables, lunaires, sans jamais nous consulter. On a dû se réorganiser, arrêter le service au bar. Mesurer les espacements, refaire les plans de table, ça m’a pris quatre jours à temps complet. Le cahier des charges est assez lourd, on est tous totalement crevés, mais on est bien obligés de suivre. On est des pros, donc on prend nos responsabilités. Il faut se rendre compte que fermer les bars, c’est aussi encourager les fêtes privées, sans aucun cadre ni contrôle. »
« Les règles d’accueil du public sont en perpétuelle évolution, c’est ça qui est très compliqué, confirme le producteur de spectacles Didier Vanhecke (Divan Production). Chacun essaie de faire sa propre cuisine, adaptée à son cas de figure, dans une nébuleuse d’informations émanant de différents ministères. Mon entreprise est en hibernation, 80 de nos concerts ont été annulés cet été. On reçoit en permanence des ordres et des contrordres des autorités. Pour qu’on puisse établir des offres et se remettre à travailler, il faudrait que les règles du jeu soient gravées. »
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