Le premier soir »
main… » La professeure de français Cécile Ladjali a l’impression de donner un cours « ex cathedra » à ses élèves malentendants et autistes qui se retrouvent « bâillonnés ». « Le masque nous ramène au problème de départ : au handicap, à cette incapacité à dialoguer, à aller vers l’autre. » Celle qui est également écrivain s’inquiète de voir certains « prendre goût à la claustration ».
« Moi, ça m’arrange qu’on ne voie pas mon visage ! » a lancé récemment un ado à la pédopsychiatre Marie-Rose Moro. « Ça permet à certains de se cacher et de se sentir un peu protégés », confirme la directrice de la Maison de Solenn, qui ne veut pas dramatiser l’effet du masque sur les relations sociales des jeunes. « On voit des adolescents se faire la bise avec leurs masques ! Ils s’en accommodent assez facilement. Mais pour des relations amoureuses naissantes, c’est un vrai obstacle. »
«On est devenus très individualistes et presque craintifs des autres », s’alarme Gwenn, lycéenne. « Les rencontres sont plus compliquées ; masqués, on a l’impression que tout le monde se ressemble. Puis, je sens que je suis moins réceptive au premier rendez-vous, car je ne sais pas si la personne se protège correctement», nous confie Salomé, étudiante. Certains osent la comparaison avec les « années sida » : le masque aurait remplacé, voire s’ajouterait au préservatif. Les craintes de contamination sont en tout cas bien réelles et l’injonction du Pr Delfraissy d’« arrêter les embrassades » a visiblement marqué les esprits. Sur l’appli de rencontre Tinder, après quelques mots échangés, une jeune femme prévient Nicolas : « Je ne fais pas la bise. » Le trentenaire parisien, célibataire, pourtant respectueux des gestes barrières, passera
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« On est devenus très individualistes et presque craintifs des autres. » Gwenn
« Tu te balades tout nu ! »
Une distance qui n’est pas toujours possible au bureau, où le masque génère souvent incompréhensions, quiproquos, voire tensions. Dans chaque open space, on trouve sa « vigie », qui veille au bon respect des règles. « Il est là ! » se préviennent mutuellement les collègues d’une boîte de conseil. Traduction : « Remonte ton masque ! » Dans chaque bureau, il y a aussi le « je-m’en-foutiste ». Sans pour autant être contre, il ne le met pas. Inès en a fait les frais en revenant à reculons dans son espace de coworking. « Moi, je le mets pas ! », l’a avertie son voisin. Rappelé à l’ordre, il a fini par sortir de son sac un vieux masque chirurgical noirci et élimé… Dans l’entreprise de Florent, où le télétravail n’a pas la cote, on partage un open space de 30 m2 à 12. Gare à celui qui se lève sans son petit bout de tissu. «Alors, tu te balades tout nu!» lui ont lancé ses collègues alors qu’il se levait tout juste. Certains y voient pourtant des avantages pratiques : faire la gueule sans qu’on le remarque, pouvoir bâiller en réunion, ne plus sentir les mauvaises haleines…