Les saboteurs des nobles causes
Nous assistons au dévoiement des combats marquants des dernières décennies. La lutte contre le racisme et les discriminations, tout d’abord. La défense de l’environnement, ensuite. Les indigénistes sont en train de discréditer l’antiracisme. Oubliée, la marche des Beurs ! Voici le temps des « ateliers en non-mixité raciale » ! Une aubaine pour les racistes. De même, par leur outrance et leur dogmatisme, les écologistes vont parvenir à nous dégoûter de l’écologie. En quarante ans, celle-ci est passée de Théodore Monod, l’arpenteur du désert, à Jacques Boutault, adjoint au maire de Paris-Centre (EELV), qui voit dans les admirateurs du Tour de
PAR SÉBASTIEN LE FOL
France des Français dans leur canapé « rêvant à des exploits de types hyperdopés qui gagnent seulement parce qu’ils se font changer leur sang dans des cliniques »…
On se demande bien à quoi il se dope, ce Boutault, pour cracher autant de mépris. Yannick Jadot va avoir du boulot dans les deux prochaines années : déminer les sorties délirantes des élus de son mouvement. Boutault et ses acolytes ont fourni aux pollueurs, aux climatosceptiques et à tous les autres ennemis de l’écologie des munitions en pagaille pour les dézinguer. On pouvait penser que l’accès aux responsabilités mettrait nos écolos sur la voie de la raison. Le contraire s’est produit !
L’antiracisme et l’écologie politique ont dérivé en des combats haineux, suspicieux. Et s’il était là le vrai séparatisme ! Ce n’est pas parce que des extrémistes ont effectué une OPA sur l’antiracisme et l’écologie que ces causes doivent être désertées. Au contraire, elles doivent être investies de nouveau et avec force.
Il existe de réelles discriminations dans notre pays, et les dégâts causés à notre environnement exigent une réparation urgente. Face au dogmatisme écologiste, il n’est plus permis de ricaner, et l’obsession identitaire des indigénistes mérite un traitement plus sérieux que le haussement d’épaules
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interrogé le nouveau président sur les sujets brûlants ■ de la restitution des oeuvres d’art à l’Afrique, que ce geste militant remet en scène. Qui mieux qu’un homme à la double culture, océanienne et européenne, peut entendre ce qui fut dit ce jour-là, même de manière la plus extrême, par ces activistes panafricains ? Né à Nouméa en 1960, d’un père kanak tailleur et d’une mère parisienne, linguiste, Emmanuel Kasarhérou s’est très tôt passionné pour l’archéologie et particulièrement la préhistoire de l’Océanie. À 25 ans, il est le premier directeur kanak du musée de Nouvelle-Calédonie. Il se consacre à recenser le patrimoine kanak dans le monde entier, aux côtés de l’anthropologue Roger Boulay, avant d’opter pour « les rivages du bord de Seine ». L’adjoint au directeur du patrimoine et des collections est désormais à la tête d’un établissement où, dès 2013, avec l’exposition « Kanak, l’art est une parole », il a continué d’oeuvrer à la connaissance de sa culture. D’«Océanie », dont Le Point était partenaire, l’an dernier, il disait : « C’est une fierté pour des sociétés qui ont produit des oeuvres d’art et intègrent enfin l’histoire globale. » Engagé aussi dans le Musée des civilisations noires de Dakar, Emmanuel Kasarhérou place l’histoire des collections au coeur de sa mission en vue d’un « dialogue des cultures », slogan du Quai Branly. Il s’en explique avec le sens des nuances de celui qui a appris, au fil de sa carrière, à faire évoluer les regards, dans l’entretien que nous publions à quelques jours du procès des activistes jugés pour
« tentative de vol en réunion d’un mobilier classé ». Verdict le 30 septembre au tribunal correctionnel de Paris
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Le Point: Vous attendiez-vous à ce genre d’événement? Et craignez-vous désormais ce type d’incident, où le musée devient une tribune médiatique?
Emmanuel Kasarhérou:
C’est la première fois que l’on s’en prend directement aux collections du musée. Ce sont des gestes qui nous alertent. L’oeuvre a été endommagée mais, heureusement, les dégâts sont contenus, car le poteau funéraire est relativement résistant. C’est d’ailleurs l’un des rares objets dont on peut se saisir dans la scénographie du musée. Je ne vois pas d’autre raison pour expliquer qu’il ait été choisi par ces activistes : il vient du Tchad et leur porte-parole, qui voulait le « ramener à la maison », est originaire du Congo. On peut écouter ce message, mais on est assez dépourvu pour répondre, car ces personnes étaient moins
Le musée est aussi ce lieu où l’on peut se confronter à d’autres identités, donc on ne peut pas se laisser enfermer dans des discours nationalistes. C’est aussi le lieu d’une fierté patrimoniale, qui peut aider certains pays à se décider à mettre les musées au coeur de leur politique. Il faut montrer que le patrimoine n’est pas simplement une réserve de vieux objets sortis de fonction, mais qu’il est aussi producteur pour le présent et pour l’avenir. Et qu’il n’y a rien de pire qu’un musée qui ne regarderait que son nombril.
Vous avez grandi en Nouvelle-Calédonie dans une double culture, entre un père kanak et une mère européenne. Cela joue-t-il dans votre vision de la culture, du musée et du patrimoine? La question de l’appropriation culturelle vous touchet-elle, vous qui dirigez un musée? Pourriez-vous confier une exposition sur les Kanaks, ou les Amérindiens, à quelqu’un qui ne l’est pas?
Écoutez, si l’on décide de traiter de la peinture aborigène des années 1970, je trouve bien que l’on fasse appel à quelqu’un de cette culture qui puisse nous dire: «Voilà comment, pour moi, ces peintures se lisent. » Mais attention, cela ne doit pas annihiler le discours de quelqu’un qui serait malgache ou autrichien mais spécialiste de la peinture aborigène des années 1970… Qu’il y ait des dialogues, oui, mais que cela finisse par des monologues, non, certainement pas. Ce qui est intéressant c’est la perception de soi confrontée à celle de l’autre. Si l’on est seul à faire la promotion de soi, je ne vois pas l’intérêt, on sort de la culture, on est dans autre chose
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