L’avion vert contre les cannibales verts
CLes malthusiens et les prophètes de l’aigreur n’ont pas le monopole de l’écologie. Les projets d’Airbus d’avions à hydrogène, donc « neutres en carbone », en sont la meilleure illustration.
hez les écologistes, on est en général peu favorable à la chasse. Sauf lorsqu’il s’agit de chasse à l’homme, et en particulier quand le gibier se trouve dans leurs rangs. Ces jours-ci, c’est Yannick Jadot qui sent le souffle de la chevrotine, contesté par certains de ses amis pour n’être probablement pas assez anti-5G, anti-Tour de France, anticapitaliste…
Le député européen EELV, qui ne cache pas ses ambitions présidentielles, a jusqu’ici navigué avec dextérité entre écolos libéraux et écolos décroissants, mais les saillies fracassantes de ses camarades contre les sapins de Noël et autres l’ont fait réagir (1). En retour, les amateurs de « lampe
à huile », pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron, commencent à lui en vouloir sérieusement. D’ailleurs, le conseil fédéral d’EELV a voté contre le calendrier de désignation d’un candidat à la présidentielle que proposait Jadot. Bonne ambiance. Pour une fois qu’ils ont un candidat à peu près bien placé…
Ce cannibalisme vert n’est pas très nouveau, l’histoire du mouvement en est remplie, mais Jadot se retrouve en première ligne de cette bataille entre une écologie positive (qui peut être contraignante tout de même) et une autre franchement répressive (ce qui, semble-t-il, procure un certain plaisir à ses adeptes). Cioran a écrit : « Certains ont des malheurs ; d’autres, des obsessions. Lesquels sont le plus à plaindre?» Il en est chez EELV pour lesquels il faudrait avoir de la compassion…
Ce débat ne sera pas limité au champ politique. Car l’écologie, cause majeure de ce siècle, est entrée dans la société, et dans l’économie. Les malthusiens et les prophètes de l’aigreur n’en ont pas le monopole, loin de là. La meilleure illustration en est le dévoilement par Airbus de ses projets d’avions fonctionnant à l’hydrogène, donc « neutres en carbone ». Il ne s’agit pas que de futurologie, puisque l’avionneur évoque un objectif à 2035. Ce qui est un horizon seulement deux fois plus long que le temps de développement d’un avion « normal ». Trois concepts différents sont envisagés. Ils nécessiteront des investissements importants – sans compter ceux qu’exige la production d’hydrogène avec des énergies renouvelables – mais qui ouvrent des perspectives excitantes. Ce n’est pas rien, évidemment, pour Toulouse et la région Occitanie, actuellement touchées par la crise de l’aérien, mais aussi pour la France et l’Europe.
Car dans le même temps est arrivée une autre nouvelle : le commerce extérieur chinois a connu depuis le printemps un rebond spectaculaire, atteignant des niveaux sans précédent (18% en avril, 15,9% en juillet) en termes de parts des exportations mondiales (2). Il est possible qu’une partie de ce phénomène soit temporaire, mais ce n’est pas certain. La Chine, donc, mais aussi la Corée du Sud et Taïwan – le nouveau monde – sont en train d’accélérer. Et nous ?
Le cocon de la protection sociale – augmentée des systèmes de chômage partiel ou technique –, financé par une dette elle-même assise sur une création monétaire hors norme, ne tiendra pas éternellement. Le risque d’une crise financière majeure n’est pas nul, comme l’écrit François Lenglet dans son nouveau livre (lire p. 38). Ce matelas à crédit nous offre surtout un sommeil trompeur. Et si nous nous réveillions dans un monde sino-taïwano-coréen ? Des systèmes très différents (deux sont des démocraties, l’autre pas) mais qui à l’évidence regardent devant eux. La semaine dernière, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, soulignait, dans son discours sur l’état de l’Union, que la Chine était un
« rival systémique ». Le début d’une affirmation de soi européenne. Le petit saut fédéral à l’occasion d’un plan de relance financé en partie par de la dette commune, l’idée d’une agence européenne de la recherche biomédicale (à l’image du Barda américain), l’investissement de l’Union dans les supercalculateurs et quelques autres indices nous disent que le Vieux Continent a ouvert un oeil. Suffisant ? Pas encore… Raison de plus pour refondre, à l’occasion de cette crise, notre modèle obèse et pataud tout en s’appuyant sur l’écologie, qui ne quittera plus les esprits, sans se laisser distraire par la moraline mortifère et paralysante des cannibales verts Étienne Gernelle
■
1. Dans L’Obs du 17 septembre.
2. Financial Times, 21 septembre. P.-S. : Charlie Hebdo, à nouveau dans le collimateur d’Al-Qaïda après la republication des caricatures de Mahomet et condamné par des chefs d’État étrangers tel le président turc Recep Tayyip Erdogan, n’en finit plus d’être la cible des extrémistes. Sa DRH, Marika Bret, a dû quitter son logement à la suite de menaces précises. Évidemment, nous sommes, au Point, plus que jamais « Charlie ».
La semaine dernière, à l’initiative de Riss, directeur de
Charlie Hebdo, un groupe de journaux, rejoint par des dizaines de médias écrits et audiovisuels, a rédigé un manifeste de défense de la liberté d’expression. Nous le publions évidemment dans ce numéro (lire p. 20). Ne lâchons rien.