Le Point

Les échappées de Gégé.

À contre-courant. La Corée du Nord, l’islam, Houellebec­q, les écolos… Morceaux choisis de son nouveau livre.

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UNE GLACE EN CORÉE DU NORD

Je vois le monde, je suis intéressé par les gens qui me touchent. Qu’importe ce que l’on me dit d’eux, moi, je sais ce que j’entends d’eux. Prends par exemple ces dictatures, que l’Occident dénonce à longueur de temps. Leur premier abord est souvent effrayant, ce premier abord outrageuse­ment maquillé par les politiques et les médias, celui qui fait peur, celui qui fait vendre. Quand je suis allé en Corée du Nord, j’ai vu comment fonctionna­ient les journalist­es. J’étais dans un hôtel où il y en avait plein. Pas une fois ils ne l’ont quitté, cet hôtel, sauf pour suivre le programme qui leur avait été fait. Ils sont restés là, parqués. Comme des cons. On aurait dit un car de touristes au Mont-Saint-Michel. Ils sont venus et sont repartis avec leurs propres préjugés. L’idée ne les a même pas effleurés d’aller voir ailleurs, autre chose. Ils sont restés enfermés, et en revenant ils ont écrit des articles dans lesquels ils disaient qu’ils étaient enfermés. Commence par essayer de sortir, abruti, avant de dire que tu es enfermé !

C’était hallucinan­t.

Bien sûr, on n’avait pas le droit d’aller partout. Mais je n’ai eu aucun mal à convaincre les gardes de m’emmener là où je voulais.

Je leur disais : « Je veux aller là. » Ils me répondaien­t : « Non, on ne peut pas. » Alors je leur disais : « Vous, vous ne pouvez pas, mais moi, je veux y aller, et vous allez venir avec moi. Je peux vous y emmener ! »

Et on partait.

Je suis allé comme ça jusqu’à la frontière de la Corée du Sud.

Et dans ce pays, j’ai vu un régime de dictature, bien sûr, un régime que je ne soutiens pas, mais j’y ai aussi vu des êtres humains.

Ceux dont ne parlent jamais nos journaux, ceux que l’on résume à ce régime qu’ils subissent au quotidien.

J’ai fait de vraies rencontres et j’ai vécu de grands moments.

Un jour, j’étais dans un fauteuil roulant parce que j’avais du mal à marcher, il y avait un militaire avec moi, qui ne me lâchait pas du regard, ses yeux étaient des mitraillet­tes. Il devait se demander ce que

c’était que ce gros tas qui se faisait rouler dans ■ son fauteuil. Moi aussi, je le regardais, je le fixais, je ne le lâchais plus, c’était comme dans un film de Sergio Leone. Et je riais intérieure­ment en continuant à le fixer, son regard était de plus en plus hargneux. J’avais l’impression d’être dans la cage de bambou du Pont de la rivière Kwaï, avec le mec prêt à me taper dessus. Au bout d’un moment, j’ai demandé au traducteur de lui dire que j’allais lui payer une glace, chez le marchand, un peu plus loin. Il n’a pas bougé. J’ai dit à mon traducteur : « Allez, pousse-moi, il va suivre ! » Et en effet, il a suivi. On est allés jusqu’au petit triporteur qui vendait des glaces gelées comme du marbre, j’en ai pris une pour chacun, il l’a acceptée, et au moment où j’ai mordu dans la mienne, paf, ma dent s’est pétée !

Et là, il a commencé à rire, à hurler de rire ! Toute son apparence, son uniforme, son autorité se sont évanouis en un instant, et on a partagé un moment véritablem­ent extraordin­aire avec cette glace à la dent! On a trouvé un autre langage, un langage commun.

LE SILENCE INQUIÉTANT DES RUES FRANÇAISES

Quand je reviens de Russie, d’Algérie, d’Éthiopie, d’Ouzbékista­n, j’ai l’impression qu’en mon absence une bombe a explosé.

Je suis stupéfait par le vide qui règne. Dans les rues, dans les regards, dans les esprits. Par ce silence inquiétant.

Je n’ai jamais vu un pays où les gens s’arrêtaient si peu dans la rue pour se parler. Ils courent d’un endroit à un autre et rentrent bien vite chez eux.

J’évite même maintenant de demander à ceux que je croise à Paris comment ils vont. Parce que la plupart du temps, ça ne va pas du tout.

Il y en a pourtant, des pays où il y a encore une énergie incroyable, des villes comme Téhéran, Novossibir­sk en Sibérie, Omsk. On ne s’en rend pas compte ici. Il nous reste quoi ?

[…] Je n’aime pas ce que je vois ici.

HOUELLEBEC­Q, LE SEUL

Heureuseme­nt, quelques jolies fleurs peuvent encore pousser sur le fumier de cette dépression française.

Je pense à Michel Houellebec­q, à son dernier roman, Sérotonine. Lui, Houellebec­q, c’est un dandy. Un dandy magnifique, un peu comme l’était Serge Gainsbourg, avec sa perception particuliè­re des choses, cette grande poésie, ce côté Juif errant qui chez lui était sublime.

Pour moi, aujourd’hui, Houellebec­q, c’est le seul. Tous les écrivains français paraissent ampoulés auprès de lui. Lui est vraiment très intéressan­t.

La France d’aujourd’hui, on la retrouve chez lui. C’est elle qui lui donne le la.

LES ÉCOLOS, CES HITLER DU BIEN

Qu’on ne vienne surtout pas me parler des écolos. Eux, ce sont les plus redoutable­s. Ces mecs qui se donnent le beau rôle. « On s’occupe de vous ! » Il n’y a rien de pire. C’est: «Faites pas ci, faites pas ça!» Déjà ils regardent ta salade, ce que tu bouffes, bientôt ils vont regarder nos merdes. Eux sont vraiment des gens dangereux, des juges, avec cette façon de montrer du doigt. De dire le bien et le mal. D’avoir cette obsession trouble pour la pureté. Ce sont des inquisiteu­rs, des ayatollahs, des Hitler du bien, les totalitair­es de demain.

RAMADAN À DUBAÏ

Aujourd’hui, je suis à Dubaï. C’est le ramadan. En face de moi, je vois des gens dresser des tentes pour la soirée. Ils préparent des tables, de la nourriture, toutes sortes de mises en joie. Ils s’apprêtent à recevoir, à partager.

J’aime beaucoup ce moment de l’année. Ce jeûne vécu et rompu ensemble, qui resserre la communauté, est un véritable moment de fête.

Et il y a l’aumône, la zakat el-fitr, tu dois donner à tous ceux qui sont dans le besoin, afin qu’ils puissent eux aussi rompre le jeûne. Tout ça, ce sont des générosité­s. Mais aussi et surtout un rendez-vous avec soi-même. Comme une méditation.

L’islam est très attentif au corps. Il y a non seulement le ramadan, mais cette prière où on doit se baisser cinq fois par jour. Que tu aies 18 ou 90 ans, c’est la même chose, tous les jours, tu te baisses, tu te mets à genoux, tu te lèves. C’est une des forces de l’islam.

Une force simple. Une énergie de répétition. De la même façon que leurs chants. Ces sourates que l’on entend une semaine avant le ramadan. Leurs intonation­s impriment un rythme, c’est déjà une énergie que l’on te donne, une vibration, une préparatio­n. Une mise en condition. Elles t’amènent à une écoute différente, à une ouverture, qui t’aide à entrer dans la phase de jeûne.

Bien sûr, les débuts sont difficiles. L’euphorie n’est pas immédiate. Je vois beaucoup de musulmans qui ne vivent que dans l’attente du coucher du soleil, du moment où ils vont casser le jeûne. Toute la

journée, ils n’attendent que ça, l’instant où ils ■ vont se jeter sur la nourriture. Dans leur esprit, il n’y a plus que cette attente, une attente désagréabl­e. Si ce n’est que ça, le ramadan ne leur sert à rien. Ils passent à côté de tous ses bienfaits. De toute l’énergie qu’il peut donner.

ÇA PUE UN ACTEUR QUI PENSE

Depuis le début, j’ai toujours été plus sensible dans un texte au rythme et à la respiratio­n qu’au sens des mots. Quand j’étais jeune, j’apprenais toujours mes textes en faisant du vélo. Au rythme des coups de pédale, du corps, du souffle et de la respiratio­n. Pour les vers à douze pieds, c’était parfait. Aujourd’hui, je joue avec une oreillette. C’est la même chose. La même façon de ne pas m’encombrer avec les mots. La même façon de ne pas penser mais d’être, tout simplement.

Bien souvent, on trouve que j’ai une façon de parler un peu confuse. C’est parce que j’ai le langage des émotions que je reçois, que mon corps m’envoie. De leur vérité. Et il n’y a rien d’organisé là-dedans.

Ce qui est très bien, car je déteste penser, j’aime ne pas savoir ce que je dis. Parce que, fondamenta­lement, ça n’a pas vraiment d’importance.

Un bon acteur, c’est quelqu’un qui ne pense pas, mais qui vit. Quelqu’un qui regarde l’autre et qui ne pense pas à la réplique qui va suivre. Un bon acteur, c’est quelqu’un qui n’a pas peur. La peur a une odeur. Ça pue, un acteur qui pense.

« Je ne vois plus en France que des gens qui ont dans les mains des livres de développem­ent personnel, qui me disent qu’il faut penser positif. »

ON TUE LES VIEUX SANS QU’ILS MEURENT

Le sort que l’on réserve à nos vieux ici, en Occident, est effrayant. Dans les années 1950, on les gardait encore avec nous. On ne se posait même pas la question. Ils restaient avec les enfants, avec les petits-enfants.

Aujourd’hui, ici, c’est fini. On ne s’occupe plus d’eux. On les retire de la famille, de la vie. On les met dans des maisons. « Ils seront mieux là-bas », dit-on.

Et on les exile dans cet espace où, forcément, ils vont perdre la raison.

Parce que, pour pouvoir continuer à vivre dans ce genre de maison, il faut forcément perdre la raison. Pour ne plus voir les murs. Pour ne plus voir cette réalité qu’on leur fait.

Ils n’ont pas d’autre choix que de devenir invisibles. De s’oublier eux-mêmes tant on veut les oublier. C’est une façon de les tuer sans qu’ils meurent. De les mettre en terre encore vivants.

Voilà ce que cette société, ici et maintenant, nous amène à faire. Sans même y réfléchir.

Que je sois en Afrique, dans les pays arabes, en Russie, tous ces pays où il y a encore de la vie, partout je vois des vieux. Au milieu de leur famille, encore. De leurs traditions. Bel et bien vivants.

LES ALGÉRIENS N’ONT RIEN OUBLIÉ DE LA NATURE

Je viens de quitter l’Algérie.

J’étais à El Djamila, l’ancienne Madrague. C’est une ville avec tout autour des jardins de toute beauté qui produisent des fruits, des légumes extraordin­aires. Et sans une merde de glyphosate dessus. Les chimistes n’y ont pas encore mis leur groin.

C’est riche, c’est beau, les gens qui cultivent ces terres ont tout à nous apprendre. Il y a dans les yeux de ces paysans, comme dans ceux des pêcheurs de la ville, une intelligen­ce, une ouverture incroyable­s.

Quand je les vois, ces Algériens, c’est vraiment la vie que je vois. C’est elle qui donne toute cette intensité à leur regard. Ces gens connaissen­t tout, c’est-àdire qu’ils n’ont rien oublié de la nature.

Si on peut souvent être trompé par la perversion des gens qui font l’Histoire, la simplicité de ceux qui vivent vraiment leur géographie ne nous trompe jamais.

LA FRANCE EST PLEINE D’ARTHRITE

La France est vieille. Très vieille. Elle pourrait profiter des leçons de son ancien temps. Mais non.

La France est vieille et se veut jeune, c’est terrible. Elle a beau vouloir le masquer, elle est pleine d’arthrite, cette France.

Je ne vois plus ici que des gens qui ont dans les mains des livres de développem­ent personnel, qui me disent qu’il faut penser positif.

Et quand j’allume la radio, je n’entends plus que des émissions sur la dépression, sur les médicament­s, les molécules. Ces molécules qui aujourd’hui sont fabriquées en Chine et en Inde et qui bien souvent te bousillent les hormones. Qui te tuent parfois, même, tant on néglige les effets des interactio­ns médicament­euses, qui peuvent être de véritables bombes.

Tout ça pour supporter ta vie. Ici, en France.

NOS HOMMES POLITIQUES N’ONT PLUS DE VENTRE

Ce n’est pas cette politique française qui va changer quelque chose. Cette politique qui, comme toutes les politiques, n’est rien d’autre que de la haine.

Ce n’est même plus de la politique maintenant, ce ne sont plus que des attitudes.

Il suffit de regarder ces gens qui nous gouvernent ou veulent nous gouverner. Ce n’est même pas la peine de mettre le son. Leur apparence suffit à comprendre ce qu’ils essaient de te fourguer.

Ils ressemblen­t tous à des présentate­urs de télé, ils n’ont plus de ventre, on sait même pas s’ils chient encore.

Ce sont juste des costumes, même pas, des portemante­aux. Des bureaucrat­es, tous les mêmes. Comme les sénateurs romains. Les excès en moins

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 ??  ?? Sur la route. Gérard Depardieu en Ouzbékista­n en 2019, sur le tournage de « Mon rêve ouzbek », réalisé par Arnaud Frilley et diffusé le 7 octobre sur Paris Première.
Sur la route. Gérard Depardieu en Ouzbékista­n en 2019, sur le tournage de « Mon rêve ouzbek », réalisé par Arnaud Frilley et diffusé le 7 octobre sur Paris Première.
 ??  ?? « Ailleurs », de Gérard Depardieu (Le Cherche-Midi, parution le 8 octobre, 224 p., 19 €).
« Ailleurs », de Gérard Depardieu (Le Cherche-Midi, parution le 8 octobre, 224 p., 19 €).
 ??  ?? Citoyen du monde. Sur un marché d’Ouzbékista­n, sur le tournage de
« Mon rêve ouzbek ». « Quand je reviens [en France], je suis stupéfait par le vide qui règne. Dans les rues, dans les regards, dans les esprits », écrit Depardieu.
Citoyen du monde. Sur un marché d’Ouzbékista­n, sur le tournage de « Mon rêve ouzbek ». « Quand je reviens [en France], je suis stupéfait par le vide qui règne. Dans les rues, dans les regards, dans les esprits », écrit Depardieu.

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