Le Point

Yuval Noah Harari : « Il devient aisé de nous manipuler. »

L’historien est de retour. Son « Sapiens », best-seller planétaire, est devenu une BD ! Planches et entretien exclusifs.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAETITIA STRAUCH-BONART

Dans son best-seller Sapiens, Yuval Noah Harari montre comment l’espèce humaine a prospéré grâce à la coopératio­n à grande échelle. Celle-ci repose sur ce qu’il nomme des fictions

–la religion, l’argent, les droits de l’homme en sont quelques exemples, tout comme, prise dans son sens littéral, la fiction comme narration. Harari lui-même s’y connaît en histoires : médiéviste, conteur de l’aventure humaine dans Sapiens puis Homo deus, il s’essaie aujourd’hui à un autre genre de récit, celui de la bande dessinée, en signant chez Albin Michel avec le coscénaris­te David Vandermeul­en et le dessinateu­r Daniel Casanave le premier tome de Sapiens. La naissance de l’humanité, qui paraît dans une vingtaine de pays. La maison d’édition française vient en effet de créer un départemen­t consacré au 9e art, qui publiera des créations originales et des transposit­ions de romans et d’essais.

Le résultat est impression­nant : des cent premières pages de Sapiens, les trois auteurs ont fait naître un univers original, dans lequel Harari, figure longiligne et énergique, mène l’enquête, aidé de scientifiq­ues du monde entier, pour comprendre la révolution cognitive à l’origine de la domination humaine. Donner à voir Sapiens était un challenge, car il fallait aussi bien illustrer ce monde lointain dans sa dimension concrète que matérialis­er des théories complexes. Pour ce faire, l’équipe, rompue à la vulgarisat­ion scientifiq­ue – Vandermeul­en a fondé la collection « La Petite Bédéthèque des savoirs» au Lombard, et Casanave a réalisé quatre albums en collaborat­ion avec l’astrophysi­cien Hubert Reeves –, a vu grand, récrivant certains passages du livre, inventant des personnage­s – on notera par exemple la sympathiqu­e professeur­e Saraswati – et privilégia­nt l’humour. Sapiens la BD est donc plus et autre que Sapiens le livre et plaira sans aucun doute autant aux adeptes de l’ouvrage initial qu’à ceux qui ne l’ont jamais ouvert. Et puis ne boudons pas notre plaisir : à l’heure où la France rêve de relancer des industries stratégiqu­es, voilà un projet franco-belge, conçu par une maison d’édition française, qui va essaimer dans le monde entier.

Le Point: Pourquoi publier une adaptation BD de votre livre, et non un documentai­re ou une série?

Yuval Noah Harari: J’espère bien qu’un jour nous en ferons une émission de télévision ! Mais le but principal de cette BD est d’atteindre un public qui ne lit pas forcément des essais ou des ouvrages de sciences humaines. En réfléchiss­ant à la façon de raconter l’histoire et la science de manière visuelle, nous nous sommes, avec David Vandermeul­en et Daniel Casanave, beaucoup amusés ! Il nous a fallu briser les convention­s universita­ires. Par exemple, un des chapitres prend la forme d’un roman policier où on cherche à savoir qui a tué la plupart des grands animaux de la planète. Et on découvre qu’il s’agit de Sapiens, quand les premiers humains ont atteint l’Australie il y a environ 50 000 ans. Ou encore, pour expliquer l’émergence de la religion et de l’art, nous avons utilisé des super-héros. J’espère que ce ■

sera tout aussi amusant pour le lecteur de découvrir ■ ces connaissan­ces de cette façon.

Comment traduit-on un ouvrage en BD?

Cela demande beaucoup de temps et d’effort, car il ne s’agit pas seulement de republier Sapiens avec des images, c’est un projet complèteme­nt original. D’un côté, je dois vérifier les données scientifiq­ues nouvelles qui sont apparues depuis dix ans, de l’autre, je dois repenser ma façon de raconter l’histoire ou la science. Les images nous forcent à nous poser des questions qu’on peut ignorer quand on écrit un livre. Prenez l’invention du feu : dans une BD, il faut vous demander qui est cette personne qui a frotté deux pierres l’une contre l’autre pour la première fois. Est-ce un homme ou une femme ? Un enfant ou un adulte ? Quelle est la couleur de sa peau ? Ce qui pousse à des interrogat­ions scientifiq­ues et politiques. C’est pour cela qu’en travaillan­t avec cette équipe, j’ai énormément appris.

Pourquoi, à votre avis, votre oeuvre a-t-elle atteint un si large public?

Moi-même je ne m’y attendais pas du tout. Mais cela tient à mon avis à deux raisons. D’abord, j’ai été aidé par des personnes très talentueus­es dans l’édition et le marketing. Ensuite, ces livres répondent à un vrai besoin, car ils racontent l’histoire de l’humanité selon une perspectiv­e vraiment globale. Or nous vivons aujourd’hui dans une réalité globale, nos vies sont déterminée­s par des phénomènes mondiaux, comme le changement climatique ou l’intelligen­ce artificiel­le (IA). Pour y répondre, nous avons besoin d’une compréhens­ion globale. Or, malheureus­ement, dans la plupart des pays, on continue d’apprendre une histoire nationale.

Les nations ne sont-elles pas nécessaire­s? Les êtres humains ont toujours eu besoin de communauté­s pour coopérer.

Pendant les 70 000 dernières années de notre histoire, les humains ont trouvé des moyens de créer des groupes de plus en plus étendus : nous sommes des animaux sociaux. Mais, pendant très longtemps, nous avons vécu dans des groupes de quelques individus, où tout le monde se connaissai­t. C’est très différent de la nation moderne. Les 70 millions de Français ne se connaissen­t pas. Ce qui ne veut pas dire que la nation moderne est une mauvaise chose, c’est une des meilleures créations de l’histoire humaine, parce qu’elle est au fondement des systèmes publics que sont l’État-providence et l’éducation. Nous payons des taxes à l’État, de sorte que des personnes que nous n’avons jamais rencontrée­s reçoivent de tels services. Habituelle­ment, on associe le nationalis­me à la haine, à la guerre et au génocide. Mais le nationalis­me, ce n’est pas haïr les étrangers, c’est aimer ses compatriot­es.

Pourtant on oppose souvent nationalis­me et globalisme…

C’est absurde ! Pourquoi faudrait-il faire ce choix ? Il n’y a pas de contradict­ion entre votre famille et la nation : vous pouvez vous occuper des membres de votre famille et être dans le même temps un bon citoyen –obéir à la loi, payer vos impôts ou soutenir votre équipe de football. De même, vous pouvez être un bon citoyen et en même temps coopérer avec d’autres citoyens au niveau mondial pour protéger l’environnem­ent ou réguler des technologi­es dangereuse­s. Ou encore, pour protéger leurs concitoyen­s en cas de défi mondial, les nations ont besoin de coopérer entre elles, comme l’a montré l’épidémie de Covid-19.

Êtes-vous d’accord avec le philosophe Peter Singer, qui parle d’un «cercle» de la morale «en expansion» depuis les débuts de l’humanité, au sens où nous incluons dans notre considérat­ion des groupes de plus en plus éloignés de nous? Faut-il y englober les animaux?

Je suis d’accord avec l’idée générale selon laquelle nous devons être plus attentifs au bien-être des animaux. À mon sens, la morale est essentiell­ement une question de minimisati­on de la souffrance. Elle ne consiste pas à suivre les lois d’un pays ou d’une religion. Les animaux souffrant comme les humains, il faut les inclure dans la morale. Mais on ne peut pas donner à tout le monde la même considérat­ion. Même dans son propre pays, on ne traite pas de la

même façon les inconnus et les membres ■ de sa famille. Il est donc normal que notre intérêt pour des êtres humains soit plus grand qu’envers les animaux. Pour autant, aucun groupe ne doit prétendre à 100 % de notre considérat­ion. Il faut trouver un équilibre. Précisémen­t, le danger de mouvements tels que le fascisme est de ne pas reconnaîtr­e ce besoin d’équilibre. Ils exigent la loyauté envers un seul groupe, en l’occurrence la nation, ce qui conduit les individus à commettre des actes terribles au nom de celle-ci.

La pandémie a-t-elle changé votre vision du monde?

Elle a plutôt confirmé ce que je pensais. Bien sûr, le Covid-19 dans sa particular­ité ne pouvait pas être anticipé, mais l’idée de pandémie mondiale n’est pas nouvelle, même si nous y faisons bien mieux face aujourd’hui qu’au Moyen Âge. Les historiens savent que les épidémies sont fréquentes. Avant le Covid-19, il y a eu le sida, avant cela la grippe asiatique, avant cela encore la grippe espagnole… Et, plus avant encore, la Peste noire, qui s’est répandue en quelques années et a causé la mort d’entre un quart et la moitié de la population d’Europe et d’Asie. C’est une partie intégrante de l’histoire humaine. Ce qui renforce encore ce que je vous disais tout à l’heure, que l’histoire est globale, que les intérêts des êtres humains sont les mêmes, et que, pour les protéger, une coopératio­n internatio­nale est nécessaire. On ne peut pas stopper une pandémie en ne travaillan­t qu’au niveau national. Si les Allemands trouvent un vaccin, il serait ridicule que les nationalis­tes français prétendent ne pas vouloir d’un vaccin étranger et exigent un « vaccin patriotiqu­e ». Par ailleurs, penser qu’on peut échapper aux phénomènes mondiaux, par exemple en fermant les frontières, est une illusion. C’était encore possible à l’âge de pierre, quand les individus vivaient dans des communauté­s très étroites et n’avaient pas d’animaux domestique­s, qui sont des vecteurs de transmissi­on privilégié­s de maladies infectieus­es.

Que pensez-vous de l’usage de la technologi­e pendant la pandémie?

Ce que j’en pense en temps normal : tout au long de l’histoire, la technologi­e a pu être utilisée pour faire le bien ou le mal. La même technologi­e peut être employée pour sauver ou tuer. Un train peut permettre de transporte­r de la nourriture ou emmener des personnes dans un camp de concentrat­ion. Homo sapiens a inventé de nombreuses technologi­es, comme les radeaux ou les habits en fourrure, ce qui lui a permis de survivre et de peupler plusieurs continents. Mais ces technologi­es lui ont aussi permis de causer une catastroph­e écologique, l’extinction de 90 % des grands animaux de la planète. Nous pensons que la crise climatique actuelle est un phénomène moderne, mais cela fait en réalité cinquante mille ans que ça dure.

N’était-ce pas nécessaire pour que «Homo sapiens» survive?

Il est en effet difficile de prévoir exactement toutes les conséquenc­es de nos actions. Les humains n’avaient pas planifié de provoquer cette extinction. Ils allaient juste chasser des mammouths! C’est la même chose aujourd’hui, la plupart des personnes ne cherchent pas à provoquer un effondreme­nt écologique. Même le PDG d’une entreprise pétrolière. D’autant que personne n’aime se sentir coupable. Il est donc facile de se raconter à soi-même des histoires fausses mais qui nous permettent de nous sentir bien et de paraître bon. Ce PDG n’a pas envie de se dire tous les matins qu’il contribue à une catastroph­e écologique, il préfère penser que le changement climatique est une « fake news ». La vérité est douloureus­e et complexe, or les humains veulent des histoires flatteuses et simples.

« Les humains n’avaient pas planifié de provoquer l’extinction de 90 % des grands animaux de la planète.

Ils allaient juste chasser des mammouths ! C’est la même chose aujourd’hui. »

Certaines «histoires» ne nous sont-elles pas utiles?

Le succès humain tient à la coopératio­n à grande échelle, et celle-ci dépend toujours de l’usage d’histoires, le cas emblématiq­ue étant la religion. Il faut distinguer ces fictions de la réalité objective. Une

montagne est une réalité objective : on peut la voir et la toucher. Une entreprise, par contraste, est une fiction inventée par des juristes et à laquelle on croit. L’argent est aussi une fiction, peut-être la plus réussie de tous les temps. Mais il est important de comprendre que ces fictions sont des outils, pas des fins en soi. Nous ne devons pas devenir leurs esclaves.

Le libéralism­e est-il une meilleure fiction que la religion?

Je ne pense pas que les deux se contredise­nt. Vous pouvez être religieux et libéral. Ou athée et illibéral. Staline était dans ce dernier cas, et ce fut un des pires criminels de l’humanité. Cependant, le libéralism­e offre de meilleures fondations à une société bonne parce qu’il est plus ouvert. Je ferais aussi une différence entre la spirituali­té et la religion. La spirituali­té consiste à se poser de grandes questions – qui suis-je ? qu’est-ce que le bien ? que croire ? – et à être ouvert à différente­s réponses possibles. La religion est l’exact opposé. Elle se contente de donner des réponses. Ce qui est une base sociale problémati­que, car il y a une constante dans l’histoire, c’est le changement. Une religion peut être

« L’argent est une fiction, peut-être la plus réussie de tous les temps. Mais il est important de comprendre que ces fictions sont des outils, pas des fins en soi. Nous ne devons pas devenir leurs esclaves. »

adaptée à un certain contexte, mais devenir ■ un obstacle si les circonstan­ces changent. Le libéralism­e, par contraste, est beaucoup plus ouvert au changement. Son fondement est la liberté de penser, d’explorer et d’expériment­er, sans avoir à accepter aucun leader ou aucune fiction ayant un monopole sur la vérité. Dans les deux cents dernières années, il a permis de créer le monde le plus pacifique, prospère et tolérant de l’histoire. Aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux penseurs estimaient que si nous allions dans la direction libérale la société s’effondrera­it. Or, aujourd’hui, nous avons devant nous le résultat de cette expérience historique, et il est clair comme de l’eau de roche : de nos jours, les pays qui sont toujours fondés sur des dogmes religieux, comme l’Iran, ont des niveaux bien plus élevés de meurtres, de viols et de vols que les pays libéraux et séculiers.

Pourtant, en Occident, les «libéraux» continuent de s’opposer aux «conservate­urs».

Certes, et on parle même de « retour de bâton conservate­ur » (conservati­ve backlash) aux ÉtatsUnis. Mais en termes historique­s, ceux qui sont aujourd’hui des conservate­urs tendent à être bien plus libéraux que la plupart de ceux qui étaient considérés comme « libéraux » il y a cent ou deux cents ans ! Un républicai­n américain d’aujourd’hui qui remonterai­t le temps se retrouvera­it parmi les libéraux extrêmes ! Considérez les trois questions suivantes : pensez-vous que les individus devraient avoir le droit de choisir leur gouverneme­nt, ou devraient-ils accepter le règne d’un roi choisi par Dieu ? Pensez-vous qu’ils devraient avoir le droit de choisir leur métier, ou devraient-ils exercer la même profession que leurs parents, dans la caste où ils sont nés ? Pensez-vous qu’ils devraient avoir le droit de choisir leur partenaire, ou devraient-ils se ranger au choix de leur famille ou du prêtre ? Si vous choisissez la première option de chaque question, vous êtes « libéral », même si vous votez pour un parti de droite. Or ce type de libéralism­e est en train de s’étendre dans le monde entier.

Pensez-vous que l’histoire ait une direction? Que le progrès moral existe?

Ce serait trop optimiste. Je pense qu’il y a plutôt un mouvement de balancier. Au siècle dernier, nous avons assisté à la fois à un progrès social immense et à une régression tout aussi grande. Dans des circonstan­ces quelque peu différente­s, les nazis auraient pu gagner la Seconde Guerre mondiale, ou les communiste­s la guerre froide. Nous ne devrions pas être trop contents de nous en pensant que cette voie était prédétermi­née. On ne peut donc pas parler de tendance claire dans le domaine éthique, parfois le balancier va dans la direction de l’améliorati­on, parfois de l’aggravatio­n. Dans les cinquante dernières années, le progrès moral a été spectacula­ire dans la plus grande partie de la planète, mais ce n’est pas gravé dans le marbre. Et dans vingt ou trente ans, étant donné les développem­ents actuels, la situation pourrait être bien pire, peut-être pire que dans les pires moments du XXe siècle.

Qu’est-ce qui vous inquiète le plus?

La montée de nouvelles technologi­es qui rendent possibles, pour la première fois dans l’histoire, la surveillan­ce et le contrôle de tout le monde en permanence, pour « hacker » l’être humain en quelque sorte. Staline, Hitler, Mao ne pouvaient pas le faire parce qu’ils ne possédaien­t pas la technologi­e adéquate. Maintenant, avec les capteurs, les caméras et l’IA, c’est tout à fait faisable. Il est donc possible de créer le pire régime totalitair­e qui ait jamais existé. Ce n’est pas inévitable, mais c’est possible.

Votre peur n’est-elle pas fondée sur une vision réductionn­iste? Sur l’idée que l’homme est essentiell­ement fait de circuits de neurones qu’on peut facilement «hacker»?

Penser qu’il y a quelque chose dans l’être humain qui échappe à la compréhens­ion du cerveau, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Même si nos décisions reposaient sur cette chose mystérieus­e qu’est le « libre arbitre », la grande majorité d’entre elles n’entreraien­t pas dans cette catégorie. La plupart des choix que nous faisons – qu’acheter, pour qui voter, avec qui se marier – ne semblent pas être le résultat d’un libre choix. C’est pourquoi il devient si aisé, avec les technologi­es d’aujourd’hui, de nous manipuler. Certains craignent qu’un jour l’IA prenne notre place, car elle nous surpassera­it en tout. Mais la vraie menace n’est pas qu’elle s’attaque à nos forces, mais à nos faiblesses : qu’elle trouve les failles de notre psychologi­e et les exploite. Il est facile d’appuyer sur le bouton émotionnel – celui de la haine, de la peur, de la colère. Nous commençons à le voir partout, à mesure que les gouverneme­nts, les hommes politiques et les entreprise­s progressen­t dans leur compréhens­ion de notre mécanique interne.

« Avec les nouvelles technologi­es, il est possible de créer le pire régime totalitair­e qui ait jamais existé. »

N’est-ce pas une prophétie autoréalis­atrice? Si vous dites aux gens qu’ils n’ont pas de libre arbitre, alors ils le pensent, et ils deviennent manipulabl­es.

C’est le contraire ! Les personnes les plus faciles à manipuler sont celles qui croient dans le libre arbitre. Quand un désir advient, vous ne marquez pas une pause pour vous demander d’où il vient, car vous croyez dans le libre arbitre. Mais si vous être méfiant à l’égard de ce mythe, vous vous posez des questions. D’où vient ce désir ? Et vous aurez plus de chance de vous protéger de toutes sortes de manipulati­ons.

Que faut-il faire pour éviter la dystopie technologi­que que vous décrivez?

Nous avons besoin de nouveaux outils pour nous protéger de la surveillan­ce numérique. Les ordinateur­s ont des protection­s antivirus, il faudrait l’équivalent pour nos cerveaux. Les ingénieurs pourraient se consacrer non pas à développer des outils pour que nous cliquions davantage ou restions plus longtemps en ligne, mais des sortes d’« acolytes numériques » (digital sidekicks) qui nous serviraien­t, nous, et non les gouverneme­nts ou les entreprise­s. Ils nous permettrai­ent, par exemple, de savoir à quel moment nous sommes manipulés.

Vous êtes à l’origine historien du Moyen Âge. Usez-vous de cette formation dans votre travail actuel?

L’histoire médiévale m’aide à analyser les faits sur le long terme. Prenez les « fake news ». Elles existaient déjà au Moyen Âge, et c’était bien pire : imaginez que, dans une petite ville, quelqu’un alerte la population de l’existence d’une vieille femme qui vit à l’écart et semble avoir des pratiques étranges : une sorcière ! En moins d’une heure, une foule de gens la poursuiven­t et la tuent. On associe l’invention de l’imprimerie avec une révolution scientifiq­ue, mais quand elle est arrivée en Europe depuis la Chine au XVe siècle, le best-seller de l’époque n’a pas été un traité scientifiq­ue, mais le Malleus Maleficaru­m, un guide pour identifier et tuer les sorcières. Comme souvent avec la technologi­e, les «fake news» offrent un format nouveau à un phénomène ancien.

Vous pratiquez la méditation. Cela a-t-il un rapport avec votre vision du monde?

Je pratique la méditation vipassana une heure le matin et une heure le soir, et chaque année je fais une retraite de trente jours ou davantage. Et, en effet, elle est tout à fait liée à mon travail. La méditation que je pratique consiste à entraîner son esprit à faire la différence entre la réalité et la fiction. Quand on commence la méditation, on se rend compte qu’on n’est pas capable d’observer son propre esprit pendant quelques secondes sans qu’il s’égare, happé par des histoires, des souvenirs et des divagation­s. Progressiv­ement, on s’entraîne à se concentrer sur la réalité de l’instant. C’est une compétence très précieuse que j’utilise dans ma vie personnell­e et profession­nelle. Sans elle, je n’aurais pu écrire ni mes livres ni cette BD

« La spirituali­té consiste à se poser de grandes questions et à être ouvert à différente­s réponses possibles. La religion est l’exact opposé. Elle se contente de donner des réponses. »

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 ??  ?? Dans l’album. Historien spécialist­e du Moyen Âge, Yuval Noah Harari est professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Son best-seller « Sapiens » s’est vendu à plus de 12 millions d’exemplaire­s dans le monde.
Dans l’album. Historien spécialist­e du Moyen Âge, Yuval Noah Harari est professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. Son best-seller « Sapiens » s’est vendu à plus de 12 millions d’exemplaire­s dans le monde.
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Évolution. Dans les trois planches suivantes, Harari rappelle, non sans une subtile dose d’humour, les théories du métissage (ci-dessus) et du remplaceme­nt avant de tenter de résoudre, grâce aux apports scientifiq­ues, la question existentie­lle : d’où venons-nous ? Réponse : « C’est compliqué. »
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 ??  ?? « Sapiens. La naissance de l’humanité », tome 1, de Yuval Noah Harari, David Vendermeul­en et Daniel Casanave (Albin Michel, 248 p., 22,90 €). Parution le 7 octobre.
« Sapiens. La naissance de l’humanité », tome 1, de Yuval Noah Harari, David Vendermeul­en et Daniel Casanave (Albin Michel, 248 p., 22,90 €). Parution le 7 octobre.
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Ça planche. Yuval Noah Harari entouré de son coscénaris­te David Vandermeul­en (à g.) et du dessinateu­r Daniel Casanave (à dr.).

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