Voyage chez les irréductibles Suédois
Ni confinement ni masque obligatoire, le pays mise sur la responsabilité civile. Un pari gagnant ?
C’est une scène que l’on croyait à jamais gravée dans le passé. Fin d’aprèsmidi à Stockholm, des dizaines de Suédois se pressent dans la rame du métro à la station Medborgarplatsen, au coeur de l’île méridionale de Södermalm. La journée de travail s’achève. Les mines sont enjouées. Aucun masque de protection n’est porté. « Le gouvernement nous a toujours expliqué que ce n’était pas une obligation ni une nécessité », explique Karolyne, styliste de 30 ans. À rebours du monde entier, la Suède ne préconise pas le port du masque contre le Covid-19. Et peut se vanter d’être l’un des pays les moins contagieux d’Europe. Ainsi, la jeune femme debout dans le wagon se pense-t-elle aujourd’hui en sécurité. « J’ai été testée positive aux anticorps, ce qui signifie que j’ai sûrement attrapé le coronavirus par le passé », affirme-t-elle, avant de disparaître derrière les portes automatiques.
Malgré l’heure de pointe, la rame est loin d’être bondée. Si aucun des sièges n’est condamné, les passagers tentent tant bien que mal de maintenir entre eux une distanciation sociale. Assis avec une amie dans un espace pour quatre, Philippe avoue avoir du mal à respecter ces recommandations. « Oui, cela fait peur, admet cet électricien de 21 ans, mais c’est mon choix et ma liberté : je veux continuer à vivre car ce virus va rester avec nous pendant quelques années ». À quelques mètres de lui, Imane, 55 ans, garde les yeux rivés sur son tricot rouge. Elle non plus ne porte pas de masque. « J’ai un peu d’asthme et aurais donc des difficultés
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à respirer avec», se justifie-t-elle
■ maladroitement.
À la différence des autres États européens, la Suède n’a jamais pris de mesures drastiques contre le coronavirus. Ce pays de 10,3 millions d’habitants n’a pas confiné sa population ni même fermé ses écoles publiques (primaire et collège). Au contraire, depuis l’arrivée du virus fin février, probablement par le biais de vacanciers suédois de retour des Alpes, les autorités en ont appelé à la responsabilité individuelle des Suédois, priés de respecter la distanciation sociale à l’extérieur, d’adopter le télétravail dans la mesure du possible et de se confiner à domicile au moindre symptôme. Seule mesure coercitive, l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes. « Nous avons décidé de prendre des mesures que l’on pourrait garder longtemps tout en conservant dans le même temps une société qui fonctionne, décrit la ministre de la Santé et des Affaires sociales, Lena Hallengren. La décision de ne pas fermer les écoles a été très efficace car elle a permis à la société de continuer à travailler. »
Sept mois après le début de la pandémie, les résultats sont pourtant contrastés. Au niveau économique, la Suède a limité la casse. Selon les estimations, son PIB devrait chuter de 4,4 % en 2020, contre 8,7 % pour la France. En revanche, sur le plan humain, elle a subi une première vague dévastatrice. Avec 5 880 morts, le pays dépasse l’Hexagone en nombre de victimes comparé à sa population. Néanmoins, alors que la France se prépare à une seconde vague de coronavirus, le niveau de contaminations en Suède reste relativement bas.
Hausse attendue. Au centre hospitalier universitaire de Karolinska, un immeuble flambant neuf au nord de Stockholm, qui a traité la majorité des cas du pays, il ne reste plus que deux patients Covid en soins intensifs. « Il s’agit de personnes d’âge moyen qui ne sont plus infectées par le coronavirus mais qui souffrent de complications, explique Björn Persson, directeur de l’unité à Karolinska. Pour le reste, nous avons très peu de patients depuis juillet. » Recevant en jean-baskets et sans masque dans une salle ultrasécurisée du 7e étage de l’hôpital, le chef de service de 46 ans semble aujourd’hui bien plus détendu qu’au pic de contamination, en juin, lorsque son service recevait jusqu’à 200 patients par jour. « Nous n’avons jamais été submergés mais nous avons dû accepter de fournir un service de moindre qualité et les conditions de travail du personnel n’étaient pas acceptables
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« Ne pas fermer les écoles a permis à la société de continuer à travailler. » Lena Hallengren, ministre de la Santé
sur le long terme », confie le médecin, ■ qui refuse néanmoins de se satisfaire de ce calme apparent. « Nous assistons actuellement à une légère augmentation du nombre de tests positifs au Covid-19 et devons nous préparer à une probable hausse des admissions », prévient-il.
Cette inquiétude tranche avec l’insouciance affichée à Stockholm, ville la plus densément peuplée du pays et la plus touchée par l’épidémie. En ce début de week-end, il faut réserver une table pour espérer siroter un cocktail sur le toit de l’Urban Deli, un bar tendance situé dans le quartier central de Norrmalm. Au neuvième et dernier étage d’un bâtiment de bureaux, un chemin de bois conduit à un petit pavillon en verre. Des néons rouges tamisés ainsi qu’une cheminée centrale apportent un peu de chaleur à la soixantaine de clients assis. À moins que ce ne soit les quatre coupes de Margarita posées sur la table d’Ulrika et de ses amies. «Nous pouvons tous mourir à n’importe quel moment, alors il faut savoir profiter de l’instant », lance la Suédoise de 27 ans, jockey professionnel à Stockholm. Expliquant avoir attrapé le Covid-19 en mars lors d’un voyage à Madrid, la jeune femme aux longs cheveux bruns s’est confinée volontairement durant tout le printemps, à l’image de la majorité de la population. « Si les bars sont restés ouverts, ils étaient quasiment vides car les Suédois sont très disciplinés et écoutent les autorités », souligne-t-elle avec fierté.
Durant l’été, beaucoup de Stockholmois ont trouvé refuge dans leur maison secondaire à la campagne. Et ce n’est qu’en septembre qu’ils se sont enfin retrouvés entre amis. Si elles ne transparaissent pas au premier regard, de strictes mesures ont été fixées par le bar. Il est possible de se lever pour commander une boisson au comptoir, mais il est indispensable ensuite de se rasseoir, en conservant un espace d’au moins 1 mètre avec les autres groupes. Mais à l’image du duo de garçons assis juste derrière Ulrika, la règle n’est pas toujours respectée. « Ne vous inquiétez pas, sourit Rasmus, 20 ans, les Suédois sont déjà distants par nature. »
Clé sous la porte. Les bars et les restaurants de Stockholm ont beau être restés ouverts tout au long de l’année, le tiers a dû mettre la clé sous la porte, faute de clients. « Nous avons perdu 50 % de notre clientèle », explique Karin Nordheden, gérante de l’Urban Deli, qui propose aussi un restaurant et une épicerie au rez-de-chaussée. Une crise aggravée par le fait que la plupart de ses clients habituels sont des employés de bureau qui ont, de fait, opté pour le télétravail au moins jusqu’à la fin de l’année. Sa survie, l’entreprise la doit à la santé financière du groupe agroalimentaire
Axfood, auquel elle appartient, qui lui a permis de ne licencier aucun employé. Sans compter que l’été a quelque peu fait revenir les clients. « Les gens se sont lassés de rester chez eux, affirme Karin Nordheden. Bien sûr, nous avons toujours 30 % de clientèle en moins, mais ce ne sera plus jamais comme avant : nous sommes entrés dans l’ère postcorona. » Pour faire respecter les distances de sécurité, l’établissement a retiré la moitié de ses 400 chaises. Au moindre symptôme, les employés doivent rentrer chez eux pour deux jours. En revanche, en cas de test positif, aucune mesure de traçage des cas contacts n’est prévue en Suède. « Je fais confiance aux autorités de mon pays, même si elles ont choisi une voie à l’opposé de tous les autres États », souligne la gérante, elle-même testée positive aux anticorps du coronavirus au printemps. Chaque matin, Karin Nordheden fait un point avec les représentants du personnel sur les nouvelles précautions à prendre. Pour ce faire, elle ne manque pas une seule intervention d’Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de l’Agence de santé publique (lire interview pages suivantes).
Le médecin de 64 ans est devenu le visage de la singulière méthode suédoise contre le Covid-19. À la tête d’une organisation de 450 spécialistes, c’est lui qui définit depuis sept mois les recommandations sanitaires à suivre par la population, bénéficiant à ce titre d’un quasi-blanc-seing de l’exécutif. « L’Agence de santé publique est une autorité indépendante et nous nous basons tout le temps sur ses conseils et ses recommandations »,
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« Ne vous inquiétez pas, les Suédois sont déjà distants par nature ! » Ramus, 20 ans, au bar Urban Deli