Terrorisme islamiste : les nouvelles menaces
Sortants de prison, policiers radicalisés : des profils très surveillés. Restent les loups solitaires…
Il est entré en France via l’Italie, après avoir travaillé un temps en Turquie, en provenance de son Pakistan natal. Celui qui prétend s’appeler Ali Hassan et être âgé de 18 ans a raconté son périple migratoire aux policiers de la brigade criminelle de la police judiciaire parisienne, lors de sa garde à vue, après son agression au hachoir, le 25 septembre, devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, dans le 11e arrondissement de Paris. Pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance, il était muni d’un vrai-faux acte de naissance qui lui faisait voir le jour le 10 août 2002. Il aurait en réalité 25 ans et se nommerait Zaed Hassan Mahmoud, selon une vidéo révélée par Le Point, aux mains des enquêteurs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), cosaisie avec la police judiciaire parisienne par le Parquet national antiterroriste.
Sa minorité avait été contestée devant le tribunal judiciaire de Pontoise par le conseil départemental du Val-d’Oise, qui lui octroyait une aide légale en raison de son âge. La justice a refusé d’effectuer un test osseux et enjoint à l’institution de continuer sa prise en charge. Le conseil départemental avait fait appel, une audience devait avoir lieu. Majeur, le jeune Pakistanais aurait pu être contraint à une obligation de quitter le territoire. Mais, grâce à son faux alias, il avait rendez-vous à la préfecture pour examiner sa situation et, éventuellement, bénéficier de documents lui permettant de rester dans notre pays. Dans la vidéo, il explique pourtant qu’en France on a insulté le Prophète et qu’il en est meurtri. À ce jour, les enquêteurs n’ont pas découvert de réseau criminel ayant pu lui
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fournir de l’aide pour mener ■ son action terroriste, laquelle a blessé grièvement deux salariés d’une agence de presse.
« Aujourd’hui, la menace est endogène avant tout, on craint surtout une action individuelle.» Les propos tenus au Point par Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, la veille de l’attentat, étaient prémonitoires. Le 4 avril, c’était un réfugié soudanais qui attaquait des passants dans les rues du centre-ville de Romans-sur-Isère (Drôme) aux cris d’« Allahou akbar », faisant deux morts et cinq blessés. « La menace est toujours très élevée. Notre veille Internet, tous réseaux confondus, fait de la France l’un des pays les plus menacés en Europe. Davantage encore depuis la republication des caricatures du prophète Mahomet », insiste l’ancien préfet. C’est ainsi que celui qui dit s’appeler Ali Hassan a justifié son attaque.
Même si la menace terroriste semble moins prégnante dans l’opinion,lesservicesderenseignements sont toujours restés en alerte. Quelques semaines avant l’ouverture du procès devant la cour d’assises de Paris pour juger les complicités présumées des terroristes Saïd et Chérif Kouachi (auteurs de l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo) et d’Amedy Coulibaly (assassin d’une policière municipale à Montrouge et auteur de l’attaque meurtrière contre l’Hyper Cacher), la DGSI et le Service central du renseignement territorial (SCRT) ont effectué un « criblage » permettant d’évaluer les menaces susceptibles de peser sur l’ensemble des parties civiles, et notamment les rescapés. L’enquête, très poussée, a été élargie aux familles des victimes, à l’exemple de celle de Charb.
« Janus ». Écoutes, surveillance des correspondances numériques, suivi des connexions d’individus inscrits au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) : les modes d’action que la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme de 2017 autorise ont été mis en place. Chaque semaine, les services font le point, en particulier sur les « Micas », les individus qui font l’objet de «mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ».
Avec 8132 individus fichés au FSPRT, chaque service priorise ses cibles. La direction du renseignement de la préfecture de police prend en charge les « Parisiens ». La DGSI s’occupe des radicalisés susceptibles de passer à l’acte. Au SCRT, la division 3, spécialiste de l’islam radical et du repli identitaire, et la division nationale de la recherche et de l’appui supervisent depuis Paris les actions des agents installés en province. Lorsque ces informations sensibles redescendent dans les départements, les préfets sont chargés de leur coordination pour éviter qu’un service ne les cache à un autre, comme cela a pu être le cas par le passé. « Une pratique aujourd’hui révolue », insiste-t-on à la DGSI, la centrale du renseignement, chef de file de la lutte antiterroriste.
Actuellement, ce sont les « sortants » de prison qui constituent la priorité numéro un des services. Avec 45 condamnés pour acte de terrorisme ou association de malfaiteurs terroristes remis en liberté en 2020 et 60 sorties programmées en 2021, selon un décompte interne au renseignement, la charge des espions s’alourdit de manière exponentielle. Il faut mobiliser trois équipes de sept agents pour surveiller une seule cible. À ceux-là s’ajoutent les filoches des « Janus », ces policiers soupçonnés de radicalisation qui font l’objet d’une étroite surveillance de la part de leurs collègues du renseignement. Selon une fourchette basse, ils seraient entre 60 et 80 à faire l’objet d’un suivi quotidien. Depuis l’attaque menée au sein de la préfecture de police, en octobre 2019, le ministère de l’Intérieur prend toutes les précautions pour éviter la reproduction d’un événement similaire.
Malgré tout, les services de renseignements ne peuvent pas accomplir de miracles. Les individus qui ne font l’objet d’aucun signalement, qui s’autoradicalisent « par le contexte ambiant, en consultant Internet dans un cybercafé ou sur un smartphone non repéré, comme c’est le cas d’Ali Hassan, nous échappent », témoigne un enquêteur de terrain. «Pour être pris en compte, il aurait fallu que l’aide sociale à l’enfance (ASE) du conseil départemental du Val-d’Oise le signale au renseignement territorial local quand elle a eu des doutes sur son âge et sur son parcours. »
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rappelé, dimanche 27 septembre, que 32 attentats ont été déjoués depuis 2017. Gérard Collomb, à son arrivée à Beauvau en 2017, avait fait état du même nombre. Preuve que la situation reste tendue
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Il faut mobiliser trois équipes de sept agents pour surveiller une seule cible.