Le Point

La chronique de Patrick Besson

- Patrick Besson

Mon avocat a écrit un livre. C’est un bon avocat : il n’a perdu aucun de mes procès. Il est vrai que je n’en ai pas eu un seul depuis qu’il est mon avocat. La première fois que j’ai vu Jean-Pierre Versini-Campinchi, c’était à la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2007. Avec François Saint-Pierre, il défendait Maurice Agnelet contre Hervé Temime. Mme Renée Le Roux, la mère de la jeune femme disparue, était encore vivante. Sur ses longues jambes d’ex-topmodèle, elle portait haut ses 84 ans. Dans Papiers d’identités (Le Cerf, 22 €), Versini-Campinchi revient sur cet épisode douloureux d’une carrière qui en a vu d’autres. Les défenseurs souffrent, comme au football. Le récit du procès d’Aix-en-Provence se trouve du reste dans le chapitre « L’injustice ». L’auteur se plaint qu’en France la présomptio­n d’innocence se transforme trop souvent en présomptio­n de culpabilit­é. Il revient avec une obstinatio­n rageuse sur le scandale qui consiste à condamner un homme pour un crime où il n’y a ni corps, ni aveux, ni arme, ni témoin. Ayant accompli la moitié de sa peine, Agnelet a aujourd’hui 82 ans. Il vient d’être libéré pour raisons médicales. Mais Jean-Pierre, Maurice et moi ne pourrons pas nous asseoir à une terrasse de Nice pour y faire quelques réflexions douces-amères sur l’existence après avoir enlevé nos masques : Agnelet est interdit de séjour sur la Côte d’Azur.

Dans sa cellule, il étudiait la philosophi­e. C’est le plus vieil étudiant de France. Après lui avoir rendu la liberté, on pourrait lui donner un diplôme.

Papiers d’identités – titre volé à Paul Morand (Grasset, 1931), attention au procès – est un roman familial qui ressemble à un guide de voyage. De la Martinique à la Corse en passant par l’Aisne, les Versini-Campinchi ont fait leur chemin truculent, décrit avec tendresse par l’auteur. Les deux grand-mères de Jean-Pierre, Gabrielle Attuli la Martiniqua­ise et Letizia Versini la Corse, sont des beautés mélancoliq­ues sous le charme duquel on sent bien que l’avocat est resté toute sa vie. Elles sont les deux îles d’où vient leur petit-fils.

Les avocats ont souvent un problème avec l’écriture, c’est pour ça qu’ils préfèrent parler. Pour écrire, il faut s’asseoir (ou se coucher, comme Pouchkine), alors qu’on plaide debout. Mais on peut aussi écrire debout (Hemingway, Tolstoï). Je l’ai fait dans la Creuse pendant tout un week-end chez Frédéric Berthet au printemps 1994. Résultat : un court roman scandinave – Haldred – paru sous pseudo – Pierre Ménard – à L’Arsenal, éditeur aujourd’hui disparu vers lequel m’avait aiguillé Bruno de Cessole.

Versini s’amuse beaucoup avec son nouveau jouet : l’écriture. Il a tendance à multiplier les personnage­s. Ce n’est pas de sa faute, c’est celle de sa famille nombreuse. N’a-t-il pas eu luimême trois filles avant d’obtenir son Capa? Craignant de perdre ses lecteurs par un abus de noms propres, il leur livre un arbre généalogiq­ue auquel on ne comprend pas grandchose, comme celui que Nabokov plaça au début de son roman Ada ou l’Ardeur. Il faut lire ces Mémoires allègres d’un casse cou de coeur. Deux questions : pourquoi les avocats portent-ils une robe et pourquoi faut-il les appeler « maître » ?

Les avocats ont souvent un problème avec l’écriture, c’est pour ça qu’ils préfèrent parler.

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Jean-Pierre Versini-Campinchi, avocat.

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