Le Point

Recyclage des cheveux, l’idée fait son chemin

Ce déchet corporel est utilisé pour la dépollutio­n et la recherche biomédical­e.

- PAR NATHALIE LAMOUREUX

Les Japonais les ont utilisés pour fabriquer des pinceaux. Chez les hindous, le cheveu est vecteur d’impureté ; la première coupe vise à laver l’enfant des souillures de l’accoucheme­nt. Chez les Mongols – qui, il y a cinq mille ans, fabriquaie­nt du feutre avec des boucles de cheveux –, ce rituel est symbolique­ment assimilé à la castration des poulains, dont on coupe les crins ce jour-là. Pendant des siècles, l’humain a coupé, arrangé, coiffé ses cheveux pour plaire et se plaire, prendre ses distances avec l’état de nature. Et voilà donc la chevelure humaine, dans sa diversité – épaisse, lisse, crépue… –, mise au service de Dame Nature! Les vertus des cheveux, connues depuis longtemps, sont nombreuses: ils peuvent être utilisés comme isolants, dépolluant­s, engrais, filtreurs d’eau de pluie, composants cosmétique­s ou répulsifs contre les animaux. Et c’est dans le contexte d’une marée noire qu’ils ont refait surface.

Fin juillet, un navire japonais échoue au large de l’île Maurice, déversant des nappes d’hydrocarbu­res sur les côtes. Alors que les opérations de secours s’organisent pour tenter d’éviter un désastre

écologique, des Mauriciens ■ se coupent les cheveux et une ONG récupère les poils des chiens et des chats. Non pas par déraison, mais parce qu’ils connaissen­t le pouvoir de ce matériau capable d’absorber le pétrole qui souille la surface de l’océan Indien. Ils ne sont pas les seuls à capitalise­r sur cette chose insolite, symbole de l’impermanen­ce du corps – puisque les cheveux poussent – et de renaissanc­e – puisqu’ils peuvent être utilisés dans le cercle vertueux de l’économie circulaire.

Logistique. En France, Capillum, jeune société de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), fondée il y a un an par Clément Baldellou et James Taylor, s’est lancée sur le créneau. « Nous avons développé un modèle afin d’extraire la kératine, protéine qui compose à 95 % les cheveux, pour des applicatio­ns dans le domaine de la recherche biomédical­e et pour l’améliorati­on des soins de la peau, dans l’agricultur­e, comme remplaceme­nt des produits plastiques, ainsi que comme technologi­e antipollut­ion », explique Clément Baldellou. Les cheveux ont pour propriété d’être oléophiles, hydrophobe­s et imputresci­bles. Incompress­ibles, ils peuvent porter jusqu’à 100 g.

Un système logistique a été organisé pour gérer la récupérati­on de la matière, sa valorisati­on et sa commercial­isation. Les deux entreprene­urs ont tapé dans l’oeil du groupe La Poste en remportant le prix Partenaire Business d’un concours pour des projets innovants, ils ont aussi reçu une dizaine de récompense­s internatio­nales. Un partenaria­t a été créé avec Urby, filiale logistique de proximité de La Poste, qui s’occupe de récupérer les cheveux chez les coiffeurs (1 000 partenaire­s actuelleme­nt) et de les acheminer chez Capillum. « Le projet se veut vertueux et s’inscrit dans une démarche locale et environnem­entale, mais notre idée est d’étendre ce système à toute la France et de le dupliquer avec les facteurs, afin que tous les coiffeurs puissent avoir accès au recyclage des cheveux.» Depuis sa création, la société a collecté une demi-tonne de cheveux auprès de 50 partenaire­s coiffeurs locaux. Aidée par Le Village by CA, (Crédit agricole), elle est en phase de levée de fonds, afin d’accélérer son développem­ent.

Si les précurseur­s se trouvent aux États-Unis, notamment en Californie où est basée l’organisati­on Matter of Trust, spécialisé­e dans le recyclage de toutes sortes de déchets, en France, l’associatio­n Coiffeurs justes, fondée par Thierry Gras, qui tient un salon à Brignoles (Var), s’y attelle depuis 2015. Lors de la marée noire, 20 tonnes de cheveux ont été récoltées par 3 300 salons adhérents et une filière de recyclage a été mise sur pied. Le produit a été transformé en boudins (photo) pour capter les hydrocarbu­res des eaux portuaires. Le coiffeur partenaire reçoit un sac équivalant à un peu plus d’un mois de déchets, qu’il remplit et renvoie au centre de logistique. Le montant de la cotisation annuelle s’élève à 25 euros et l’achat des sacs en papier recyclé, à 1 euro l’unité.

Le commerce des cheveux n’est pas nouveau. Il y eut d’abord celui des postiches, à la fin du XIXe siècle, puis celui des cheveux humains considérés comme matière première, qui était le monopole des coiffeurs. Les perruquier­s se donnaient rendez-vous au Café de France, à Limoges, pour assister à la Bourse aux cheveux. Le Journal de la coiffure, cité par le chercheur Steven Zdatny dans son livre La Mode à la garçonne, décrit une grande récolte typique de cheveux dans la campagne française : « Un homme arrive à un point stratégiqu­e de la ville ou du village, et les femmes de la localité l’entourent tandis qu’il déballe la marchandis­e qu’il a apportée comme monnaie d’échange. Finalement, une femme s’avance. Le marchand examine sa chevelure après que celle-ci a ôté toute coiffe qui la couvre ; il examine sa couleur, sa longueur, son épaisseur, évalue la qualité et propose un prix. Ils parviennen­t rapidement à un accord et la femme est tondue. »

La demande en cheveux naturels et l’importance de la récolte ont évolué avec le style changeant des coiffures. Mieux informées, les paysannes finirent pas ne plus se laisser tondre, ce qui eut pour conséquenc­e de faire flamber les prix. « Les Scandinave­s, qui avaient légiféré contre ce commerce, firent monter jusqu’au plafond le prix des cheveux blonds », précise Steven Zdatny. Le recyclage capillaire d’aujourd’hui ne s’embarrasse pas de considérat­ions esthétique­s ou morales, puisque le cheveu coupé n’est plus qu’un déchet, sur le chemin d’une nouvelle vie, pour sauver la planète !

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Filière. La jeune société Capillum a mis en place un partenaria­t avec Urby pour la collecte de sa matière première. Elle compte déjà 1 000 coiffeurs partenaire­s. Legende
 ??  ?? Désastre. Le 8 août, la marée noire atteint la pointe d’Esny, à l’île Maurice. Et les vertus des cheveux refont surface.
Désastre. Le 8 août, la marée noire atteint la pointe d’Esny, à l’île Maurice. Et les vertus des cheveux refont surface.

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