Recyclage des cheveux, l’idée fait son chemin
Ce déchet corporel est utilisé pour la dépollution et la recherche biomédicale.
Les Japonais les ont utilisés pour fabriquer des pinceaux. Chez les hindous, le cheveu est vecteur d’impureté ; la première coupe vise à laver l’enfant des souillures de l’accouchement. Chez les Mongols – qui, il y a cinq mille ans, fabriquaient du feutre avec des boucles de cheveux –, ce rituel est symboliquement assimilé à la castration des poulains, dont on coupe les crins ce jour-là. Pendant des siècles, l’humain a coupé, arrangé, coiffé ses cheveux pour plaire et se plaire, prendre ses distances avec l’état de nature. Et voilà donc la chevelure humaine, dans sa diversité – épaisse, lisse, crépue… –, mise au service de Dame Nature! Les vertus des cheveux, connues depuis longtemps, sont nombreuses: ils peuvent être utilisés comme isolants, dépolluants, engrais, filtreurs d’eau de pluie, composants cosmétiques ou répulsifs contre les animaux. Et c’est dans le contexte d’une marée noire qu’ils ont refait surface.
Fin juillet, un navire japonais échoue au large de l’île Maurice, déversant des nappes d’hydrocarbures sur les côtes. Alors que les opérations de secours s’organisent pour tenter d’éviter un désastre
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écologique, des Mauriciens ■ se coupent les cheveux et une ONG récupère les poils des chiens et des chats. Non pas par déraison, mais parce qu’ils connaissent le pouvoir de ce matériau capable d’absorber le pétrole qui souille la surface de l’océan Indien. Ils ne sont pas les seuls à capitaliser sur cette chose insolite, symbole de l’impermanence du corps – puisque les cheveux poussent – et de renaissance – puisqu’ils peuvent être utilisés dans le cercle vertueux de l’économie circulaire.
Logistique. En France, Capillum, jeune société de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), fondée il y a un an par Clément Baldellou et James Taylor, s’est lancée sur le créneau. « Nous avons développé un modèle afin d’extraire la kératine, protéine qui compose à 95 % les cheveux, pour des applications dans le domaine de la recherche biomédicale et pour l’amélioration des soins de la peau, dans l’agriculture, comme remplacement des produits plastiques, ainsi que comme technologie antipollution », explique Clément Baldellou. Les cheveux ont pour propriété d’être oléophiles, hydrophobes et imputrescibles. Incompressibles, ils peuvent porter jusqu’à 100 g.
Un système logistique a été organisé pour gérer la récupération de la matière, sa valorisation et sa commercialisation. Les deux entrepreneurs ont tapé dans l’oeil du groupe La Poste en remportant le prix Partenaire Business d’un concours pour des projets innovants, ils ont aussi reçu une dizaine de récompenses internationales. Un partenariat a été créé avec Urby, filiale logistique de proximité de La Poste, qui s’occupe de récupérer les cheveux chez les coiffeurs (1 000 partenaires actuellement) et de les acheminer chez Capillum. « Le projet se veut vertueux et s’inscrit dans une démarche locale et environnementale, mais notre idée est d’étendre ce système à toute la France et de le dupliquer avec les facteurs, afin que tous les coiffeurs puissent avoir accès au recyclage des cheveux.» Depuis sa création, la société a collecté une demi-tonne de cheveux auprès de 50 partenaires coiffeurs locaux. Aidée par Le Village by CA, (Crédit agricole), elle est en phase de levée de fonds, afin d’accélérer son développement.
Si les précurseurs se trouvent aux États-Unis, notamment en Californie où est basée l’organisation Matter of Trust, spécialisée dans le recyclage de toutes sortes de déchets, en France, l’association Coiffeurs justes, fondée par Thierry Gras, qui tient un salon à Brignoles (Var), s’y attelle depuis 2015. Lors de la marée noire, 20 tonnes de cheveux ont été récoltées par 3 300 salons adhérents et une filière de recyclage a été mise sur pied. Le produit a été transformé en boudins (photo) pour capter les hydrocarbures des eaux portuaires. Le coiffeur partenaire reçoit un sac équivalant à un peu plus d’un mois de déchets, qu’il remplit et renvoie au centre de logistique. Le montant de la cotisation annuelle s’élève à 25 euros et l’achat des sacs en papier recyclé, à 1 euro l’unité.
Le commerce des cheveux n’est pas nouveau. Il y eut d’abord celui des postiches, à la fin du XIXe siècle, puis celui des cheveux humains considérés comme matière première, qui était le monopole des coiffeurs. Les perruquiers se donnaient rendez-vous au Café de France, à Limoges, pour assister à la Bourse aux cheveux. Le Journal de la coiffure, cité par le chercheur Steven Zdatny dans son livre La Mode à la garçonne, décrit une grande récolte typique de cheveux dans la campagne française : « Un homme arrive à un point stratégique de la ville ou du village, et les femmes de la localité l’entourent tandis qu’il déballe la marchandise qu’il a apportée comme monnaie d’échange. Finalement, une femme s’avance. Le marchand examine sa chevelure après que celle-ci a ôté toute coiffe qui la couvre ; il examine sa couleur, sa longueur, son épaisseur, évalue la qualité et propose un prix. Ils parviennent rapidement à un accord et la femme est tondue. »
La demande en cheveux naturels et l’importance de la récolte ont évolué avec le style changeant des coiffures. Mieux informées, les paysannes finirent pas ne plus se laisser tondre, ce qui eut pour conséquence de faire flamber les prix. « Les Scandinaves, qui avaient légiféré contre ce commerce, firent monter jusqu’au plafond le prix des cheveux blonds », précise Steven Zdatny. Le recyclage capillaire d’aujourd’hui ne s’embarrasse pas de considérations esthétiques ou morales, puisque le cheveu coupé n’est plus qu’un déchet, sur le chemin d’une nouvelle vie, pour sauver la planète !
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