Le Point

Pap Ndiaye : « Un quart des cow-boys étaient afro-américains »

- PROPOS RECUEILLIS PAR R. B.

Le spécialist­e de l’histoire afro-américaine et professeur à Sciences Po décode l’album.

« L’histoire d’Un cowboy dans le coton se déroule alors que le Sud, vaincu, est occupé par l’armée américaine. L’esclavage est aboli par le 13e amendement en 1865 et les anciens propriétai­res d’esclaves tentent coûte que coûte de maintenir leur pouvoir. Ils évitent une réforme agraire qui aurait donné des terres aux affranchis et essaient de limiter leurs droits civiques, pourtant acquis par les 14e et 15e amendement­s. Le Ku Klux Klan, fondé en 1866, terrorise les Noirs ainsi que leurs alliés blancs. La fin de l’esclavage n’est donc pas synonyme de liberté. Le système de ségrégatio­n se dessine déjà : les “lois Jim Crow” se mettront en place à partir des années 1880, d’abord dans les transports et les écoles puis dans tous les domaines. En 1896, la Cour suprême les déclarera constituti­onnellemen­t valides. Donc les partisans de la suprématie blanche dans le Sud, comme QQ dans l’album, avaient effectivem­ent gagné. L’imaginaire français du Far West, calqué sur les westerns américains, privilégie par ailleurs des acteurs stéréotypé­s : les Indiens, les cow-boys, les bandits, etc. Les Noirs n’en font pas partie. À la fin du XIXe siècle, un quart des cow-boys étaient pourtant afro-américains. Le shérif Bass Reeves, que rencontre Lucky Luke, n’est ainsi pas une exception : il y eut de nombreux shérifs noirs dans le Sud pendant la période de reconstruc­tion (1865-1877), élus par une population afro-américaine souvent majoritair­e dans les comtés de Louisiane, d’Alabama, du Mississipp­i, de Géorgie et de Caroline du Sud. Les activistes noirs, à l’image d’Angela dans l’album, sont également bien présents. Il existait en effet une petite élite noire d’instituteu­rs, de juristes, de commerçant­s, et il y eut de nombreux élus noirs dans le Sud jusqu’à la fin des années 1870, moment où les élites blanches reprirent le pouvoir après le départ de l’armée fédérale. »

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