Le Point

Éditoriaux : Nicolas Baverez, Luc de Barochez, Jean-François Bouvet

L’instaurati­on d’un prix du carbone doit devenir le pivot de la transition écologique. Cela implique de tourner le dos aux idéologies.

- Par Nicolas Baverez

L’épidémie de Covid-19 renforce la schizophré­nie des dirigeants et des citoyens concernant l’écologie. D’un côté, la crise sanitaire et économique n’a nullement enrayé la menace climatique. Le confinemen­t n’a été qu’une parenthèse, qui a réduit provisoire­ment de 4 à 7 % les émissions, sans modifier leur trajectoir­e, qui aboutit à une augmentati­on de la températur­e d’environ 4 degrés d’ici à la fin du siècle –au lieu de la cible de 1,5 degré visée par l’Accord de Paris. Simultaném­ent, les événements extrêmes liés au réchauffem­ent se multiplien­t, des incendies géants de Californie, de Sibérie ou d’Australie aux inondation­s qui ont dévasté les vallées des Alpes-Maritimes.

De l’autre côté, l’urgence impose de donner la priorité à la santé, à la lutte contre l’effondreme­nt de l’économie et au soutien du pouvoir d’achat, tout particuliè­rement dans une France diminuée, où la production, l’emploi et les revenus sont durablemen­t amputés et où les plaies ouvertes par la jacquerie des Gilets jaunes demeurent à vif. L’expérience douloureus­e du confinemen­t incite les ménages à se tourner vers la maison et la voiture individuel­les, au détriment du logement et des transports collectifs. Cette tension croissante qui oppose l’écologie à la préservati­on de l’économie, de l’emploi et des modes de vie des citoyens a été illustrée par le rétablisse­ment par l’Assemblée nationale, le 6 octobre, de l’utilisatio­n des néonicotin­oïdes pour la culture des betteraves, faute de substitut efficace.

La transition écologique, le sauvetage de notre économie, la justice sociale et la préservati­on des libertés publiques sont pourtant compatible­s, mais à la condition de réorienter profondéme­nt les stratégies de transition écologique. Fondées sur l’autoritari­sme, l’étatisme et le malthusian­isme, celles-ci sont vouées à l’échec en France comme dans le reste du monde, les pays développés refusant l’économie dirigée et les émergents récusant la décroissan­ce.

Le parangon des erreurs à éviter a été donné par la Convention citoyenne sur le climat, qui constitue un réquisitoi­re sans appel contre les dévoiement­s de la démocratie directe. Elle n’a traité ni de la place de l’énergie nucléaire (qui émet quatre fois moins que le solaire) ni de la tarificati­on du carbone, sans lesquelles il n’existe aucune possibilit­é d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, comme la neutralité carbone en Europe à l’horizon de 2050. En revanche, sa condamnati­on de la science et de l’économie de marché a débouché sur un catalogue de mesures démagogiqu­es, ruineuses et liberticid­es, sans aucune évaluation de leur bénéfice en termes de décarbonat­ion et de leurs coûts économique­s et sociaux. Cette forme d’écologie, qui revêt d’habits neufs l’anticapita­lisme et l’illibérali­sme, n’apporte aucune solution au dérèglemen­t du climat mais contribue à accélérer la crise de la démocratie.

Le parangon des erreurs à éviter a été donné par la Convention citoyenne sur le climat.

Il faut partir avec des idées simples et claires vers la transition écologique. Le péril mortel qui nous guette est le dérèglemen­t du climat. L’unique priorité doit donc porter sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et avant tout de carbone. Tout le reste en découle, à commencer par la préservati­on de la biodiversi­té. L’objectif ne peut être la décroissan­ce, indissocia­ble de la paupérisat­ion des masses et de la montée de la violence, mais un nouveau modèle de développem­ent liant haut rendement, inclusion sociale et décarbonat­ion.

Trois instrument­s existent pour impulser et conduire la décarbonat­ion de l’économie. Les deux premiers sont la réglementa­tion et la fiscalité. Ils continuent à être privilégié­s par le plan de relance alors même qu’ils n’ont obtenu que des résultats limités. Le troisième est l’instaurati­on d’un prix du carbone. Il repose sur le principe que le marché constitue le meilleur antidote à ses dysfonctio­nnements nés de la gratuité du rejet du carbone –dont le meilleur exemple demeure le recours intensif aux énergies fossiles. Le signal par les prix est le plus puissant et le plus universel. L’annonce d’une trajectoir­e de long terme permet par ailleurs d’intégrer la contrainte environnem­entale dans les décisions des entreprise­s et des investisse­urs. L’efficacité de la tarificati­on du carbone a ainsi été démontrée en Suède et au Royaume-Uni, où son introducti­on en 2011 a entraîné une diminution de 15 % des émissions de 2012 à 2015 (contre 5 % dans le reste de l’Union) et l’éradicatio­n du charbon dans la production d’électricit­é.

Pour remplir l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon de 2050, l’Union européenne doit donc se doter d’une agence de la décarbonat­ion, qui aurait cinq missions. 1/Le renforceme­nt du marché européen des quotas d’émissions, à travers la fixation d’un prix plancher maintenu par les interventi­ons d’un fonds de réserve, afin d’éviter son effondreme­nt. 2/ L’affichage et la défense d’un prix plancher cible de 50 euros par tonne en 2025 et 100 euros par tonne en 2030 – niveau retenu par la plupart des grands groupes pour leur planificat­ion stratégiqu­e. 3/ La mise en place d’un ajustement carbone aux frontières de l’Union pour garantir un cadre de concurrenc­e équitable aux entreprise­s européenne­s. 4/ L’introducti­on du prix du carbone dans les normes comptables et dans la valorisati­on des portefeuil­les et les actifs, avec la mesure du réchauffem­ent climatique. 5/ La redistribu­tion des fonds collectés vers l’innovation, notamment dans les technologi­es de captation du carbone.

La transition écologique est un sujet beaucoup trop sérieux pour être abandonné aux idéologues. Elle ne peut réussir que si elle est soutenable pour les finances des États, pour la rentabilit­é des entreprise­s, pour le niveau de vie et la liberté des citoyens, que si elle parvient à réaligner les capitaux humain, économique et naturel. Elle doit donc être réintégrée dans l’économie mais aussi dans la géopolitiq­ue. En annonçant l’objectif d’une neutralité carbone en 2060, la Chine entend en faire une arme de découplage de l’Occident et, après la pandémie, une nouvelle démonstrat­ion de la supériorit­é du modèle total-capitalist­e sur la démocratie libérale. Pour l’Europe, la transition écologique constitue donc un enjeu décisif en termes de développem­ent mais aussi de souveraine­té et de valeurs. Elle se fera par le marché du carbone ou ne se fera pas

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Chaque mardi, Atlas accompagna­it sa vieille mère au marché.

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