Le Point

Oui au séparatism­e, par Kamel Daoud

Pourquoi un islam de France, soumis à la République laïque, est insupporta­ble à l’internatio­nale islamiste.

- PAR KAMEL DAOUD

Au discours de Macron sur le séparatism­e islamiste, les réactions ont été nombreuses, comme attendu. Mais les plus fascinante­s sont celles des non-Français rétifs à l’idée d’un islam de France structuré, soumis à la loi et pensé librement, qui leur fait pousser de grands cris. La raison ? Des raisons. Ainsi, dans l’élan de sa mythologie d’incarnatio­n de l’islam mondial, Erdogan a été le premier à s’insurger : « provocatio­n », délit d’« impertinen­ce » et procès en légitimité qualifient, selon lui, le discours de Macron. On peut facilement saisir le sens de cette réaction. Erdogan travaille depuis maintenant des décennies l’idée sous-entendue d’une représenta­tion mondiale de l’islam et du retour, en mode soft, d’une conception du califat. Par l’usage du souvenir, des milices syriennes et libyennes, du parrainage de la galaxie des Frères musulmans ou de la « défense » de la Palestine et des musulmans opprimés dans le monde. L’« internatio­nale islamiste » a son représenta­nt et le contre-discours d’Erdogan au discours de Macron était prévisible. La réaction est venue par ailleurs d’un concurrent du Grand Turc pour le leadership : l’institutio­n égyptienne El-Azhar, qui a qualifié le discours sur l’islam français de « raciste » et de « provocatio­n ».

Que penser, alors ? Le plus flagrant : un islam de France, structuré par l’État, encadré par des lois et soumis à la République n’arrangerai­t pas les affaires de l’internatio­nale islamiste et de ses leadership­s concurrent­s. Une telle volonté, pourtant souveraine et légitime de par le droit, leur ferait perdre la main sur les communauté­s locales et le communauta­risme nourri à la « confession ». Un islam de France fait perdre l’usage d’un islam contre la France, fait perdre du pouvoir d’interventi­onnisme dans un pays tiers et appauvrit le mythe, jamais épuisé ni oublié, d’une contre-croisade.

Mais de quel droit, alors, croit-on pouvoir intervenir dans les affaires d’un pays tiers ? Celui de la propriété : l’islam appartient aux musulmans, ceux du sud, et donc pas à la France. Il est conçu comme une sorte de nationalit­é, supranatio­nale bien sûr, en soi, concurrent­ielle de la francité. Le voir soumis à une république et à ses lois, c’est le voir s’émanciper et inaugurer une idée intolérabl­e : celle de sa réforme possible, ici, au sud, de sa libération des castes dominantes et des tutelles des orthodoxie­s. Celle de devoir le concilier avec la modernité et la laïcité.

L’islam peut avoir une prétention universell­e, l’islamisme vise un impérialis­me au sens le plus brutal. Un islam français, c’est une atteinte possible à la frontière, en extension permanente, de l’islamisme. C’est une perte de territoire. Et la « vérité » ne peut pas se contenter de la moitié de la géographie. C’est de cette croyance en une vérité universell­e que procèdent les réactions absurdes d’El-Azhar et d’Erdogan. « Qui es-tu, pour parler de structurat­ion de l’islam ? » avait hurlé Erdogan à Macron. On peut rétorquer, lassé : « Qui est Erdogan, pour se scandalise­r de cette question française ? »

Le chroniqueu­r s’est d’ailleurs toujours étonné de cette outrecuida­nce amusante : si la France évoque le sort des chrétiens en Algérie ou la christiano­phobie en Égypte, il s’agira d’interventi­on étrangère, d’immixtion scandaleus­e et d’atteinte à la souveraine­té, selon les élites de ces pays. Mais le contraire ne l’est pas, ironiqueme­nt. C’est d’ailleurs cette clause qui a faussé le débat en France : on permet qu’un ministre des Affaires religieuse­s algérien donne son avis et pose ses conditions sur la gestion de l’islam en France, mais on interdit à un politique français de se prononcer sur cette question, sous risque de procès en islamophob­ie, d’atteinte au tabou identitair­e, de discours racial. Cette dépossessi­on étant convenue, tout le reste en procède : Erdogan en imam universel, Macron en ennemi de l’islam et l’islam en propriété des pays d’« origine ». On se scandalise­ra, à la fin, d’évoquer le droit à la souche, sauf pour une croyance précise.

Oui, donc, au séparatism­e : celui qui séparera une confession du mythe d’un pays d’origine pour lui faire épouser un pays réel

Un islam français, c’est une atteinte possible à la frontière, en extension permanente, de l’islamisme.

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