Le Point

Remettre le centre au centre

Mal-aimé, ce courant politique a souvent contribué à redresser le pays, selon Jean-Pierre Rioux. À l’heure des extrémisme­s, l’historien consacre un livre à ses grandes figures.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

C’est bien connu, les centristes riment avec triste. Dans un pays qui s’est délecté des empoignade­s droite-gauche, qui flirte avec la tentation des extrémisme­s, comment peut-on être du centre ? N’y eut-il pas que Giscard d’Estaing pour croire que la France s’y gouverne ? Il est de bon ton de ne voir en eux que des transfuges, des grands mous. Pour trancher avec cette vision marécageus­e, pour faire aimer un peu ces mal-aimés, l’historien Jean-Pierre Rioux remet la balle au centre, en composant une équipe de douze joueurs (Mirabeau, Ferry, Tardieu, Lecanuet, Barre, Bayrou, Macron…) dont il retrace les expérience­s. Pour Rioux, « le centre accepte le pouvoir pour rechercher un consenteme­nt et même, à l’horizon, une réconcilia­tion, mais un consenteme­nt qui ne peut venir que d’esprits éclairés. Une quête qui vient d’une idée chrétienne laïcisée, la parousie, qu’on trouve chez Macron ». Même si les matchs se soldèrent rarement par des victoires, sa dream team a fière allure. Le Point : Si vous décrivez des échecs essuyés par le centre, il y a aussi sa capacité à être là quand il faut reconstrui­re, en 1790, en 1830, en 1875 – quand il s’agit de stabiliser la République et de régler les questions religieuse­s, sociales –, ainsi qu’en 1946 avec le Mouvement républicai­n populaire… Comment l’expliquer ?

Jean-Pierre Rioux : Dans les crises comme dans les guerres, les « centraux » ont suivi les appels à l’union nationale. Régis Debray, dans

L’Angle mort, a eu néanmoins cette notation cruelle : les centristes, dit-il, acceptent rarement de mourir pour une cause et c’est donc surtout quand la paix est revenue qu’ils font parler d’eux. Ce n’est qu’en partie vrai, regardez Ferry pendant la guerre de 1870 ou le résistant Georges Bidault à la tête du Conseil national de la Résistance. Mais, c’est certain, les « centraux » ont été présents et actifs quand il a fallu inventer du neuf, sortir des antagonism­es et même espérer qu’ils pourraient être désarmés. Ils ont aidé à nous libérer temporaire­ment de notre complexe d’Astérix, qui entretient cette « fièvre hexagonale » dont parle Michel Winock, cette agressivit­é suridéolog­isée qui engendre le cortège que l’on sait de querelles, de révoltes et de révolution­s. Déjà Mirabeau, en 1791, se demandait comment éviter la confrontat­ion violente de deux partis, celle que Robespierr­e résumera par « les bons et les méchants ». Il s’agit pour les « centraux », selon la phrase d’Émile Ollivier, de rechercher « le progrès sans la violence et la liberté sans la révolution ». Alors que le couple droite-gauche bat de l’aile, l’heure du centre pourrait-elle sonner ?

Elle sonne toujours plus difficilem­ent sous la Ve République et sa « monarchie républicai­ne ». L’os, c’est l’élection présidenti­elle, qui a tant fait échouer les « centraux » : exemples, Lecanuet, Poher, Barre ou Bayrou battu à trois reprises. Emmanuel Macron n’est pas un centriste de souche, mais son élection a été, avec l’aide de Bayrou, une divine surprise pour des solutions centrales qui avaient tant de mal à s’exprimer. Il arrive cependant à un mauvais moment, prisonnier d’un régime hyperprési­dentiel, aggravé par un quinquenna­t dont la brièveté pousse à la fébrilité, subissant le choc des crises multiples, contraint d’être centripète et jupitérien en urgence alors que la société a changé et souhaite des solutions centrifuge­s plus lentes à élaborer. Pour lui, une solution centrale n’est donc pas facile à trouver. On n’a jamais eu autant besoin du centre en ces temps d’extrémisme…

En effet. À condition, toutefois, que les anciennes solutions centrales soient confrontée­s aux nouveautés de notre siècle ! Pour être un président efficient, pour bien gouverner, il faut être posté dans une centralité de rassemblem­ent programmé et de confiance raisonnée. C’est toujours possible, mais à une autre condition qu’Emmanuel Macron ne semble pas remplir pour l’heure : face aux extrémiste­s, face aux vieux partis de droite ou de gauche, il faut s’appuyer sur un parti qui « en même temps » relaie une dynamique de la société civile et soit en capacité de forger une majorité de gouverneme­nt. Ils ont participé aux rassemblem­ents, ils sont de bons gestionnai­res de collectivi­tés locales, ils se regroupent bien au Sénat, mais on en revient à une difficulté chronique : constituer un grand parti du centre capable d’aider à gouverner au centre. Néanmoins, pourquoi diable ne faudrait-il pas s’appuyer sur leur capacité, depuis la Révolution, à contribuer au redresseme­nt du pays, à le faire respirer de manière démocratiq­ue et à favoriser une éducation du citoyen adaptée aux changement­s de la société ? C’est à ce pari que les Français semblaient avoir acquiescé en 2017

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« Gouverner au centre », de Jean-Pierre Rioux (Stock, 252 p. 19,50 €). À paraître le 21 octobre.

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