Vins de Bordeaux 2019, notre sélection
Les ventes en primeurs ont retrouvé leur attractivité d’antan grâce à une spectaculaire baisse des prix. Heureuse conséquence du virus.
Drôle d’histoire, qui pourrait tourner à l’histoire drôle s’il n’y avait ce contexte épidémique. À moins de vivre reclus comme ce soldat japonais retrouvé en 1974 et qui pensait que la Seconde Guerre mondiale se poursuivait, il n’aura échappé à personne qu’une partie de la terre s’est arrêtée de tourner de la mi-mars à la mi-mai. La planète bordelaise a dû ainsi annuler sa dégustation de primeurs et la reporter en juin. Ce fut l’occasion de quelques proclamations qui relevaient, il faut bien le dire, de l’invention du fil à couper le beurre: les vins se goûtaient mieux en juin qu’en mars. Incroyable ! Donc, quand ces grands crus bénéficient d’un peu plus de temps pour digérer fermentation, macération, écoulage, mise en fût, ils se dégustentmieux.Etmême,ajouterons-nous, ils sont encore meilleurs et plus cohérents en septembre, quand nous les avons testés… Seconde découverte – liée à la première. La vente de primeurs, qui s’essoufflait ces dernières années, s’est formidablement déroulée. Rappelons que ces vins sont vendus par anticipation. Les acheteurs (négociants, revendeurs, particuliers) ne les recevront qu’une fois l’élevage terminé, dans un ou deux ans. Oui, la vente fut un succès. D’où encore des déclarations définitives sur le bordeaux retrouvé, la fin du bashing… Une fois de plus, on en revient au fil à couper le beurre. Si succès il y eut, on le doit surtout à la sensible baisse des prix des grands crus classés. Pontet-Canet (pauillac) a ouvert le bal (et donné le « la ») avec moins 30 % par rapport à l’an passé et les autres ont suivi. Ceux qui ne l’ont pas fait, ou pas suffisamment, ont moins vendu que les copains. Les acheteurs de 2019, eux, ont fait une affaire. Le vin est bon, moins trapu que celui de 2018 mais plus délicat, plus en finesse, comportant toutefois une solide trame tannique, de la fraîcheur, une gamme aromatique assez large. Bref, tout ce qui constitue l’ADN, comme on dit de nos jours, du bordeaux élégant, loin des aberrations boursouflantes de naguère. Qualité retrouvée, du moins chez les égarés, prix plus adaptés, volonté affichée de produire plus propre et durable, l’image du vignoble pourrait en sortir grandie. Une image qui profiterait aussi à tous les sans-grade, les raisonnables qui ont beaucoup souffert de cette dégradation. Pourvu que ça dure. Voeu pieux sans doute, mais en ces temps compliqués, si en plus on se prive de rêve…
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