Cinéma (Last Words) : Étrusques, tomates et fin du monde
Dans Last Words, le réalisateur devenu fermier en Italie tente de réconcilier culture et agriculture.
Il fut un temps où Jonathan Nossiter n’arrivait jamais à un festival de cinéma sans être accompagné de belles bouteilles de vin bio découvertes à travers le monde. Aujourd’hui, le sommelier cinéaste écrivain – et désormais agriculteur ! – a troqué les flacons contre les tomates. Une soixantaine de variétés, souvent anciennes – dont il a fallu retrouver la semence après des mois de recherche –, qu’il a plantées, transplantées au moins deux fois, puis cultivées et mises en conserve. «J’ai l’impression d’être un cinéaste en 1910, s’amuse le passionné du terroir, qui met actuellement les légumes en boîtes comme hier les bobines. On participe aux prémices d’un élan écologique qui, je le sais, a un grand avenir devant lui. » Après le succès de son documentaire désormais culte sur le vin, Mondovino (2004) et un passage chez les expatriés shootés à la chirurgie esthétique du Brésil (Rio Sex Comedy, 2011), Jonathan Nossiter est de retour avec Last Words, un film ambitieux et poétique librement inspiré du roman Mes derniers mots, de son ami Santiago Amigorena. Une fable postapocalyptique – et pas prophétique, on l’espère –, sur l’errance d’une humanité contaminée par un virus, qui redécouvre le bonheur d’être ensemble devant un écran de cinéma improvisé. « Lorsque Santiago a sorti son livre, en 2015, on le prenait pour un fou. Pour beaucoup, la fin du monde qu’il décrivait était de la science-fiction et ne pouvait pas avoir lieu en 2086. Or le réchauffement climatique, la catastrophe écologique, la mort de la culture… n’est-ce pas précisément ce qu’on est en train de vivre ? » Le constat de Nossiter est sans appel. Les hommes ne savent pas prendre soin de leur planète et le septième art – qui fut longtemps l’une de ses raisons de vivre – est à l’agonie. « Jusqu’à il y a vingt ans, tout le monde se retrouvait chaque semaine au cinéma – les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres –, pour rêver ensemble, avoir peur ensemble, espérer ensemble. C’est une réalité : le cinéma comme acte sacré est en train de mourir. »
« La civilisation étrusque plaçait la mise en valeur de ses sols et de ses arts au-dessus de tout. Je crois qu’ils avaient tout compris. Mon film leur rend hommage. » Jonathan Nossiter
A-t-il pressenti le déclin ? En 2016, Nossiter change de vie. Ce fils d’un journaliste du Washington Post, frère du correspondant du New York Times à Paris, ce globe-trotteur polyglotte élevé entre les États-Unis, l’Europe et l’Inde décide de poser ses valises avec femme et enfants sur les bords du lac de Bolsena, en Italie, à la frontière entre le Latium et l’Ombrie. Avec Massimiliano Petrini, l’un des papes de la permaculture transalpine, il crée La Lupa (la louve), une pépinière, un musée vivant, où les deux compères s’amusent à redonner vie à des variétés de légumes oubliés. Nossiter aime penser que ce n’est pas un hasard si la vie l’a mené là, dans ce joli coin d’Italie entre Florence et Rome, qui n’est autre que le berceau de la civilisation étrusque. « Le lac était un lieu sacré, raconte le cinéaste. J’ai beaucoup pensé à D. H. Lawrence et à ses Croquis étrusques en écrivant Last Words. Lawrence a réussi à transmettre la vitalité de cette civilisation incroyable – critiquée par les Grecs, imitée puis massacrée par les Romains –, qui plaçait justement la mise en valeur de ses sols et de ses arts au-dessus de tout. Je crois qu’ils avaient tout compris. Mon film leur rend hommage. »
Ultime élan vital. Dans Last Words, les derniers humains déguenillés d’une terre asséchée et abandonnée se retrouvent en silence, dans un ultime élan vital, devant les ruines d’Athènes – la scène a été tournée à Paestum, devant le temple de Neptune – pour regarder des films sur une vieille toile grâce à un projecteur à pédales et quelques bobines récupérées. Metropolis, de Fritz Lang (1927), L’arroseur arrosé, de Louis Lumière (1895), Speedy Gonzales, sur la musique de Peppino Di Capri (1962)… « Ce film, c’est aussi l’histoire de mon amitié avec deux personnes extraordinaires qui font énormément pour la culture italienne aujourd’hui : le jeune directeur du musée et du site archéologique de Paestum, Gabriel Zuchtriegel, et le directeur de la cinémathèque de Bologne, Gian Luca Farinelli. Pour Farinelli, tous ces films d’archives sont aujourd’hui encore puissamment d’actualité. Et il a raison. Il n’y a aucun espoir à chercher du côté des fausses recettes cocaïnisées de Hollywood… » Doit-on comprendre le titre de son film – littéralement, « Derniers mots » – comme un adieu au cinéma ? Oui, peut-être, répond l’intéressé un brin nostalgique. Pour l’heure, excusez-le, il doit retourner à ses tomates. La sécheresse de l’été et les pluies des derniers jours ont ruiné près de la moitié de la récolte ■