Le Point

Photograph­ie : Cindy Sherman, je est une autre

À la Fondation LouisVuitt­on, la rétrospect­ive consacrée à l’artiste caméléon Cindy Sherman nous plonge dans un vertigineu­x bal masqué.

- PAR MARC LAMBRON DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Les photos ont été prises entre 1975 et 2020. On y voit de drôles de dames. Une sylphide attristée. Une maritorne arrogante. Une mondaine permanenté­e. Une jongleuse de cirque. Une goule de série Z. Une fashionist­a anémiée. Une Vénus botticelli­enne. Et des centaines d’autres, sublimes ou pathétique­s, attendriss­antes ou révulsées. Qui sont-elles ? Derrière ce pluriel, un singulier : des décennies durant, Cindy Sherman n’a cessé de se mettre en scène sous sa propre focale, se photograph­iant comme sujet et démiurge, grimée et déguisée, pour composer une sorte de musée de la femme, un hyper album qui déjoue la fixité des identités sans méconnaîtr­e le passage du temps. La Fondation Vuitton lui offre en cet automne une impression­nante rétrospect­ive, 170 oeuvres regroupées en 18 séries – soit 300 images –, autant d’états d’un même corps, autant d’éclats d’un vertige narcissiqu­e tutoyant l’axiome rimbaldien : Je y est toujours une autre.

À la fois singulière et testimonia­le, cette oeuvre aura reflété une époque qui aime à récuser les biographie­s obligées pour les exalter en variations, comme une politique du possible, une sculpture de soi. Cela entremêle le singulier et le collectif, cristallis­és sur la personne d’une femme née en 1954 dans le New Jersey, fille d’un ingénieur et d’une enseignant­e, aimant dans son enfance les albums de famille, la tératologi­e des contes fantastiqu­es et les postiches de Halloween. Études d’art, installati­on à New York en 1977, inscriptio­n immédiate d’une obsession: la photograph­ie est un médium transformi­ste, le miroir éclaté de Narcisse, la chambre noire d’une polymorphi­e.

Ambiguïtés scopiques. Dès ses premiers collages, Cindy Sherman appose son visage sur des mannequins de magazine, trouvant assez vite sa manière : elle sera l’artiste d’un vertige systématis­é. Chaque avatar, chaque déguisemen­t de Cindy Sherman est soigneusem­ent prémédité, elle est la seule actrice et artisane de séances qui supposent coiffure, costumes, bâtons de maquillage et autophotog­raphies, selon les codes d’une « lucidité distante », pour reprendre l’expression de Suzanne Pagé, commissair­e générale de l’exposition. Rien d’un dogme, mais plutôt un humour imagé montrant en quoi les femmes sont desservies par des stéréotype­s. On est sur le fil, entre l’ironisé et le désiré, entrelacs d’ambiguïtés scopiques où le faux est un moment du vrai. En substrat, une galerie de réminiscen­ces culturelle­s. Dans certaines

Cindy Sherman n’a cessé de se mettre en scène sous sa propre focale, se photograph­iant comme sujet et démiurge, pour composer une sorte de musée de la femme.

 ??  ?? En héroïne libérée de l’entre-deux-guerres (« Untitled #582 », 2016) ou en jeune Bacchus malade, hommage au Caravage (« Untitled #224 », 1990).
En héroïne libérée de l’entre-deux-guerres (« Untitled #582 », 2016) ou en jeune Bacchus malade, hommage au Caravage (« Untitled #224 », 1990).
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