Roman (Laurent Mauvignier) : jusqu’au bout de la nuit
Ce jour-là, Marion a 40 ans. Sa fille, Ida, toujours fourrée dans l’atelier de Christine, la voisine artiste-peintre, aimerait bien que celle-ci fasse un gâteau pour la fête qui aura lieu le soir, chez eux, les Bergogne, dans un hameau perdu au nom glaçant, L’Écart des Trois Filles Seules, commune de La Bassée, où Laurent Mauvignier situe son nouveau roman. Christine délaisse donc sa toile pour le gâteau, mais voilà qu’un inconnu frappe à sa porte, sous un prétexte louche. Que veut-il vraiment ? Et nous voilà plongé dans l’atmosphère d’un thriller, qui va monter en puissance sur 600 pages pour raconter… une journée seulement. Mais quelle journée ! L’auteur de Loin d’eux, d’Apprendre à finir, de Continuer est de retour avec Histoires de la nuit, dans ces vies apparemment sans histoires, et qui en cachent pourtant de si dévastatrices. Ici, tout est minutieusement déroulé autour de ce couple, dont Christine a d’emblée perçu la faille, et de leur petite fille. Christine n’a jamais aimé l’épouse, Marion, que Patrice, 47 ans, agriculteur endetté bourru mais tendre, a rencontrée sur Internet. Lui est dévoué à sa ferme. Elle, salariée d’une imprimerie en ville, use chaque semaine de sa liberté pour s’éclater au karaoké sans lui, Patrice, toujours étonné qu’« une femme comme elle ait pu s’enticher d’un type comme [lui] ». Ça ne va pas entre eux, mais il faut jouer le jeu, et ce soir-là plus encore.
Quand les inconnus frappent chez Christine, Patrice est parti au bourg, pour le cadeau et les préparatifs de la soirée. Il y va à reculons et, dans un passage saisissant du livre, s’autorise même une passe avec une prostituée. À son retour à la maison, les premiers signes du drame sont en place. Le passé de Marion remonte à la surface et, dans ce théâtre à huis clos, on va bientôt tuer de sangfroid. Comment fait-il, Laurent Mauvignier, lui qui dit n’avoir rien vécu de ce qu’il appelle des « histoires vraies », pour nous décrire dans leurs moindres détails la crevaison malvenue, le meurtre du chien, les copines qui débarquent, ces histoires de sorcières et de vampires racontées à des petites filles qui n’en ont pas l’âge ? Ah, cette question que l’on pose toujours aux meilleurs écrivains, capables de dépiauter à ce point les êtres humains le temps d’un livre, ici à peine trop étiré tant la tension vous rattrape toujours, jusqu’au bout de la nuit. Le romancier continue d’exceller à interroger les manques, à retourner l’amour en haine, avec son très grand art de tout montrer de l’âme humaine, sans jamais la juger
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« Histoires de la nuit », de Laurent Mauvignier (Éditions de Minuit, 635 p., 24 €), a été retenu parmi les dix romans de la sélection Le Point-France Inter de la rentrée littéraire.
LE PASSÉ DE MARION REMONTE À LA SURFACE ET, DANS CE THÉÂTRE À HUIS CLOS, ON VA BIENTÔT TUER DE SANG-FROID.