La pêche miraculeuse
Mais il était où, Palou ? Dix ans que l’on attendait son nouveau roman. Dix ans : c’est le temps qu’il lui faut pour affiner sa belle prose mélancolique. Trois romans en vingt ans : Camille (2000), Fruits & légumes (2010) et maintenant La Faucille d’or. On l’aime, Palou. Ses romans nous serrent le coeur. Son coup d’oeil quotidien dans Le Figaro sur la société du spectacle est un ravissement. Quant à lui, on a envie de l’envelopper de notre manteau d’amitié. Oui, un charmant garçon. Anthony Palou est un écrivain de belle race. Le rejeton d’une famille littéraire qui regrouperait Nabokov, Simenon, Freustié et Bernard Frank. Cinématographiquement, il est fellinien. La Faucille d’or est un mélange d’Amarcord et de Et vogue le navire. Nous ne sommes pas en Italie, mais en Bretagne. Dans le Finistère : la fin de la terre. Ici s’échouent les rêves et les espérances. Bourricot, journaliste épileptique et inconsolable, a été dépêché là à Noël par son rédacteur en chef. Un fait divers affole les horaires des marées. Pierre Kermadec, un marin pêcheur, est passé par-dessus bord. Son chalutier, La Bredouille, faisait route vers Molène. Et si le trafic de drogue était à l’origine de cette ténébreuse affaire ? Il y a du rififi sous les cirés. Bourricot, dans son imperméable mastic à la Columbo, mène l’enquête à la paresseuse, au comptoir de La Toupie, le troquet local. Les naufragés de la vie s’y donnent rendez-vous.
Il y a Jean-Marc Le Borgne, qui s’est fait tatouer une faucille d’or, « celle des marins quand on n’y voit plus rien, que des vagues vous tombent dessus ». On croise aussi l’affreux nain Henri-Jean de la Varende, fils unique d’un capitaine d’industrie brestois, double de Toulouse-Lautrec. Que sait donc Clarisse, la veuve de Pierre Kermadec, à la voix grave et gracieuse ? Pauvre Bourricot ! Quand il ne tâtonne pas, il titube. Un oiseau mazouté se débattant dans la marée noire de l’existence. Anthony Palou veut nous faire croire qu’il a écrit un petit polar au beurre salé. La Faucille d’or est un drame shakespearien truffé de polissonneries. L’âpre Finistère devient le lieu d’une rédemption, où s’efface le néant de la vie
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La Faucille d’or, d’Anthony Palou (Éditions du Rocher, 160 p., 16 €).