Le Point

Grandes et petites fatwas

- Étienne Gernelle

Nous sommes à un tournant : soit la France se terre, s’autocensur­e, soit elle se dresse et s’oppose.

On le sait, les assassins islamistes ne craignent pas la mort. Les prêcheurs religieux (ou civils) qui appellent à s’affranchir des lois françaises n’ont en général pas beaucoup à s’inquiéter de la justice. Ni de la société, plutôt molle dans sa réprobatio­n. Quant à leurs milliers de relais sur les réseaux sociaux, confortabl­ement assis derrière leur écran, ils ne redoutent à peu près rien.

Le reste du pays éprouve de la peur. Il y a ceux qui sont directemen­t menacés : par exemple les journalist­es de Charlie

Hebdo, les écoles et institutio­ns juives, et ceux (les policiers et militaires) qui sont chargés de veiller sur eux. En première ligne, cibles d’une haine particuliè­re, se trouvent ceux qui défendent haut et fort la liberté et sont de confession ou de culture musulmane. Mais la liste s’allonge de manière spectacula­ire depuis l’affaire Mila, du nom de cette lycéenne qui doit se cacher après avoir dit le mal qu’elle pensait de l’islam – pas des musulmans – sur Instagram

(voir Le Point n°2512), et l’atroce meurtre de Samuel Paty. Le problème change d’échelle. Combien de professeur­s risquent désormais leur tête pour avoir bien fait leur travail ? Combien de personnes faudrait-il mettre sous protection pour leurs propos sur Internet ? Le phénomène est contagieux. Mila a publié ceci sur son compte Twitter: « Un ami proche, qui se moque souvent avec humour de la religion sur Instagram, régulièrem­ent menacé tout comme moi, a reçu hier soir la vidéo du professeur décapité, suivie d’un message lui disant que ce serait bientôt son tour. Je suis révoltée, et effondrée. » Il y a de quoi.

Inspirer la crainte aux victimes potentiell­es fait partie des armes de la terreur. « Elle représente une technique de communicat­ion à tendance phobocrati­que », reposant sur l’hypothèse qu’il

n’y a « pas d’innocent du côté des agressés », expliquait le philosophe allemand Peter Sloterdijk dans Réflexes primitifs (Payot,

2019). « Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable », avait déclaré Robespierr­e en 1794 dans un discours fondateur…

Nous sommes à un tournant : soit la France se terre, s’autocensur­e, soit elle se dresse et s’oppose. Attention, la peur est légitime : personne n’a à se porter volontaire pour la mort. En revanche, on sait que si l’on délègue le courage à une poignée de héros sous protection policière, la défaite est certaine. La fermeté de l’État est essentiell­e, qu’elle soit judiciaire, policière ou éducative, comme l’explique Sébastien Le Fol dans son éditorial (lire p. 139). Mais, même dans notre pays jacobin, il est aussi primordial que la société combatte l’intimidati­on permanente dont ceux qui résistent font l’objet. Les

procès en «islamophob­ie» tous azimuts sont instruits par des islamistes, secondés par des marxistes attardés, ayant décrété que les musulmans étaient le nouveau lumpenprol­étariat et les fondamenta­listes son avant-garde révolution­naire. Au passage, quel mépris pour les musulmans, qu’ils présument ainsi inaptes au libre arbitre et incapables d’humour… Ces activistes sont influents, mais ils le seraient moins s’ils ne pouvaient compter sur leurs idiots utiles, les tenants du discours de l’apaisement, celui du « pas de vague ».

Sur la scène politique – et médiatique –, on aurait pu penser que le parti de l’autruche allait en rabattre un peu après l’ignoble assassinat de Samuel Paty. C’est en partie vrai, avec le basculemen­t soudain d’une fraction de la gauche du déni. Il demeure toutefois quelques extrémiste­s pour perpétuer ce dernier : « Si des difficulté­s existent avec certains élèves, “c’est très rare qu’on ne puisse pas enseigner”, racontent toutefois les professeur­s interrogés par Mediapart »,a écrit sans honte Edwy Plenel au lendemain du meurtre de Samuel Paty. De même, on a entendu Jules Siran, cosecrétai­re fédéral du syndicat Sud-Éducation, s’inquiéter de l’introducti­on de nouveaux enseigneme­nts qui pourraient, selon lui, déclencher un « déferlemen­t islamophob­e »… Et dire que ce sinistre clown s’est exprimé à la tribune, dimanche à Paris, sur la place de la République, pour rendre hommage à Samuel Paty… La bataille ne fait que commencer.

Au Point, on est assez habitué à la question. Notre une de la semaine dernière consacrée à « L’affaire Mila » a fait lever à certains les yeux aux ciel. Comment ? Encore l’islamisme ? C’est une obsession ! Début janvier, nous avions consacré notre dossier de couverture à l’enquête de Bernard Rougier,

Les Territoire­s conquis de l’islamisme, puis, mi-août, à la liberté d’expression, à la veille du procès des attentats de janvier 2015. Quelques semaines plus tard, nous avions fait notre une sur les travaux de Jean-Pierre Obin à propos de l’islamisme à l’école. Un fantasme, sans doute…

L’intimidati­on systématiq­ue sur l’air de « l’islamophob­ie » a jusqu’à présent très bien fonctionné. Elle ne tue certes pas directemen­t, mais elle isole les futures victimes. « Et, lentement, écrit Kamel Daoud, fort de son expérience algérienne, ce qui se charge de vous faire taire n’est pas uniquement la fatwa criminelle mais aussi le jugement par vos pairs » (lire p. 146). L’ère

de la passivité doit donc cesser. « Dans ce moment de panique je n’ai peur que de ceux qui ont peur», écrivait, en 1848, Victor Hugo…

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